Le virage à droite de Macron n'est pas sans risque

Le président français Emmanuel Macron. (AFP)
Le président français Emmanuel Macron. (AFP)
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Publié le Dimanche 28 janvier 2024

Le virage à droite de Macron n'est pas sans risque

Le virage à droite de Macron n'est pas sans risque
  • Le nouveau gouvernement français compte huit hommes et sept femmes, dont près de la moitié ont des liens avec des partis politiques de droite
  • En appelant au « réarmement civique », au renforcement des mécanismes de maintien de l'ordre et à ce que « la France reste la France », Macron fait appel à la droite et risque de se mettre à dos de vastes parties du pays

Le président français Emmanuel Macron qui se concentre sur la politique étrangère depuis le début de son second mandat, est devenu de plus en plus dépendant de la droite en raison de son échec à remporter une majorité parlementaire. Le centrisme et le pan-européanisme de son premier mandat ont été relégués au second plan, son gouvernement se pliant de plus en plus au discours de droite qui s'est manifesté de manière évidente lors de l'élection de 2022. À la suite d'un remaniement ministériel effectué ce mois-ci, cette tendance se reflète désormais dans la composition du gouvernement lui-même.

Avant l'élection présidentielle de 2022, Macron a rebaptisé son parti La République en Marche « Renaissance » afin de reconquérir le centre politique. Il espère ainsi détourner les électeurs de la dynamique de droite du Rassemblement national de Marine Le Pen et de la Reconquête d'Éric Zemmour, ainsi que de la menace émergente de la France insoumise, la coalition de gauche menée par Jean-Luc Mélenchon.

Bien que Macron ait remporté l'élection présidentielle, les difficultés électorales ont été telles que son parti n'a pas obtenu la majorité au parlement. Renaissance a donc formé la coalition « Ensemble » avec d'autres partis libéraux et centristes, tels que le Mouvement démocrate et Horizons, afin de former un gouvernement. Bien que Renaissance soit un parti centriste, libéral et pro-européen, les derniers mois ont été témoin d’un virage vers des politiques de droite pour tenter de séduire des électeurs plus jeunes et plus eurosceptiques.

Ces derniers mois, le parti s'est orienté vers des politiques de droite pour tenter de séduire des électeurs plus jeunes et plus eurosceptiques.

Zaid M. Belbagi

Le nouveau gouvernement français compte huit hommes et sept femmes, dont près de la moitié ont des liens avec des partis politiques de droite. Il s'agit d'un niveau d'influence de la droite sans précédent, qui marque une nette évolution. Parmi les membres ayant des liens avec la droite figurent Catherine Vautrin, ministre du Travail, Bruno Le Maire, ministre des Finances, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, Sébastien Lecornu, ministre de la Défense, et Aurore Bergé, ministre de l'Égalité des chances. La forte représentation des candidats de droite et de centre-droit dans le cabinet remanié de Macron a attiré l'attention des critiques et des partisans.

Cependant, la nomination de Gabriel Attal plus jeune Premier ministre de France a suscité le plus de scepticismes et de critiques. Bien qu'il appartienne ostensiblement au parti centriste Renaissance, une grande partie de la popularité d'Attal est liée à plusieurs décisions controversées qu'il a prises en tant que ministre de l'Éducation l'année dernière, notamment l'interdiction de l'abaya dans les écoles publiques. En dépit, ou peut-être en raison, de son héritage tunisien, Attal a tenu à mener des politiques xénophobes.

À l'âge de 34 ans seulement, les critiques ont mis en avant son manque relatif d'expérience, soulignant que sa nomination au poste de Premier ministre était probablement due à sa popularité parmi les électeurs de droite. Les sondages ayant régulièrement montré que les jeunes électeurs français étaient plus eurosceptiques et nationalistes que leurs homologues plus âgés, la nomination de Attal a été perçue comme un effort pour apaiser l'électorat plus jeune et limiter le soutien à l'extrême droite. En choisissant un populiste pour le poste de Premier ministre, plutôt qu'un technocrate comme c'est généralement le cas en France, la trajectoire du temps qu'il reste à Macron à la tête de l'État est claire.

Le remaniement a été suivi par des manifestations cette semaine contre un projet de loi très controversé sur le contrôle de l'immigration qui a été adopté par le parlement le mois dernier mais qui n'a pas encore été signé par le président. Ce projet de loi, qui vise à contrer et à contrôler l'immigration en France, ainsi qu'à réduire les avantages et les protections dont bénéficient les immigrés actuels, a provoqué d'énormes divisions politiques.

En appelant au « réarmement civique », Macron fait appel à la droite et risque de se mettre à dos de vastes segments de la population.

Zaid M. Belbagi

En restreignant la capacité des immigrés à faire venir leur famille en France, en limitant l'accès des ressortissants de pays tiers et des étrangers sans emploi à l'aide sociale de l'État et en supprimant la citoyenneté française automatique pour les enfants nés sur le sol français de parents non français, le projet de loi révisé n'a finalement été adopté qu'avec le soutien du Rassemblement national. Il a provoqué de vives tensions au sein de la coalition, et le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a démissionné en signe de protestation.

Ce constat suppose que les partis de droite et d'extrême droite obtiendront de bons résultats lors des prochaines élections du Parlement européen. Ces élections, qui auront lieu en juin, s'inscrivent dans un contexte de glissement vers la droite aux Pays-Bas, en Hongrie, en Pologne, en Allemagne et en Italie. Compte tenu du rôle de la France au sein de l'Union, l'euroscepticisme croissant de l'électorat français et la nature droitière du nouveau gouvernement sont préoccupants.

Il ne fait aucun doute que l'adoption par Macron d'une rhétorique et de politiques de droite est un effort pour courtiser la droite, tout en renforçant le centre-droit, afin de diviser le vote de Le Pen. Macron a battu le leader du Rassemblement national à deux reprises, lors des élections présidentielles de 2017 et de 2022, mais il ne peut pas se représenter. Néanmoins, des sondages récents montrent que le Rassemblement national devance Renaissance de 8 points. Il se peut donc que Macron cherche à attirer ses électeurs, ce qui aura pour effet général de faire évoluer le système politique français vers la droite.

Le revirement de Macron est donc un appel aux partisans des partis traditionnellement de droite pour qu'ils soutiennent Renaissance, un parti qu'il tente de présenter comme le reflet le plus approprié du pays et de la politique de ses partenaires de coalition. En appelant au « réarmement civique », au renforcement des mécanismes de maintien de l'ordre et à ce que « la France reste la France », Macron fait appel à la droite et risque de se mettre à dos de vastes parties du pays.

En jouant sur les narratifs traditionnellement de droite concernant la dilution de la culture française en raison du multiculturalisme croissant de la société, Macron pourrait limiter les gains de Mme Le Pen aux élections du Parlement européen et empêcher un gouvernement dirigé par le Rassemblement national en 2027. Cependant, il est également très probable qu'il antagonise ses partisans centristes et de centre-gauche, qui ont contribué aux deux victoires électorales du président, tout en faisant de la France un pays encore plus intolérant.

 

- Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG. X : @Moulay_Zaid

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com

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