Que signifie l’évolution du discours sur la Palestine pour Israël?

L’interdiction précoce des manifestations propalestiniennes était impossible à maintenir face à des millions de citoyens européens en colère. (AFP)
L’interdiction précoce des manifestations propalestiniennes était impossible à maintenir face à des millions de citoyens européens en colère. (AFP)
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Publié le Mardi 04 juin 2024

Que signifie l’évolution du discours sur la Palestine pour Israël?

Que signifie l’évolution du discours sur la Palestine pour Israël?
  • La reconnaissance de la Palestine par l’Espagne, la Norvège et l’Irlande, revêt une grande importance
  • L’Europe occidentale rejoint enfin le reste du monde sur l’importance d’adopter une position internationale forte en soutien au peuple palestinien

Si une personne haut placée du gouvernement espagnol avait prononcé le slogan «Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre» il y a quelque temps, cela aurait semblé complètement absurde. Mais c’est précisément en ces termes que Yolanda Diaz, vice-Première ministre espagnole, a conclu une déclaration le 23 mai, quelques jours avant que l’Espagne ne reconnaisse officiellement la Palestine comme un État.

La reconnaissance de la Palestine par l’Espagne, la Norvège et l’Irlande revêt une grande importance. L’Europe occidentale rejoint enfin le reste du monde sur l’importance d’adopter une position internationale forte en soutien au peuple palestinien tout en rejetant les pratiques génocidaires d’Israël dans les territoires occupés.

Toutefois, l’évolution du discours politique sur la Palestine et Israël en Europe et partout dans le monde est tout aussi importante.

Presque immédiatement après le début de la guerre israélienne en cours contre Gaza, certains pays européens ont imposé des restrictions aux manifestations propalestiniennes, interdisant même parfois de brandir le drapeau palestinien, qui a été perçu comme symbole antisémite – un raisonnement des plus tordus.

Avec le temps, cependant, la solidarité sans précédent des gouvernements occidentaux avec Israël est devenue une responsabilité politique, juridique et morale. Ainsi, un changement lent a commencé, qui a à la fois conduit à une transformation quasi complète dans la position de certains gouvernements et à un changement partiel, mais clair, dans le discours politique d’autres.

«L’interdiction précoce des manifestations propalestiniennes était impossible à maintenir face à des millions de citoyens européens en colère.»

- Dr Ramzy Baroud

L’interdiction précoce des manifestations propalestiniennes était impossible à maintenir face à des millions de citoyens européens en colère, qui ont appelé leurs gouvernements à mettre fin à leur soutien aveugle à Tel-Aviv.

Le 30 mai, le simple fait que la chaîne française TF1 ait diffusé un entretien avec le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a conduit à de grandes manifestations spontanées au cours desquelles des citoyens français ont appelé leurs médias à refuser aux criminels de guerre la possibilité de s’adresser au public.

N’ayant pas réussi à contrer le récit pro-Palestine, le gouvernement français a décidé, le 31 mai, de désinviter les entreprises militaires israéliennes censées participer à l’une des plus grandes expositions militaires du monde, Eurosatory, prévue du 17 au 21 juin.

Même des pays comme le Canada et l’Allemagne, qui ont soutenu le génocide israélien contre les Palestiniens jusqu’aux derniers stades des tueries de masse, commencent à changer de discours.

Le changement de discours s’opère également en Israël ainsi que dans les rangs des intellectuels et des journalistes pro-israéliens des médias grand public. Dans le cadre d’un podcast célèbre, en mars dernier, le journaliste du New York Times Thomas Friedman a attaqué Netanyahou, affirmant qu’il «restera dans les annales comme le pire dirigeant de l’histoire juive, pas seulement de l’histoire israélienne».

Décortiquer la déclaration de Friedman nécessite une autre chronique, puisque de tels propos continuent de se nourrir de l’illusion persistante – du moins dans l’esprit de Friedman – qu’Israël représente non pas ses propres citoyens, mais tous les Juifs, d’aujourd’hui et d’autrefois.

Quant aux propos tenus en Israël, ils sont répartis en deux discours majeurs et concurrents, l’un totalement irrationnel, tel qu’il est représenté par les ministres d’extrême droite Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, ainsi que par Netanyahou lui-même, et l’autre plus pragmatique, mais tout aussi militant et antipalestinien.

Alors que le premier groupe aimerait voir les Palestiniens abattus en grand nombre ou anéantis par une bombe nucléaire, le second se rend compte qu’une option militaire n’est pas viable, du moins pour l’instant.

«Le changement de discours s’opère également en Israël et dans les rangs des intellectuels et des journalistes pro-israéliens.»

- Dr Ramzy Baroud

«L’armée israélienne n’a pas la capacité de gagner cette guerre contre le Hamas, et certainement pas contre le Hezbollah», a soutenu le général Itzhak Brik dans un entretien accordé le 30 mai au journal israélien Maariv. Brik, l’un des militaires les plus respectés, répète les propos sages que beaucoup d’autres tiennent également.

Bizarrement, lorsque le ministre israélien du Patrimoine, Amihai Eliyahu, a suggéré «l’option» de bombarder la bande de Gaza avec une arme nucléaire, ses paroles découlaient du désespoir, plutôt que de la confiance.

Avant la guerre, le discours politique israélien au sujet de Gaza tournait autour d’une terminologie bien spécifique: la «dissuasion» représentée par la guerre occasionnelle unilatérale – destinée à «tondre la pelouse» – et la «sécurité», entre autres.

Des milliards de dollars ont été générés au fil des ans par des profiteurs de guerre en Israël, aux États-Unis et dans d’autres pays européens, le tout au nom d’une bande de Gaza assiégée et soumise.

Désormais, ces propos ont laissé place à un grand discours préoccupé par les guerres existentielles, l’avenir du peuple juif et la fin possible d’Israël, voire du sionisme lui-même.

S’il est vrai que Netanyahou craint que la fin de la guerre ne mette fin à son héritage prétendument triomphant en tant que «protecteur» d’Israël, l’histoire ne s’arrête pas là.

Si la guerre se termine sans qu’Israël ne rétablisse sa «dissuasion» et sa «sécurité», le pays sera obligé d’admettre qu’il est impossible de faire abstraction du peuple palestinien et de ses droits. Pour Israël, cela mettrait fin à son projet colonial, entamé il y a près de cent ans.

En outre, les perceptions et le discours des gens ordinaires sur la Palestine et Israël changent à travers le monde. La conception erronée du «terroriste» palestinien est rapidement remplacée par la véritable représentation du criminel de guerre israélien, une catégorisation qui est désormais conforme aux opinions des plus grandes institutions juridiques du monde.

Israël est désormais dans un isolement presque complet en partie en raison de son génocide à Gaza, mais aussi du courage et de la détermination du peuple palestinien et de la solidarité mondiale avec la cause palestinienne.

Le Dr Ramzy Baroud est journaliste et écrivain. Il est rédacteur en chef de The Palestine Chronicle et chercheur principal non résident au Center for Islam and Global Affairs. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappe, est Our Vision for Liberation: Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak Out.

X: @ramzybaroud

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com