Pour l’économiste JK Galbraith, «la seule fonction de la prospective est de rendre l’astrologie respectable». Pourtant, chaque fin décembre, nous contestons cette mise en garde et projetons nos réflexions et nos aspirations sur l’année qui s’annonce. Je me prête moi aussi à cet exercice, car, même si la Covid-19 continue de contraindre les ambitions de nombreux acteurs du sport et des mégaévénements, je pense que 2021 sera prometteuse pour l’innovation technologique et pour les territoires les plus ambitieux.
Tout d’abord, il est clair que la dégradation financière et la fragilisation de nombreuses instances sportives se maintiendront.
À l’instar des Jeux de Tokyo 2020 ou de l’Euro 2020, plusieurs mégaévénements de sport se distingueront par leur tenue en 2021. De nombreuses Ligues de football avaient suspendu leurs saisons, mais l’Union des associations européennes de football (UEFA) a décidé de reporter le championnat d’Europe 2020 à 2021. Un report à 300 millions d’euros, moins coûteux que les 400 millions d’une annulation. Moins heureux, les Mondiaux de tennis de table qui devaient se dérouler en mars 2021, un an après leur date initiale, sont finalement annulés après trois reports consécutifs.
Dans le sport automobile, la qualité des simulations de course et leur ultraréalisme permettent à de nombreux prodiges de se révéler sans même devoir financer de coûteuses centaines d’heures de conduite
Philippe Blanchard
C’est toutefois au Mouvement olympique qu’incombe la palme de la malchance. Le comité d’organisation japonais a dévoilé à la fin de décembre la cinquième version du budget de Tokyo 2020: 15 milliards de dollars (1 dollar = 0,82 euro), dont près de 900 millions de dollars pour la seule prophylaxie contre la pandémie. Saluons donc l’engagement du gouvernement japonais et du Comité international olympique (CIO) qui maintiennent la compétition alors même qu’il serait plus avantageux pour eux, financièrement, de l’annuler. Reconnaissons également la formidable mobilisation des partenaires japonais qui financeront ces Jeux à hauteur historique de 3,3 milliards de dollars, en complément de la contribution directe du CIO (800 millions de dollars) et des 500 millions des partenaires internationaux (source FrancsJeux.com).
Sur le plan positif, nous continuerons de constater la montée en puissance de la technologie dans le sport et les mégaévénements.
Beaucoup d’acteurs chercheront de nouveaux revenus dans les paris sportifs et l’intelligence artificielle (comme les Russes de Ligastavok); dans la télévision par contournement – ou over-the-top service (OTT) en anglais, des nouveaux services qui mettent à disposition des contenus audiovisuels sur Internet sans passer par les diffuseurs traditionnels –; dans la ludification (gamification) des contenus…
La généralisation de l’électronique embarquée (wearables) continuera de permettre aux athlètes de mieux gérer efforts et gestes techniques et de donner aux entraîneurs et aux clubs de précieuses informations sur le potentiel de leurs équipes. Ces outils s’intégreront dans des solutions de plus en plus complètes pour arriver à l’évaluation du «statut fonctionnel» de l’athlète et du gamer: une prise en compte dynamique des composantes physiologiques, biologiques et psychologiques, à l’exemple des services proposés par les sociétés LifePeak et SystemT. Ces solutions déborderont d’ailleurs de l’arène purement sportive pour conquérir des pans entiers de la médecine prédictive, notamment pour les métiers critiques et pour les populations à risque.
2021 verra également la montée en puissance de la combinaison sport et eSport. Dans le sport automobile, la qualité des simulations de course et leur ultraréalisme permettent à de nombreux prodiges de se révéler sans même devoir financer de coûteuses centaines d’heures de conduite. Nous pouvons donc nous attendre à voir de nouveaux champions réitérer les performances d’un George Russell (F1) ou d’un Sage Karam (IndyCar). Parallèlement, le portefeuille de contenus sportifs disponibles en réalité virtuelle continuera de croître en 2021 avec la production d’expériences entièrement immersives. Qui ne rêve pas de suivre les étapes du Paris Dakar en Arabie saoudite, en réalité virtuelle, et de se mesurer avec d’autres téléspectateurs?
Beaucoup d’acteurs chercheront de nouveaux revenus dans les paris sportifs et l’intelligence artificielle ainsi que dans de nouveaux services qui mettent à disposition des contenus audiovisuels sur Internet sans passer par les diffuseurs traditionnels
Philippe Blanchard
En conclusion, et c’est le développement le plus saillant, la place croissante du Moyen-Orient dans les mégaévénements sportifs ou culturels consacrera encore plus les évolutions géopolitiques actuelles. Cela fait plusieurs années que les vibrantes Riyad, Abu Dhabi et Doha attirent des talents uniques en sport, en architecture et en projets complexes, que le puissant cheikh koweïtien Ahmed al-Sabah préside aux heureuses destinées du Conseil olympique d’Asie…
Les derniers préparatifs de Dubai Expo 2020 ainsi que ceux de grands événements sportifs dans la region continueront de canaliser l’arrivée d’experts spécialisés, et ce réservoir de talents bénéficiera à la préparation des deux éditions des Jeux asiatiques de 2030 et 2034. Il soutiendra également les nombreux projets de développements régionaux comme Ithra, Neom ou Qiddiya (Arabie saoudite) ou Yas Island (Émirats arabes unis). À titre personnel, je suis confiant: cette dynamique suscitera de nouveaux engagements, comme la candidature à une prochaine Exposition universelle dans le Moyen-Orient, faisant de 2021 une bien meilleure année que celle que nous sommes en train de clôturer.
Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et eSports du Futur.
Twitter: @Blanchard100
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.