Que l’aviation israélienne puisse détruire un bâtiment à Damas où se réunissent les dirigeants de la force Al-Qods n’est pas chose simple. Que les cercueils de ceux qui ont été visés puissent retourner en Iran et rejoindre ainsi ceux qui les ont précédés ne l’est pas non plus. Israël a effectivement commis lui-même des assassinats et des attaques sur le territoire iranien, mais il est également vrai que la situation est différente depuis l’opération appelée le «Déluge d’Al-Aqsa».
Sommes-nous en train d’assister au remplacement du conflit israélo-arabe par le conflit irano-israélien? Sommes-nous contraints de subir encore longtemps des frappes sanglantes et retentissantes? La clé de l’avenir du conflit israélo-palestinien se trouve-t-elle désormais à Téhéran? Comment pouvons-nous parler de solutions alors que le dirigeant iranien s’attend à la chute d’Israël dans un délai qui ne dépasse pas trois décennies et que des horloges ont été installées à Téhéran comme compte à rebours avant la disparition de la «tumeur cancéreuse»?
Le raid israélien de samedi sur la région de Mezzeh, à Damas, était extrêmement dangereux et important. Israël a-t-il décidé d’inviter l’Iran à une guerre dans laquelle les États-Unis ne peuvent que s’engager? Benjamin Netanyahou estime-t-il que la seule issue pour sortir de l’impasse actuelle est d’étendre le conflit, malgré ses risques et ses coûts? Il est clair que l’Iran ne veut pas d’une guerre à grande échelle. Il préfère combattre l’ennemi par étapes en se servant de ses alliés et de ses mandataires.
Les États-Unis eux-mêmes luttent depuis des mois pour empêcher l’expansion de la guerre. Mais le conflit s’est étendu, quoique à un rythme plus lent. Il y a la guerre parallèle que le Hezbollah mène dans le sud du Liban à fréquence variable. En mer Rouge, les Houthis mènent une guerre faite de drones et de missiles. Il y a aussi l’offensive déclenchée par des factions irakiennes qui vise à expulser les forces américaines du pays qu’ils ont occupé en 2003. Le raid de Mezzeh a attisé les tensions sur le front syrien, malgré le pragmatisme des conditions et des contrôles russes.
Des faits nouveaux devraient être pris en considération dans une partie du Moyen-Orient. Supposons qu’un successeur de Netanyahou fasse part de son soutien à la «solution à deux États». Cela dépendra certainement de la pleine reconnaissance du droit d’Israël à exister. Le gouvernement libanais, qui est sous la garde du Hezbollah, peut-il signer la reconnaissance d’Israël? Le gouvernement syrien peut-il reconnaître Israël, ce qui priverait l’Iran des atouts les plus importants qui ont renforcé son influence au sein du «Croissant de la Résistance»? Le gouvernement irakien peut-il reconnaître Israël après que la loi criminalisant toute normalisation a été promulguée par le Parlement irakien?
Plusieurs événements nous aident à comprendre le rôle d’Israël dans la situation actuelle. En 1998, des pourparlers palestino-israéliens ont eu lieu à Wye River, parrainés par le président Bill Clinton. La séance a failli échouer parce qu’Ariel Sharon voulait s’assurer à l’avance qu’il n’aurait pas à serrer la main de Yasser Arafat. En entrant dans la salle, Arafat l’a salué et lui a tendu la main, mais Sharon n’a pris en compte cette initiative et s’est assis à côté de Netanyahou.
Lorsque Sharon a accédé au poste de Premier ministre, il a pris plaisir à assiéger Arafat et à détruire son quartier général. Le comportement de Sharon constitue le point culminant de l’aveuglement politique. Il était occupé à éliminer l’homme qui avait ouvert la porte aux accords d’Oslo en acceptant des concessions que personne d’autre n’avait osé accepter.
«Le raid israélien de samedi sur la région de Mezzeh à Damas était extrêmement dangereux et important.»
Ghassan Charbel
Toutefois, c’est Netanyahou qui a le plus contribué au désastre. Il a participé à la fermeture des deux voies ouvertes, les accords d’Oslo et l’Initiative de paix arabe. Il a utilisé l’après-11-Septembre, le climat et l’invasion américaine de l’Irak pour compromettre toute chance de rétablir une entente avec un «partenaire palestinien».
Il était connu pour son manque de perspicacité lorsqu’il considérait l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne comme une victoire pour Israël, même si cela conduisait à la montée en puissance d’organisations soutenues par l’Iran. Au cours de son long mandat, Netanyahou a refusé de tenir compte des transformations qui s’opéraient dans certaines parties de la région, la naissance des «armées iraniennes» itinérantes et le rapprochement des «conseillers» iraniens de ses frontières.
La contribution des administrations américaines qui ont succédé à la situation actuelle au Moyen-Orient a certainement été considérable. Elles n’ont pas toutes reconnu l’importance de sauver les accords d’Oslo. Elles n’étaient pas non plus conscientes de l’importance de l’Initiative de paix arabe ni de la nécessité de faire pression sur Israël afin qu’il mette fin à ses tentatives d’écarter le «partenaire palestinien».
Un événement en particulier exprime le manque de prévoyance des États-Unis. Arafat s’était rendu à la session de l’Assemblée générale des nations unies dans la foulée des attentats du 11-Septembre, dans l’espoir de rencontrer le président George W. Bush surtout après qu’il a été confirmé que les attentats étaient l’œuvre d’Al-Qaïda. Bush a refusé de recevoir Arafat. Lors de la soirée réservée aux chefs de délégation, il a dit au secrétaire général de l’époque, Kofi Annan: «Cet homme [Arafat] pense que je vais lui serrer la main. Qu’il serre sa propre main.» Clinton avait communiqué à Bush une évaluation selon laquelle les Palestiniens ne cherchaient pas sérieusement la paix. Clinton agissait comme s’il se vengeait de l’échec des pourparlers de Camp David.
Par ailleurs, l’Iran évolue sur plusieurs fronts. Il a contribué à saper les accords d’Oslo au moyen des attentats-suicides du Djihad islamique et du Hamas. La République islamique a abordé les attentats du 11-Septembre avec une extrême prudence. Elle a d’abord coexisté avec l’invasion américaine de l’Irak, avant de participer à la dégradation de la présence militaire américaine. Elle a réussi à tirer parti de l’émergence de Daech. Elle a également œuvré, avec l’aide de la Russie, à sauver le cercle syrien vital grâce à sa voie vers la Méditerranée. Qassem Soleimani a été l’artisan du «fil iranien» reliant Bagdad à Beyrouth via Damas, en plus de la percée yéménite représentée par la prise de contrôle des Houthis.
Lorsque Yahya Sinwar a déclenché le «Déluge d’Al-Aqsa», le 7 octobre, et qu’Israël a riposté par sa guerre brutale à Gaza, le «fil iranien» s’est consolidé. Que l’Iran ait eu ou non conscience du moment de l’opération, son incidence aurait été impossible sans ses politiques et ses arsenaux disséminés dans toute la région.
L’Iran se trouve désormais aux frontières d’Israël, par l’intermédiaire de ses arsenaux et de ses politiques. Le processus de cessez-le-feu comporte de nouvelles conditions, tout comme la «solution à deux États». Le problème ne vient plus de Sinwar, mais du Guide suprême de l’Iran.
Ghassan Charbel est le rédacteur en chef du quotidien Asharq al-Awsat.
X: @GhasanCharbel
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com