Une grande partie des craintes exprimées au début de la guerre israélienne contre Gaza, selon lesquelles le conflit pourrait s’étendre, sont aujourd’hui devenues réalité. L’Iran, en particulier, a lancé des attaques répétées contre ses voisins, et plus loin encore. Une tendance émerge, similaire à celle observée à l’époque de ce qui avait été qualifié de «Printemps arabe», lorsque Téhéran avait tiré parti des manifestations pacifiques dans les pays arabes, parfois en les encourageant, afin d’étendre son influence, avec un succès considérable. Ces actions sont en contradiction avec l’engagement récemment déclaré de l’Iran en faveur de la diplomatie et du règlement pacifique des conflits avec ses voisins.
S’appuyant sur des supplétifs et des affiliés, l’Iran étend sa sphère d’influence au moyen d’attaques et de menaces répétées, notamment au Pakistan, en Irak, en Syrie, en Jordanie et ailleurs. Si certaines de ces attaques peuvent être considérées comme des réponses limitées et directes aux attaques israéliennes, un grand nombre d’entre elles n’y sont aucunement liées.
À titre d’exemple, le Corps des Gardiens de la révolution islamique iranien (CGRI) a déclaré lundi dans un communiqué avoir lancé une attaque au missile contre un «quartier général du Mossad» dans la région kurde de l’Irak. Cependant, le conseil de sécurité du gouvernement régional kurde a rejeté cette affirmation, précisant que quatre civils avaient été tués et six autres blessés, à la suite de l'attaque d'une maison à Erbil, siège des autorités régionales kurdes d'Irak.
Le ministre irakien des Affaires étrangères, Fouad Hussein, a également rejeté l’affirmation de l’Iran selon laquelle la cible attaquée était liée au Mossad, et a déclaré que Téhéran attaquait Erbil parce qu’il ne pouvait pas affronter directement Israël. L’Iran, a-t-il expliqué, est présent au Liban et en Syrie, juste à côté de la frontière avec Israël, et pourrait également attaquer Israël depuis le territoire iranien avec ses missiles à longue portée, mais il a plutôt choisi d’attaquer Erbil.
Le même jour, l’Iran a tiré des missiles balistiques sur Alep, prétendant cibler un groupe terroriste, mais sans confirmation de sources indépendantes concernant la nature de la cible. En Jordanie, ce que l’on suppose être des milices soutenues par l’Iran, et les trafiquants de drogue qui y sont affiliés, ont mené au cours des dernières semaines des attaques armées audacieuses, entraînant des frappes aériennes de représailles de la Jordanie sur leurs caches en Syrie.
Même si certaines de ces attaques peuvent être considérées comme des réponses limitées et directes aux attaques israéliennes, un grand nombre d’entre elles n’y sont aucunement liées
Dr Abdel Aziz Aluwaisheg
Mardi, l'Iran a annoncé avoir lancé des missiles et des drones contre de présumées cibles terroristes au Pakistan. Islamabad a cependant rejeté cette affirmation, signalant que deux enfants avaient été tués et trois autres blessés dans un petit village du Baloutchistan.
En représailles, le Pakistan a rappelé son ambassadeur en Iran, et a empêché l’ambassadeur de Téhéran de revenir. Jeudi, il a mené en représailles à l’intérieur de l’Iran des frappes militaires contre ce qu’il a décrit comme des «repaires de militants séparatistes».
L'Iran a une frontière commune de 900 km et entretient des relations normales avec le Pakistan. Il aurait pu utiliser la voie diplomatique pour faire part de ses préoccupations au lieu d'attaquer les villageois pakistanais dans leurs maisons. Cette escalade iranienne a manifestement suscité de sérieuses inquiétudes au Pakistan.
Outre les mesures militaires et diplomatiques prises par Islamabad, le Premier ministre par intérim, Anwaar-ul-Haq Kakar, qui participe au Forum économique mondial de Davos, et le ministre par intérim des Affaires étrangères, Jalil Abbas Jilani, en visite en Ouganda, vont écourter leur voyage et rentrer à Islamabad.
