Gaza versus Ukraine: la solidarité sélective, vertu cardinale de l’Occident

On se souvient des destructions des Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, et de l’énorme tollé que cela avait suscité à travers le monde «libre». (AFP).
On se souvient des destructions des Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, et de l’énorme tollé que cela avait suscité à travers le monde «libre». (AFP).
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Publié le Mercredi 10 janvier 2024

Gaza versus Ukraine: la solidarité sélective, vertu cardinale de l’Occident

Gaza versus Ukraine: la solidarité sélective, vertu cardinale de l’Occident
  • La destruction des monuments historiques est qualifiée de «crime de guerre» par l’Unesco
  • En près de trois ans, l’Ukraine eut à déplorer la destruction de plus de 150 sites culturels. Or, Gaza en déplore plus de 100 rien qu’en trois mois

On se souvient des destructions des Bouddhas de Bâmiyân, en Afghanistan, et de l’énorme tollé que cela avait suscité à travers le monde «libre». Les médias en avaient fait l’abomination du siècle. Sur les datations (entre le IVe et le VIIIe s.), archéologues et historiens ne s’avancent pas. Et ce n’est pas l’érudit musulman Al-Biruni qui peut nous fixer, ce qu’il écrivit au XIe siècle sur les Bouddhas de Bâmiyân ayant disparu.

Kiev, oui; Gaza, non!

En Ukraine, les Russes auraient détruit plus de 150 sites historiques. Parmi lesquels figurent plusieurs monuments classés par l’Unesco. Pour la reconstruction, prévue après la guerre, «le ministère de la Culture et de la Politique de l'information (MCIP) recherche des partenaires pour la restauration complète de sites du patrimoine culturel. L'Italie participera à la restauration des monuments de la ville d'Odessa»(1).

Le Conseil international des musées (Icom) a déjà préparé une liste rouge des sites et monuments détruits: «Depuis février 2022, l’Icom, ses Comités nationaux et ses membres ont travaillé sans relâche pour aider leurs collègues professionnels des musées en Ukraine, en envoyant de l’aide matérielle, en apportant du soutien, notamment en organisant des opérations de secours»(2). Par ailleurs «L’Unesco développe, avec ses organisations partenaires, un mécanisme d’évaluation, y compris l’analyse d’images satellites, conformément aux dispositions de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit»(3).

Mais si la Communauté internationale se soucie tant de ces destructions barbares (l’adjectif est adéquat), c’est parce que les destructeurs n’appartiennent pas au «monde civilisé». Cela tombe sous le sens, n’est-ce pas? Il faut alors conclure qu’Israël fait partie de ce monde, ne serait-ce que parce qu’Israël est le poste avancé de l’Occident au Proche-Orient. Ce qui explique le deux poids, deux mesures auquel on assiste entre le souci que les gouvernants du monde «libre» se font pour Kiev et leur indifférence à l’égard de Gaza: l’assassinat (oui) de près de 23 000 gazaouis et la destruction du patrimoine historique méritent pourtant le même qualificatif de «barbares».

Un plan délibéré: l’effacement d’un peuple

Ce qui se passe à Gaza depuis trois mois, et concernant les sites historiques millénaires, ce n’est plus l’éradication d’un ennemi qui est à l’œuvre mais une désintégration délibérée. Oui, délibérée, et c’est le site Médiapart qui le souligne: «Selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, Israël détruit intentionnellement des sites culturels et historiques à Gaza.»(4) On sait que Gaza en connut d’autres dévastateurs, et parmi les plus célèbres: Alexandre le Grand. On avait trouvé dans cette ville une statue de Zeus datant du IIe siècle. Pour l’Islam, c’est avant tout la ville où serait mort l’arrière-grand-père du Prophète.

