Il y a six mois, en pleine première vague de la Covid-19, 13 000 supporters non masqués suivirent un match de football entre Mönchengladbach et Bayern, sans que les clubs n’enfreignent la loi. Il n’y eut aucune contagion, ni excès ou débordements. Ils étaient pourtant bien visibles, payant chacun 19 euros leur présence dans le stade, le prix fixé pour se faire tirer le portrait sur du carton et être représenté dans les gradins. Cette initiative fut répliquée à plusieurs reprises.
D’autres compétitions se tinrent à huis clos dans des stades qui reproduisaient artificiellement les rumeurs de la foule… avec la Covid-19, le monde du sport cherchait à gérer son évolution et il apparaissait clairement que le «12e homme» (1) devait être présent dans le «sport d’après». Le fan contribue aux recettes, il est un relais d’opinion dans les réseaux sociaux… Élément essentiel de la médiatisation et monétisation, quelle est sa place dans l’arène sportive? Le représenter facticement est une erreur de jugement et un refus de projection dans les nouvelles réalités du sport. Il nous faut maintenant solliciter la technologie, car c’est elle qui nous apporte et apportera les clés des succès à venir.
Les apports de la technologie au fan ont d’abord visé la croissance de sa population. Ce fut une démarche «descendante», du club vers le fan. Avec la radio puis la télévision, le club a débordé de son arène régionale et a appréhendé le monde dans sa globalité. Manchester United compte plusieurs millions de fans en Chine et des associations très actives, comme les Shenzhen Reds. L’internationalisation et les médias sociaux apportent de nouvelles opportunités et comblent les fans étrangers tout en finançant le sport: la Fédération espagnole de football (RFEF) peut ainsi se réjouir du soutien du royaume de l’Arabie saoudite qui devrait de nouveau accueillir, du 13 janvier au 16 janvier 2021, la Supercoupe d’Espagne pour la plus grande joie de leurs nombreux fans, bien au-delà du seul Moyen-Orient.
Dorénavant, la technologie doit concilier les objectifs contradictoires de «cardinalité» (le nombre) et ceux d’«intimité» entre le fan et son club, bien au-delà de la seule «connaissance». Privé de la ferveur collective du stade ou de la fan zone, le supporter exige encore plus une interaction «ascendante», avec son héros sportif et l’espace de compétition. Le salon devient la nouvelle fan zone. Imaginons-nous, chez nous, en train de suivre un match de foot au Stade de France, ou une compétition d’e-sport (sport électronique) dans le premier des sites saoudiens qui fut inscrit au patrimoine de l’Unesco, la cité antique d’AlUla. Comment alors encourager notre équipe favorite, comment entretenir l’énergie et l’émotion collectives, la communion de la foule et la sacralité du lieu?
La technologie nous apporte ces nouvelles modalités d’usage: pour raconter des histoires, pour structurer les images, pour visualiser des données…, et donc pour augmenter l’intimité avec le fan. La communication ascendante rend le fan actif au cœur de l’événement. Des entreprises s’y attellent, comme la française Dimoba qui crée un cadre d’interaction avec vidéo et quiz, ou l’égyptienne ArqamFC. Cette dernière, aujourd’hui filiale du britannique Statsbomb, recueille plus de 5 000 points de données lors de chaque match: passes, reprises de balle, pénalités…
Les données sont ensuite analysées et restructurées pour les clubs et leurs fans. En février 2021, pour la prochaine édition du ePrix de Diriyah, les passionnés de Formule E (monoplace électrique) pourront de nouveau utiliser le FanBoost afin d’attribuer au pilote de leur choix un coup de puissance supplémentaire. En influençant le résultat de la compétition, le fan contribue alors directement à la performance sportive. C’est un des enjeux du «sport d’après»: définir et mettre en œuvre ces environnements réellement immersifs, tout en redéfinissant le cadre de ces interactions. C’est la clé de la nouvelle symbiose du sportif et de ses fans. Ce dernier, dont le nom latin fanaticus venait du mot fanum («temple»), apporte alors plus que seules ferveur et passion, il contribue maintenant directement au triomphe de son héros.
(1) Nom donné au public d'un match de football où deux équipes de onze joueurs s'affrontent.
Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique, puis en charge du dossier technique de Dubai Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation, des sports et e-sports du futur.
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