PARIS : Jusqu'où peut mener l'imagination? Les tableaux de la peintre tunisienne Aziza Guermazy suscitent curiosité et émerveillement. Son œuvre – un subtil mélange de couleurs et de personnages intelligibles aux formes géométriques variées – est une ode à la réflexion. Entretien avec la jeune artiste talentueuse pour Arab News en français.
Un pari gagnant
Dresser le portrait d'une peintre est un exercice délicat. Il nécessite de poser des questions existentielles à l'artiste. Un débat s'ouvre dès lors autour des notions de création, de subjectivité, d'imaginaire et surtout de liberté. Certains artistes préfèrent se mettre en arrière-plan en jouant la carte du mystère. D'autres, au contraire, considèrent leur œuvre comme un prolongement de leur personnalité. Mais il y a ceux qui utilisent l'art comme un moyen d’expression privilégié.
Aziza Guermazy est de cette école-là, et elle ne s'en cache pas. Il y a chez elle ce que l'on peut appeler la force de la vulnérabilité. «Je suis une personne très timide et introvertie. En temps normal, j'ai du mal à m'exprimer. La peinture est une façon de m'exprimer, et ce, même au niveau des couleurs. Mes toiles sont remplies de couleurs vives, mais moi je ne porte que du noir et plus récemment du gris et du blanc.»
Ce n'est qu'en 2018, à l'âge de 27 ans, qu'elle décide de se consacrer pleinement à cette activité, alors qu’elle avait seulement pris des cours de peinture à l'âge de douze ans. Action risquée car des études universitaires couronnées par un diplôme de Master en gestion de la relation client lui permettaient d’entrer pleinement dans le grand bain de la vie professionnelle. «Les études étaient passionnantes. J'ai travaillé pendant un an. Mais ce n'était pas fait pour moi. Rester dans un bureau derrière l'ordinateur toute la journée, ça ne me correspondait pas.»
Aziza Guermazy s'est ainsi lancé un pari, de surcroît, gagnant. «J'ai démissionné du jour au lendemain. J'ai envoyé des candidatures à Paris. Je ne pouvais pas rester les bras croisés. Ma mère n'en pouvait plus. Pour m'occuper, j'ai repris ma peinture et tout compte fait, j'ai compris que c’était ce que je voulais faire.»
L'élément déclencheur? Une ascension fulgurante au niveau local, dès 2019. Sa première exposition personnelle qui s'intitule «Imaginarium» – un nom hautement évocateur – s'est déroulée à l'Agora de Tunis. Sa deuxième exposition s'est tenue à l'Institut français de Sfax. Son talent a aussi été remarqué au niveau international. Elle a ainsi obtenu le prix de la résidence d'artiste à la Mediterranean Contemporary Art Prize.
Une œuvre qui suscite la réflexion
Ce succès est dû notamment au fait qu'elle a su vite imposer sa propre signature. «Ça me fait plaisir d'entendre que l'on arrive à reconnaître aisément mes toiles. C'est ce que je recherche. Je veux garder le même style. Je veux vraiment qu'on arrive à reconnaître ma signature dans n'importe quel pays, n'importe quelle galerie.»
L'artiste aime préciser que chaque tableau a sa propre singularité, sa propre histoire, et ne répond pas forcément à une logique d'ensemble. «C'est à travers des personnages semi-humains que j'ai créés que j'essaie de raconter une histoire à chaque fois. Cette histoire peut être interprétée de manière infinie.»
L'artiste aime susciter la réflexion, notamment par le biais du nom de ses toiles. «À plusieurs occasions, j'ai préféré garder le nom du tableau pour moi. Les gens peuvent ainsi l’interpréter comme il le souhaitent. Ils peuvent même voir des choses auxquelles je n’avais pas pensé. C'est un objectif que je recherche.»
Cet objectif, l'artiste a pu l'expérimenter lors de son exposition à l'Institut français où elle a reçu la visite des écoles françaises à Sfax. «Les visiteurs avaient entre quatre et dix ans. C'était incroyable. Ils ont adoré analyser mes toiles. Un directeur m'a même contactée pour que je fasse un atelier de peinture. J'ai vécu un rêve.»
L'émerveillement est un bien précieux, qu'il convient de chérir et de partager.