Dans la confusion persistante de la situation politique libanaise, certains partis locaux continuent de suggérer que l’élection d’un président est la solution souhaitée. Cependant, cela ne signifie pas grand-chose et la république s’érode et se dissout de jour en jour.
Sans aucun doute, l’élection d’un président constituerait une petite dose d’optimisme, surtout si les parties concernées – aux niveaux interne, régional et international – parviennent à s’entendre, même implicitement, sur le cadre et le rôle futurs du Liban et si les difficultés qui ont empêché de combler le vide présidentiel depuis la fin du mois d'octobre 2022 sont surmontées.
Ces obstacles – et leurs implications à l’échelle régionale – sont bien connus des parties concernées qui sont actuellement représentées par les ambassadeurs des États-Unis, de la France, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et du Qatar.
Un nouveau facteur s’ajoute donc inévitablement à la complexité de la situation libanaise: la guerre de déplacement à Gaza et ses conséquences.
La première conséquence est l’escalade de l’offensive israélienne brutale déclenchée par l’attaque du Hamas le 7 octobre. D'aucuns affirment aujourd'hui qu'à moins que l'actuel cabinet de guerre israélien ne tombe en raison de graves dissensions entre le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et le ministre de la Défense, Yoav Gallant (et son bloc de cinq représentants), ce qui entraînerait la tenue de nouvelles élections, il n'y aura aucun moyen de contenir les forces profondément enracinées dans l'extrémisme sur lequel s'appuie M. Netanyahou.
Deuxièmement, même si la fougue du projet iranien d’«unité des fronts» semble s’être légèrement calmée, Téhéran est toujours capable de négocier avec Washington par le feu et les drones le long de la frontière libano-israélienne. Cette «négociation» destructrice en pleine année d’élection présidentielle américaine a eu un certain nombre de répercussions, notamment: la tragédie des déplacements au Liban-Sud; une augmentation du radicalisme des habitants des colonies du nord d’Israël et de leur soutien à une solution militaire; les pressions politiques et sécuritaires croissantes sur les pays arabes, qu’ils entourent Israël ou affrontent l’Iran dans la région du Golfe et de meilleures chances pour Donald Trump de vaincre Joe Biden, assiégé d’une part par les partisans d’Israël au Congrès et de l’autre par ses opposants parmi la jeunesse au sein des universités américaines.
Troisièmement, le déplacement interne au Liban, loin des zones frontalières ciblées par les bombardements israéliens, coïncide avec une campagne visant à renvoyer «volontairement» les réfugiés et les Syriens déplacés. Ces appels reposent en réalité principalement sur des considérations et des calculs sectaires, mais ils sont renforcés par une réalité économique pressante.
«Un nouveau facteur s’ajoute donc inévitablement à la complexité de la situation libanaise: la guerre de déplacement à Gaza.»
- Eyad Abu Shakra
La semaine dernière, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a apporté sa contribution en proposant de transporter les réfugiés et déplacés syriens vers l’Europe, complétant ainsi la «mission démographique» entreprise par Téhéran, en commençant par l’Irak (après 2003) et en passant par la Syrie (après 2011) pour redessiner la carte du Levant arabe, peut-être à travers une intersection d’intérêts avec les projets de transfert d’Israël. Les observateurs craignent que ces intérêts ne se limitent pas à Gaza, mais qu’ils incluent la Cisjordanie et qu’ils puissent s’étendre à un plan de «patrie alternative».
Quatrièmement, il peut être difficile de compter l’ensemble des complexités régionales dangereuses dans les circonstances actuelles. Il ne semble pas logique d’ignorer la possibilité de sombrer dans des scénarios catastrophiques et non calculés. Dans le même temps, il n’est peut-être pas judicieux non plus – du moins pour Washington – de reporter le désamorçage de la violence jusqu’après l’élection présidentielle de novembre, au cours de laquelle une victoire de M. Trump pourrait ouvrir la porte à toutes les possibilités.
C’est pour cela que les pays représentés par le comité constitué par les États-Unis, la France, l’Arabie saoudite, l’Égypte et le Qatar cherchent à aborder la situation libanaise en tenant compte de tous les facteurs affectant le tissu social et sa réalité. Mais en fin de compte, ils ne détiennent pas toutes les cartes.
Les deux parties non arabes, les États-Unis et la France, ont jusqu’à présent adopté une approche flexible à l’égard de la politique de Téhéran dans la région et elles ont préféré coexister avec ses outils régionaux afin d’éviter une guerre ouverte sans frontières.
D’autre part, malgré les frappes «punitives» américaines limitées contre l’Iran, les dirigeants de Téhéran estiment que la stratégie de chantage qu’ils ont adoptée et contrôlée selon les besoins est une stratégie qui a fait ses preuves. Sur cette base, ils estiment qu’il n’est absolument pas nécessaire d’y renoncer.
La plupart des initiatives américaines et françaises à l’égard du Liban depuis la fin de l’année 2022, abordant notamment les questions de la présidence et de l’armée, ont délibérément évité d’aborder la réalité du «mini-État plus fort que l’État», préférant se concentrer sur la résolution de problèmes éphémères et recourir à des solutions temporaires en attendant que les circonstances changent.
Mais les développements régionaux ont contribué à maintenir cette réalité et ils ont même accéléré l’effondrement de «l’État» au profit du «mini-État». La réticence de la droite israélienne au pouvoir à imposer une solution politique permanente et juste a renforcé la crédibilité de l’axe de Téhéran. La clémence envers l’Iran et ses mandataires a encouragé la droite israélienne à faire preuve d’obstination, à consolider son offensive et à saper toutes les chances de paix et de stabilité dans la région.
Eyad Abu Shakra est rédacteur en chef d’Asharq al-Awsat.
X: @eyad1949
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com