Ce qui se passe à Gaza depuis trois mois, et concernant les sites historiques millénaires, ce n’est plus l’éradication d’un ennemi qui est à l’œuvre mais une désintégration délibérée. «Selon l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme, Israël détruit intentionnellement des sites culturels et historiques à Gaza», souligne le site Médiapart

Mais pour le judaïsme, Gaza est d’abord la ville qui valut la colère terrible du prophète Amos, comme il est écrit dans la Bible hébraïque (Amos 1. 1-15 et 2. 1-16) (5):

«Pour trois crimes de Gaza et pour quatre,

Je l’ai décidé sans retour!

J’enverrai le feu dans le rempart de Gaza

Et il dévorera ses palais (…)

Et ce qui reste des Philistins périra…»

Alors qu’en Ukraine, l’Unesco se démène, pour Gaza, l’organisation se contente de lancer des appels à l’arrêt immédiat des frappes. Certes, Israël ne laisse pas la ville «respirer», en rejetant toute demande de trêve… Mais que fait le Conseil de sécurité? Et que fait la CPI?

La destruction des monuments historiques est qualifiée de «crime de guerre» par l’Unesco, du moins ce fut le cas des ruines de Palmyre, en 2015, et des mausolées de Tombouctou, en 2012. En près de trois ans, l’Ukraine eut à déplorer la destruction de plus de 150 sites culturels. Or, Gaza en déplore plus de 100 rien qu’en trois mois. Ainsi, l’église Saint-Porphyrius, vieille de mille six cents ans, fut bombardée le 20 octobre 2023. Il y a à peine un mois, le 9 décembre 2023, la mosquée Al-Omari (du nom du calife Omar Ibn al-Khattab), qui date du VIIIe siècle, fut détruite. On peut encore citer: le site archéologique d’Al-Balakhiya et l’ancien port de Gaza, vieux de plus de deux mille cinq cents ans! Le musée Rafah, le musée Al-Qarara, le musée Deir Al-Balah, le cimetière romain, vieux de deux mille ans…

Un camp de concentration ne suffisait pas

Les Archives municipales, complètement rasées, avec leurs milliers de documents historiques vieux de plus d’un siècle. Ce qui constitue «un coup dévastateur à la mémoire collective palestinienne. Ces archives, qui renfermaient des récits, des actes et des témoignages irremplaçables, représentent «une perte incommensurable pour l’histoire et la recherche historique dans la région».(6)

Car c’est bien l’effacement de la mémoire collective des Gazaouis et, par le déplacement de la population, l’anéantissement de l’identité palestinienne que l’armée israélienne vise. Face à ce génocide, la fallacieuse Communauté internationale tergiverse, se contentant de mises en garde et d’appels à la «modération». Et l’extrême-droite israélienne, parti et militants, s’en réjouit, alors qu’au Conseil de sécurité les États-Unis imposent veto après veto, tout en continuant de renflouer «l’armée la plus morale du monde»!

Impunité. Elle est là, la puissance d’Israël, pas dans son arsenal ni dans l’héroïsme de ses soldats. Une extrême-droite sans complexe réclame un plan diabolique d’épuration, comme si Gaza, camp de concentration, ne suffisait pas! Reste un espoir, et cet espoir est porté par des peuples, non des gouvernements: des voix s’élèvent dans le monde, qui osent parler de fascisme. Voire d’un relent de nazisme! En 1960, déjà, évoquant les «Lois fondamentales de l’État d’Israël»(7), Joseph Badi écrivait: «L’ironie du sort a voulu que les mêmes thèses biologiques et racistes, propagées par les nazis et qui ont inspiré les infamantes lois de Nuremberg, servent de base à la définition de la judaïcité au sein de l'État d'Israël»(8)!

Vous avez dit: «la seule démocratie de la région»?

1 https://www.nlto.fr/author/Joseph-Martin/
2 icom.museum/fr/news/liste-rouge-durgence-des-biens-culturels-ukraine/
3 Unesco 
4 Middle East Eye
5 Cf. G. Harkness, Les Sources de la morale occidentale, ch. V: La première morale des Hébreux, p. 125, Payot, 1957
Mediapart 
Hollanderbooks 
8 J. Badi: Fundamental Laws of State of Israel, N-Y, 1960, p. 156).

 

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

X: @SGuemriche

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com