Du 19 au 26 février, ministres, diplomates et avocats de cinquante-deux pays et de trois organisations internationales se réunissent au Palais de la paix à La Haye où siègent les quinze juges de la Cour internationale de justice. Ce que la correspondante de RFI (Stéphanie Maupas) appelle «une nouvelle guerre de Six Jours, juridique cette fois» (1).
En attendant… Au deuxième mois de la guerre que mène Israël contre la population de Gaza et, accessoirement, au Hamas, qu’en est-il des positions et des réactions des pays occidentaux, donneurs de leçons de démocratie et de droits humains ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette guerre est venue démentir bien des légendes en mettant à nu des complicités et en élevant le double standard au rang d’une vertu cardinale. Rappelons que, selon Platon, les vertus cardinales sont au nombre de quatre : la prudence, la tempérance, la force et la justice. Ainsi, face à cette guerre, États-Unis et Union européenne n’ont fait montre ni de prudence ni de tempérance et encore moins de justice. Reste, donc, la force.
Tel est le credo qui régit la conduite du monde par les puissances occidentales, et notamment par l’Europe, cette Europe qui fut d’une manière ou d’une autre impliquée dans la Shoah, et dont la culpabilisation avait abouti à «l’octroi d’une terre sans peuple à un peuple sans terre». Et c’est ainsi qu’aujourd’hui le double standard a pu se passer de prudence, de tempérance et de justice, pour ne retenir que la force. En soutien à Israël.
Pris entre les critiques de l’opposition et l’émoi de l’opinion sensible aux souffrances subies par les Gazaouis, Biden est monté plus d’une fois au créneau pour «ramener à la raison» le Premier ministre israélien. Pas assez ferme, le chef de la Maison blanche, qui continue à fournir «l’armée la plus morale du monde» en armes et en matériels sophistiqués. L’ONU, impuissante et désemparée, ne peut que déplorer le fait accompli. Ce «Machin», comme l’appelait le général de Gaulle, est réduit à une simple ONG sans moyens de contraintes face au véto brandi systématiquement par la première puissance du monde.
Des crimes innommables parce qu’innommés
Ce n’est qu’après un bilan terrifiant (28 000 morts, dont 12 000 enfants !) que le président américain, suivi timidement par le président français, a menacé de geler les avoirs des colons et de refuser toute demande de visa. Inquiets de la catastrophe humanitaire que les ONG n’ont cessé d’annoncer, les gouvernements du «Monde libre» commencent à peine de prendre des mesures. Timides, mais c’est déjà énorme, et même inespéré, tant Israël reste intouchable, depuis sa création, et ses crimes innommables parce qu’innommés (pas l’inverse, nuance !).
L’ONU, impuissante et désemparée, ne peut que déplorer le fait accompli. Ce «Machin», comme l’appelait le général de Gaulle, est réduit à une simple ONG sans moyens de contraintes face au véto brandi systématiquement par la première puissance du monde.
L’impunité demeure, mais quelque chose est en train de se fissurer. Comme un mur, peu à peu travaillé par des termites: mur de la culpabilisation, termites assiégeant les consciences qui n’en peuvent plus de se défausser sur le Palestinien, menacé de nettoyage ethnique. Nous en savons quelque chose: les Algériens l’ont vécu.
Parler de «conflit» n’est qu’un subterfuge plus perfide qu’un euphémisme. Et tout comme, pour expliquer la violence, le colonisé et le colon sont renvoyés dos à dos, pour justifier les représailles, on vous dit: «Israël a le droit de se défendre!» Leitmotiv repris en boucle, en toute bonne conscience et sans nuance aucune par les médias.
Comme si, depuis trois quarts de siècle, l’État d’Israël, né d’une dépossession et d’une colonisation forcenée, avait tous les droits y compris celui d’être au-dessus des lois internationales. Le colon a le droit de se défendre, pas le colonisé. Aux tenants de l’Apartheid qui lui reprochaient la violence de l’ANC, Nelson Mandela répondait: «C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense.» (2).
Israël expulsé du Sommet de l’Union africaine
Cette analyse est partagée par un grand nombre d’Israéliens et de Juifs de la Diaspora, notamment en Belgique et au Brésil, mais en France, le mot «apartheid» reste tabou. Son emploi est frappé d’interdit, et vous risquez même d’être accusé d’antisémitisme. Accusation qui, semble-t-il, n’a pas empêché le président Lula de déclarer: «Ce qui se passe dans la bande de Gaza avec le peuple palestinien ne s'est produit à aucun autre moment de l'histoire. En fait, cela s'est déjà produit: lorsque Hitler a décidé de tuer les Juifs.» (3). Et d’ajouter: «Ce n'est pas une guerre de soldats contre des soldats. C'est une guerre entre une armée hautement préparée et des femmes et des enfants!»
Et cette charge, qui provoqua l’ire du Premier ministre israélien, jusqu’à l’amener, dit-il, à «convoquer immédiatement l'ambassadeur du Brésil en Israël pour le sermonner vivement», cette charge n’a pas été lancée de n’importe où: du Sommet de l’Union africaine (4).
Si M. Netanyahou juge que le président brésilien a «franchi la ligne rouge», que dirait-il alors de ces mots de Norman Finkielstein, ce Juif et descendant de survivants de la Shoah: «La plus grande insulte à la mémoire de l’Holocauste n’est pas de le nier, mais de l’utiliser comme excuse pour justifier le génocide du peuple palestinien!»?
Autre déboire, pour l’État hébreu: le statut dont bénéficiait Israël en tant que membre observateur lui a été retiré à l’occasion du récent Sommet (ouvert mercredi 14 février à Addis-Abeba). Déjà, au précédent Sommet, les représentants de l’Afrique du Sud et de l’Algérie s’étaient farouchement opposés à la présence d’une délégation israélienne, qui fut, écrivait alors Le Monde, «expulsée sans ménagement de l’Assemblée générale de l’UA».
Israël indésirable, donc, débouté. Alors que le Premier ministre de l’Autorité palestinienne était accueilli sous les applaudissements. Accueil qu’il salua par ces mots: «Les Palestiniens défendent leur pays comme vous, en Afrique, avez défendu vos terres contre le colonialisme.»
(1). «La Cour internationale de justice se penche sur l’occupation israélienne» (RFI, 19-02-2024).
(2) Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, p. 647, Livre de poche 1996.
(3) https://www.francetvinfo.fr/redaction/morel-florence/, 18-02-2024.
(4) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/02/18/israel-definitivement-mis-au-ban-de-l-union-africaine_6217216_3212.html?fbclid=IwAR1H1FfhIWbxNza06vtsCvbfeI8ZWy6ijnpq6q5AJbnpqkmSs0JcG-IR2nc
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteuret ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.