DAMAS: Depuis un an, un café du centre de Damas est devenu le bureau de Majida: elle s'y rend presque tous les jours pour travailler et organiser ses réunions, profitant de l'électricité et d'une connexion internet.
Dans la Syrie épuisée par une guerre qui dure depuis bientôt treize ans, la capitale n'échappe pas au sévère rationnement de courant, qui atteint vingt heures par jour, même en plein hiver.
"Je travaille dans le domaine de la publicité. J'ai besoin d'électricité tout le temps", dit Majida, 42 ans, qui ne souhaite pas donner son nom de famille.
Elle s'est approprié un canapé où elle a étalé ses affaires, et fait désormais partie de la famille du Flow Space café, jouant avec la chienne du propriétaire, Lily, et aidant même parfois le personnel.
"S'il n'y avait pas de cafés, j'aurais arrêté de travailler", ajoute-t-elle.
Autour d'elle, des étudiants et des employés installés à une longue table en bois ou dans des fauteuils travaillent dans le calme sur leur ordinateur ou sont plongés dans des livres.
Dans tous les coins, des prises de courant sont installées pour alimenter ordinateurs et téléphones portables.
Ihsane al-Azmeh, 38 ans, dit avoir ouvert son établissement il y a environ quatre ans, après avoir constaté la difficulté de trouver un endroit pour travailler dans la capitale syrienne où s'accumulent les privations.
"J'ai l'électricité ici tout le temps, et le café est chauffé", explique le propriétaire, qui a doté son établissement d'un générateur électrique et de batteries.
«Ce n'est pas un choix»
"Comme tout le monde, je souffre des problèmes de l'électricité et des transports, et je dors souvent au café au lieu d'aller chez moi", ajoute le jeune homme.
Il a aménagé un coin dans son établissement, situé dans un quartier animé au coeur de Damas, pour pouvoir y dormir.
Les tarifs des transports ont plus que doublé depuis que le gouvernement a levé les subventions sur l'essence en août dernier.
La guerre en Syrie, qui a éclaté en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, a fait plus d'un demi-million de morts, déplacé des millions de personnes, et ravagé les infrastructures.
L'économie s'est effondrée sous le poids des violences et des sanctions occidentales, et les champs de pétrole et de gaz sont désormais pour la plupart dans des zones échappant au contrôle du pouvoir central.
Dans le quartier de Bab Touma connu pour ses maisons traditionnelles et ses restaurants, trois étudiants révisent avec assiduité avant leurs examens dans un café.
"Venir au café n'est pas un choix, mais une nécessité. Ici, on a l'électricité et internet", dit Georges Ksara, 18 ans, qui étudie l'informatique à l'Université de Damas.
"Dès que j'arrive, je sors tous mes appareils pour les charger, et j'apporte parfois même les appareils de ma soeur", ajoute-t-il, assis avec deux de ses camarades.
«Rien ne dure»
A côté d'eux, Mohammad Sbahi, 22 ans, s'apprête à entamer une réunion de travail sur son ordinateur.
"Je travaille à distance avec une compagnie dans le Golfe, et je viens chaque jour au café", explique le jeune homme. "J'ai même une place réservée et les serveurs savent quelle est ma boisson préférée!"
Sa sacoche déborde de chargeurs et de batteries. "Sans ce café, j'aurais échoué à l'université et j'aurais perdu mon travail", dit-il. "C'est la seule solution pour moi, et pour beaucoup de mes amis".
Chadi Elias, lui, a tenté d'étudier à la maison. Mais cet étudiant en médecine de 18 ans, qui habite dans l'est de Damas, a vite dû déchanter.
"Rien ne dure avec les longues heures de rationnement", explique-t-il, en montrant la lampe électrique rechargeable qu'il accroche au plafond.
Il souligne que les cafés sont bondés en période d'examens. "C'est pour cela que je viens tôt", pour avoir une place, dit le jeune homme.
"L'endroit devient comme une salle de classe, on se passe les stylos, les livres et les papiers, et même parfois les chargeurs de téléphone", ajoute-t-il en souriant.