Organisé conjointement par Bagdad et Paris, le Sommet de Bagdad d’août 2021 avait pour but de favoriser le soutien régional et international à l’Irak, tout en renforçant l’influence de la France au Moyen-Orient. La liste des invités comprenait les présidents égyptien et irakien, le Premier ministre des Émirats arabes unis (EAU) et l’émir du Qatar, mettant ainsi en lumière l’influence croissante de la France dans une région jusqu’ici réservée aux intérêts stratégiques anglo-américains. Alors que les relations françaises se développent dans la région, il semble évident que ce sommet et ses successeurs ne représentent qu’un aspect des ambitions croissantes de Paris au Moyen-Orient.
L’Irak a toujours été un pilier de la politique régionale française. En 2003, la France s’est opposée à l’invasion américaine en partie en raison des intérêts commerciaux importants des compagnies pétrolières françaises Total et Elf Aquitaine dans le pays. Après avoir signé des accords d’une valeur de 27 milliards de dollars (1 dollar = 0,91 euro) supplémentaires dans le domaine de l’énergie et de l’eau en 2021, l’Irak revêt à nouveau une importance cruciale pour la France. À ce titre, Paris est le deuxième contributeur aux missions de soutien à la lutte de l’Irak contre Daech (opération Inherent Resolve et mission Otan en Irak) et un investisseur étranger important dans un pays qui peine à attirer des financements.
La Jordanie a accueilli le dernier sommet, au grand dam de l’Irak. Bagdad a fait tout son possible pour organiser la troisième réunion en novembre sous le thème «Intégration économique et stabilité régionale». Alors que le précédent sommet avait abouti à l’accord de partenariat stratégique irako-français, signé en janvier 2023, suivi du projet du Qatar d’acquérir une participation de 30% dans les projets de Total en Irak, la réunion prévue le mois dernier était un moment important pour le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, et le président français, Emmanuel Macron. Ils espéraient élargir leurs partenariats dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et de la défense, mais le déclenchement du conflit entre Israël et le Hamas a reporté ces projets à une date indéterminée.
Le report de la réunion n’a cependant pas tempéré les ambitions de la France dans le reste de la région. Bien que M. Macron ait initialement eu une position typiquement pro-israélienne, il a récemment tempéré le soutien français à Israël tout en soutenant les efforts de trêve du Qatar et en utilisant la récente COP28 à Dubaï pour faire progresser les initiatives diplomatiques. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre d’un véritable essor, au moment où les entreprises françaises continuent de signer des contrats à plusieurs milliards de dollars dans la région.
Le géant français de la défense Airbus connaît un succès aux EAU et en Arabie saoudite avec de récentes commandes d’avions civils. Dassault est engagé dans des négociations en cours avec l’Arabie saoudite et l’Irak pour la vente de son avion Rafale. Les EAU et le Qatar, quant à eux, prennent actuellement possession de leurs propres avions. Safran, le deuxième constructeur aéronautique mondial, a signé des contrats d’une valeur de plus d’1,2 milliard de dollars avec la compagnie aérienne Emirates lors du salon aéronautique de Dubaï le mois dernier, à la suite d’un accord signé séparément avec la Saudi Arabian Military Industries.
Ces ventes dans le domaine de la défense et de l’industrie aérospatiale trouvent écho dans d’autres secteurs. Les EAU ont collaboré avec la France dans le domaine énergétique et, en juillet 2022, TotalEnergies et la Compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi (Adnoc) ont signé un accord d’approvisionnement en énergie dans un contexte d’insécurité énergétique dû au conflit russo-ukrainien.
La France entretient également des liens étroits avec l’Arabie saoudite, avec laquelle elle partage des intérêts stratégiques dans la région. Par ailleurs, les conseillers français ont joué un rôle décisif dans l’élaboration des plans de l’initiative Vision 2030 du Royaume, notamment en termes de renforcement des capacités du secteur spatial national et d’élaboration d’accords de coopération énergétique et de développement des énergies renouvelables.
La France et le Qatar poursuivent leur collaboration, fondée sur le rôle central de TotalEnergies dans le développement de cet État du Golfe. Le Qatar a également bénéficié de l’aide française dans le domaine de la diversification économique. Au début de l’année, il a accepté de fournir à TotalEnergies du gaz naturel liquéfié pour les vingt-sept prochaines années, soulignant ainsi la coopération entre les deux pays.
La coopération de la France dans le monde des affaires se reflète dans le développement de l’espace culturel dans la région. Le Louvre Abu Dhabi, premier musée au monde né d’un accord diplomatique bilatéral et qui constitue désormais «le plus grand projet culturel de la France à l’étranger», symbolise le soft power de la France. Ces efforts ont été reproduits au Qatar, où la France a cherché à soutenir des initiatives culturelles, et surtout en Arabie saoudite, où Paris a conclu un accord pour le développement d’AlUla. Le musée à ciel ouvert ainsi que les autres attractions culturelles et patrimoniales prévues par le projet sont dirigés par l’envoyé du président français pour l’initiative, Gérard Mestrallet, aux côtés de l’Agence française pour le développement d’AlUla.
«La coopération de la France dans le monde des affaires se reflète dans le développement de l’espace culturel dans la région.»
Zaid M. Belbagi
Il est donc peu probable que la reprise de l’activité diplomatique française soit perturbée par le report du Sommet de Bagdad, qui est plus important pour la légitimité internationale des dirigeants irakiens et la prospérité future de la Jordanie.
Il ne fait aucun doute que l’instabilité politique et sociétale dans le pays et les huit coups d’État armés en Afrique francophone ont nui à la capacité de la France à projeter sa puissance à l’étranger. En Afrique du Nord, où la jeunesse de l’Algérie et du Maroc, pays traditionnellement francophones, privilégie de plus en plus la langue anglaise au détriment du français, la francophonie elle-même est considérée comme un prisme limité avec lequel la France peut influencer le reste du monde. Cependant, les efforts de M. Macron pour cultiver les liens dans le Golfe et au Moyen-Orient au sens large, au moment où le Royaume-Uni se concentre sur des défis intérieurs et les États-Unis sur la Russie et la Chine, ont renforcé, de manière significative, l’influence française.
Dans ce contexte, un Sommet de Bagdad reprogrammé sera une nouvelle victoire politique pour un président cherchant à préserver l’influence de la France et son pouvoir fédérateur à l’échelle internationale.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com