Annus horribilis pour les uns, annus mirabilis pour les autres… 2020 fut une année singulière pour le monde du sport et de l’eSport, et je ne résiste pas au plaisir de parcourir quelques faits marquants, économiques ou symboliques, marqueurs des développements futurs de ce monde du sport que j’aime tant.
Au niveau économique, la Covid-19 fut le déclencheur de changements majeurs. Annus horribilis pour le financement du sport: un coronavirus de 90 nanomètres terrasse un secteur économique de près de 670 milliards de dollars (1 dollar = 0,82 euro). Infime David, énorme Goliath: Jeux olympiques de Tokyo 2020 reportés, compétitions annulées, tous les sports impactés, fermeture des stades au public, mobilisation du Comité international olympique (CIO) et de la Fédération internationale de football association (Fifa) pour soutenir financièrement leurs représentants et fédérations nationales respectifs, désengagement des sponsors…
Une multitude d’experts, quelques-uns reconnus et beaucoup autoproclamés, envahirent l’espace médiatique pour prédire le monde d’après. Pour ne pas disparaître, il faut penser la place de la technologie dans le sport. Elle mesure, compare, crée des espaces et des challenges virtuels, efforts physiques bien réels mais avec des intermédiaires ou à distance. Sentiment ubuesque devant certaines initiatives, comme celle de la Fédération internationale de natation (Fina) qui propose un défi virtuel, de natation synchronisée sur terre ferme, dont les épreuves seront ensuite rediffusées sur Instagram avec le filtre «effet sous-marin».
Annus mirabilis par contre pour l’eSport qui enrichit ses lettres de noblesse. Fort d’une distanciation sociale «naturelle» mais aussi de la qualité de ses jeux et de ses bénéfices cognitifs, l’eSport apprécie le revirement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui taxait les jeux vidéo de «désordre addictif» en 2018, mais qui s’engage en 2020 dans une campagne de promotion, #PlayApartTogether, avec les industriels du secteur.
Sur la question raciale aussi, 2020 est une année contrastée: l’assassinat de Georges Floyd et la mondialisation du mouvement «Black Lives Matter» envahissent l’arène sportive. D’un côté, le CIO maintient l’interdiction de toute manifestation d’opinion, religieuse ou politique, dans le cadre des Jeux (la règle 50 de la Charte olympique). Engagement essentiel pour préserver la dimension rituelle des Jeux olympiques et pour éviter tout ambush marketing, la «réutilisation abusive» de l’image et de la puissance symbolique des Jeux.
Fréquemment, le président du CIO s’engage publiquement sur cette voie. Il exhorte ses partenaires à ne pas faire des Jeux «une place de foire, de manifestations de tout ordre, qui diviseraient le monde au lieu de l’unifier». Cette position de neutralité est contestée par Sir Sebastian Coe, le président de World Athletics, qui décerne un trophée aux médaillés contestataires du 200 mètres à Mexico en 1968, MM. Smith, Norman et Carlos pour que «tous les athlètes deviennent des étudiants de leur sport, qu’ils comprennent leur histoire», car ils sont «une partie essentielle de cette histoire».
Certains voient dans la manœuvre symbolique de Sir Sebastian une nouvelle étape dans la préparation de sa candidature pour le CIO. En parallèle, le Comité olympique et paralympique américain (USOPC) s’engage aussi dans l’arène olympique pour régler des questions purement domestiques (relations avec ses athlètes) et financières (relations avec ses sponsors): l’USOPC déclare en décembre qu’il ne sanctionnera pas les athlètes américains pour des manifestations «respectueuses» en faveur de la justice raciale et sociale, aux jeux de Tokyo l’an prochain. Cette décision suivrait les recommandations du nouveau «Conseil de justice raciale et sociale» de l’USOPC et de la menace de plusieurs sponsors américains. Annus horribilis pour la neutralité des Jeux, la récupération politique… mais annus mirabilis pour les questions raciales?
Sur le plan géopolitique enfin, annus horribilis avec le Rodchenkov Act aux États-Unis. Une des dernières lois ratifiées par le président Donald Trump permettra à la justice américaine de poursuivre toute personne, quelle que soit sa nationalité, impliquée dans un système international de dopage. L’Agence mondiale antidopage (AMA) se voit affaiblie dans sa mission de régulateur global. Par cette nouvelle juridiction extraterritoriale, les États-Unis confirment leur vision géopolitique du sport: «America first»… Annus mirabilis, a contrario, avec l’implication accrue du Moyen Orient dans les projets de développement du sport et de l’eSport: la princesse Reema benta Bandar al-Saoud est élue membre du CIO.
La présidence saoudienne du groupe des vingt (G20) invite les Comités nationaux olympiques à une réflexion collective. La cavalière Dalma Malhas, qui avait remporté la première médaille saoudienne (bronze en saut d’obstacles, Jeux olympiques de la jeunesse de 2010), apporte son enthousiasme aux équipes de la candidature de Riyad aux Jeux asiatiques: le royaume d’Arabie saoudite hébergera l’édition des Jeux de 2034. Doha, celle de 2030.
2020 fut bien une année charnière, elle restera dans les annales comme celle qui nous aura permis d’identifier comment le sport évoluera dorénavant.
Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et eSports du futur.
Twitter: @Blanchard100
NDLR: Les opinions exprimées par les rédacteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.