La question du «vaccin qui sauverait les jeux de Tokyo», la visite par le président de la Fédération internationale de football association (Fifa) des infrastructures pour la Coupe du monde de Football de 2022, la forte mobilisation de Riyad dans sa candidature pour l’Exposition universelle de 2030 ou la compétition régionale pour la tenue des Jeux asiatiques de 2030…
Le mégaévénement est de plus en plus régulièrement au cœur de notre actualité, comme si c’était un moyen d’exorciser les craintes générées par la pandémie de Covid-19 et de panser les plaies de notre siècle. Force est de constater la polarisation croissante du débat. Partisans et opposants s’affrontent sur tout: contraintes sanitaires, coûts exorbitants, dilapidation d’argent public, ou encore sur le rôle politique considérable d’organisations privées soumises à des dérives éthiques…
Pour paraphraser le Dr Beatriz Garcia, de l’université de Liverpool, c’est comme si la Ville, le Grand-Événement et l’Émotion étaient devenus les constituants de nouvelles «plates-formes de narration, de réinvention et de construction d’identité de nos territoires». Cette dimension passionnelle témoigne à la fois de l’incompréhension de la complexité technique d’une part et du côté émotionnel, positif ou négatif, attaché à ces événements d’autre part. Et si c’était justement cette valeur émotionnelle qui faisait toute la spécificité du mégaévénement et des bénéfices pour le territoire hôte, ses populations, mais aussi pour notre humanité en général?
Stricto sensu, un mégaévénement est un événement d’une ampleur et d’une complexité importantes. Il se caractérise par une forte attractivité des visiteurs, une couverture et un impact très médiatisés, des coûts d’organisation élevés, un besoin (ou une opportunité) de développement ou de redéploiement d’infrastructures.
En conséquence, il a en général un réel impact transformateur. Le concept de mégaévénement embrassait initialement la Coupe du monde de la Fifa, les Expositions universelles du Bureau international des Expositions (BIE) et les Jeux olympiques du Comité international olympique (CIO). Cette désignation de mégaévénement est devenue un «insigne d’honneur» et d’autres événements, de plus petite échelle ou de couverture plus limitée, revendiquent aussi l’appellation de mégaévénement: les Jeux asiatiques, panaméricains, les Jeux du Commonwealth...
Derrière la question terminologique, «mégaévénement» ou «événement majeur», on retrouve plusieurs caractéristiques techniques. Tout d’abord, l’existence de nombreuses parties prenantes, aux objectifs locaux, nationaux et internationaux parfois antagonistes.
Ensuite, un rôle croissant de la technologie pour la bonne tenue de l’événement, la télédiffusion, la sécurité… Enfin, le rôle du territoire hôte et ses ressources. Tous ces ingrédients participent et contribuent à la complexité du projet: il faut gérer la diversité des parties prenantes, l’adaptation des objectifs et l’évolution du contexte géopolitique et technologique.
Le rôle de la ville hôte est essentiel. Le contenu et la nature juridique du contrat (territoire hôte, pays hôte et organisme faîtier – en Suisse, synonyme de central) reconnaissent l’ampleur de la responsabilité opérationnelle et financière de la ville d’accueil. Mais en apportant son âme et sa vision plus encore que la simple mise à disposition de son infrastructure ou de ses ressources humaines et financières, elle apporte l’âme et la matérialisation du concept de l’événement. C’est par elle qu’il devient concret, physique même avec les dimensions online. Elle nourrit l’événement de ses ambitions et aspirations. Elle a un impact structurant sur l’esprit de l’événement. Toutes les parties prenantes vivent alors une expérience unique.
Lillehammer 1994 se distinguera toujours de Sotchi 2014, tout comme Tokyo 2020 sera différent de Beijing 2008 ou Rio 2016. Si elle est élue par le BIE pour accueillir le monde à l’Exposition universelle de 2030, Riyad pourra s’inspirer des forces et découvertes de Dubaï Expo 2020 mais elle créera une empreinte, un ADN radicalement différents. La République populaire de Chine pourra se représenter pour une Exposition universelle mais elle ne répliquera jamais Shanghai 2010.
En apportant sa touche unique, en s’inspirant du Zeitgeist («esprit du temps») et en le marquant, chaque ville hôte donne vie au concept d’universalité revendiqué par le BIE, le CIO ou la Fifa pour leur événement phare: Exposition universelle, Jeux olympiques ou Coupe du monde. Au cours du XXe siècle, la Grèce a tenté en vain de «rapatrier» les Jeux olympiques sur le sol qui les a vu naître et renaître mais elle en aurait alors tué l’attractivité et la pertinence. Chaque édition des Jeux olympiques, Coupe du monde ou Exposition universelle nous donne une vision stroboscopique de notre monde qui change, de notre humanité en action.
Alors que les sociologues nous parlent de standardisation de nos communautés et modes de vie, que les produits et services s’unifient et que les modes de gouvernance et de conformité éthique (Compliance) tentent de s’imposer partout et à tous, le mégaévénement permet à un territoire, à une culture et à un pays de mettre en avant sa vision de la modernité et sa contribution à notre humanité. Il permet de dépasser l’injonction «Modernisation égale Occidentalisation». Tous, nous devons nous réjouir que, forts de ces aspirations, des pays ambitieux s’engagent résolument dans ces plates-formes de dialogue et d’échange que sont les mégaévénements.
Philippe Blanchard a été directeur au Comité international olympique puis en charge du dossier technique de Dubaï Expo 2020. Passionné par les mégaévénements, les enjeux de société et la technologie, il dirige maintenant Futurous, les Jeux de l’innovation et des sports et esports du Futur.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.