En parallèle, les États-Unis ont déclaré qu’ils pensaient que l’Iran était «profondément impliqué» dans la planification des opérations actuelles contre les navires commerciaux en mer Rouge. Les États-Unis et d’autres forces internationales opérant dans la région ont intercepté à plusieurs reprises des armes fournies par l’Iran à destination des Houthis, dont une livraison de missiles la semaine dernière.
En octobre, les Houthis ont lancé des attaques de missiles et de drones contre Israël, en réponse à sa guerre contre Gaza, mais ils ont ensuite commencé à cibler dans la mer Rouge ce qu’ils estimaient être des navires à destination d’Israël. Même si l’objectif déclaré des Houthis était de mettre fin à la guerre à Gaza, il y a peu de preuves que leurs agissements aient influé sur le cours des événements. Depuis le 19 novembre, la milice a élargi le champ de ses cibles pour inclure d’autres navires qui n’ont pas forcément de liens avec Israël.
Fin décembre, un commandant du CGRI a même déclaré que la mer Méditerranée «pourrait être fermée», ont rapporté des médias iraniens, sans expliquer comment cela se produirait, l’Iran n’ayant pas d’accès direct à la Méditerranée. «Ils constateront bientôt la fermeture de la mer Méditerranée, du détroit de Gibraltar et d'autres voies navigables», a rapporté l'agence de presse semi-officielle Tasnim, citant le général de brigade Mohammed Reza Naqdi, «commandant de la coordination» du CGRI. À cette période, les Houthis, alignés sur l’Iran, avaient commencé leurs attaques contre les navires marchands naviguant dans la mer Rouge, conduisant certaines compagnies maritimes à changer d’itinéraire.
Naqdi a parlé de «la naissance de nouvelles capacités de résistance et de la fermeture d’autres voies maritimes». Il a ajouté qu’«hier», le Golfe et le détroit d’Ormuz étaient devenus «pour eux un cauchemar», et qu’«aujourd’hui, ils sont piégés… dans la mer Rouge».
Un grand nombre de ces attaques et de ces menaces tirent profit de la guerre dévastatrice à Gaza, qui en est maintenant à son quatrième mois, et où l’on dénombre officiellement plus de 24 000 morts, tandis que les souffrances et les destructions ont dépassé tout ce que cette région avait connu auparavant.
L’un des facteurs déterminants ayant contribué à cette situation est l’incapacité du Conseil de sécurité de l’ONU à faire appliquer le droit international, à mettre fin à la guerre, et à fournir l’aide humanitaire nécessaire. Lorsqu’Israël est autorisé à bafouer les règles du droit international en toute impunité, avec le soutien ou l’assentiment de grandes puissances telles que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne, d’autres pays tenteront de mettre ces règles à l’épreuve et de faire de même.
En conséquence, plus l’agression manifeste d’Israël contre Gaza se prolongera, plus d’autres pays et groupes armés seront susceptibles de se faire justice eux-mêmes pour étendre leur influence et régler leurs comptes, déstabilisant ainsi davantage la région.
De même, l’application laxiste de l’embargo sur les armes imposé aux Houthis par la résolution 2216 de 2015 du Conseil de sécurité de l’ONU leur a permis de renforcer leurs capacités offensives au stade où nous le constatons aujourd’hui, leur permettant ainsi de constituer un défi à la liberté de navigation.
Un rétablissement de la confiance et du respect des règles de conduite mondiales et de l’application du droit international est donc absolument nécessaire. Alors que les États-Unis semblent être pris en otage par leur politique traditionnelle de soutien instinctif à Israël, en particulier en période électorale, d’autres puissances, grandes et petites, doivent prendre le relais. L’Afrique du Sud a fait sa part en intentant une action en justice devant la Cour internationale de Justice contre Israël, d’abord pour ses actions en Cisjordanie et maintenant contre la guerre à Gaza, dans l’espoir de mettre fin à la guerre et et que des comptes puissent être rendus.
Le Dr Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), en charge des affaires politiques et des négociations.
Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et n’expriment pas nécessairement celles du CCG.
X: @abuhamad1
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com