Israël est en pleine crise. Le pays était déjà plongé dans le chaos avant le 7 octobre. Sa guerre contre Gaza est devenue un stigmate; elle hante le pays, son gouvernement et sa réputation parmi les nations. Pour Israël, ce conflit s’avère le plus long, le plus horrible et le plus controversé. Les objectifs déclarés de la guerre, alors que cette dernière entre dans son huitième mois – sans aucune perspective de dénouement –, n’ont pas été atteints. En Israël, le débat ne porte pas sur le résultat désastreux de l’offensive israélienne contre les Palestiniens à Gaza, avec plus de 35 000 morts et 10 000 disparus, mais sur deux enjeux principaux: le retour des otages israéliens et un plan d’après-guerre qui exclut le Hamas.
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, tergiverse. Il a rejeté les accords de dernière minute qui visaient à mettre fin aux combats et à récupérer tous les otages. Il n’a par ailleurs pas réussi à proposer un plan d’après-guerre pragmatique qui soit acceptable pour toutes les parties prenantes, principalement les instances politiques et militaires israéliennes, les États-Unis et le reste du monde.
Faisant abstraction des mises en garde américaines, il a lancé une offensive contre la ville très peuplée de Rafah, estimant qu’il pouvait remporter une victoire décisive contre le Hamas et imposer sa vision obscure d’un plan d’après-guerre. Cela ne laisse présager rien de bon ni pour lui ni pour une armée israélienne épuisée. Au contraire, il fait face à une insurrection durable, pour citer un secrétaire d’État américain cerné – Antony Blinken. Ces derniers jours, les combats à Jabalia, au nord de Gaza, ont été les plus violents depuis les premiers jours de la guerre.
Cela a incité Benny Gantz, membre du Cabinet de guerre et ancien ministre de la Défense, à lancer un ultimatum à Netanyahou samedi: il présentera sa démission le 8 juin si le Premier ministre ne formule pas un nouveau plan de guerre qui inclut une administration internationale, arabe et palestinienne afin de gérer les affaires civiles à Gaza. Il a appelé Netanyahou à privilégier les intérêts d’Israël plutôt que les siens.
Il s’agit d’un séisme politique pour Israël et ses alliés étrangers.
Oussama al-Sharif
On ne sait pas exactement quelles seraient les conséquences du retrait de Gantz de la coalition Netanyahou. Ce dernier était devenu dépendant de ses partenaires d’extrême droite au point de devenir l’otage de leur volonté. Toutefois, la menace de Gantz doit être prise au sérieux. Son départ affaiblirait la coalition et pourrait faire tomber le gouvernement. Si cela se produisait, des élections anticipées seraient déclenchées. Gantz et sa large coalition en sortiraient probablement vainqueurs.
Gantz est considéré comme un remplaçant plus «modéré» de Netanyahou et de ses partenaires radicaux aux yeux de l’administration Biden, qui a renoncé à l’actuel Premier ministre.
Tel était le plan, du moins avant la déclaration étonnante de la Cour pénale internationale (CPI), lundi, selon laquelle le procureur, Karim Khan, cherchait à obtenir des mandats d’arrêt contre de hauts responsables d’Israël et du Hamas, parmi lesquels Netanyahou et le chef du Hamas, Yahya Sinwar, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les mandats d’arrêt proposés visent le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, et d’autres chefs militaires clés du Hamas.
M. Khan est sous pression depuis des mois pour qu’il agisse en réponse aux atrocités israéliennes documentées, notamment des crimes contre l’humanité. Ignorant les intimidations des législateurs américains, il a finalement pris sa décision, affirmant qu’il existe des motifs raisonnables de considérer que Netanyahou et Sinwar portent la responsabilité pénale des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité depuis le jour de l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre.
Les juges de la CPI vont maintenant décider s’ils estiment que les preuves sont suffisantes pour émettre des mandats d’arrêt, un processus qui pourrait prendre des semaines, ou même des mois.
Quel que soit le résultat, il s’agit d’un séisme politique pour Israël et ses alliés étrangers. Une fois ces mandats délivrés, les plus hauts dirigeants politiques d’Israël deviendront des individus recherchés. Mais les répercussions internationales et nationales seront profondes.
De hauts dirigeants américains ont déjà attaqué et tenté de décrédibiliser la CPI. Le président américain, Joe Biden, a qualifié sa décision de «scandaleuse». D’autres députés ont menacé de prendre des mesures contre le tribunal et ses juges. Les politiciens israéliens se sont rassemblés pour condamner cette décision. Ils comptaient sur les États-Unis pour qu’ils adoptent des mesures visant à discréditer la CPI, dont les États-Unis et Israël ne sont même pas membres.
Israël fera preuve d’unité face à la décision de la CPI, mais cela ne durera pas longtemps.
Oussama al-Sharif
Gantz a attaqué la CPI qui a établi une équivalence entre Israël et le Hamas. Il en est de même pour le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, qui a néanmoins laissé entendre qu’Israël en était arrivé là à cause de la politique de Netanyahou.
Dans un premier temps, Israël fera preuve d’unité et de solidarité face à la démarche de la CPI. Mais cela ne durera pas longtemps. Certains pensent qu’Israël n’aura atteint cette étape catastrophique que pour Netanyahou. Il faudra donc qu’il s’en aille.
Reste à savoir comment Gantz utilisera cette évolution significative à son avantage. Quelle que soit la réaction des États-Unis lors de la prochaine décision de la CPI, Israël est désormais confronté à un défi de taille et sans précédent dans sa courte histoire.
La CPI, qui compte 124 membres, fait également face à un défi existentiel. Depuis sa création, en 2002, elle a supervisé plus de trente affaires qui impliquent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ne pas remédier au carnage à Gaza signerait sa disparition. Cela restaurerait la crédibilité de l’ordre fondé sur des règles et du pacte de droit international.
Gantz peut-il utiliser la pression internationale considérable exercée sur Israël pour démanteler le gouvernement Netanyahou? Ce ne sera pas une tâche facile. Netanyahou se battra jusqu’au bout pour maintenir son gouvernement en vie. Il utilisera les actes d’accusation de la CPI pour éveiller l’émotion selon laquelle Israël fait désormais l’objet d’un complot antisémite.
Mais il convient de mentionner que, même s’il n’est pas d’accord avec la tactique de Netanyahou, Gantz n’est pas dupe. La société israélienne est devenue antipalestinienne ces dernières années, et plus encore depuis le 7 octobre. Gantz peut soutenir l’existence d’une Autorité palestinienne, mais seulement comme mandataire d’un contrôle israélien étendu sur la Cisjordanie. Il ne prendra pas le risque de soutenir une solution à deux États.
Nous pourrions assister à une tentative pour détrôner Netanyahou, qui ouvrirait la voie à une montée en puissance de Gantz, mais ce ne serait pas une bonne nouvelle pour les Palestiniens. Le projet lancé par Netanyahou va se poursuivre: annexion totale des territoires palestiniens et déraillement du projet d’État palestinien.
Osama al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.
X: @plato010
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.