L'arrivée des fêtes de fin d'année a mis les perturbations de la chaîne d'approvisionnement sous les feux de la rampe. Une série d’attaques menaçant le canal de Suez et une sécheresse affectant le canal de Panama entraîneront des répercussions sur la disponibilité des biens de consommation ce Noël, soulignant les risques pour l’approvisionnement dans le monde interconnecté et codépendant d’aujourd’hui.
Le réseau de personnes et de processus impliqués dans la production et la distribution des produits de base est de plus en plus réparti à l’échelle mondiale. Les pays d’origine, les industries de transformation et les marchés de consommation sont souvent très éloignés les uns des autres, reliés par des voies de navigation trop souvent à la merci des guerres, des conflits et des intempéries.
Les circonstances actuelles mettent ces facteurs en évidence. À la suite des ruptures en lien avec la pandémie de Covid-19, le système mondial déjà fragmenté a été soumis à une pression croissante.
Le conflit en Ukraine a montré à quel point la géopolitique pouvait avoir de graves répercussions sur le réseau mondial de la chaîne d’approvisionnement. La Russie et l’Ukraine représentent un tiers de l’approvisionnement mondial en blé. Avant la guerre, à titre d’exemple, 40% de l’approvisionnement en blé du Programme alimentaire mondial (PAM) provenait uniquement d’Ukraine. Avec le déclenchement du conflit russo-ukrainien en 2022 et les sanctions occidentales sur le commerce avec Moscou qui en ont résulté, les approvisionnements en blé et en céréales ont été considérablement perturbés. Le conflit a entraîné des conséquences néfastes. En effet, la flambée des prix qui en a découlé a paralysé l’économie égyptienne, par exemple. La pénurie d’huiles alimentaires, de minerai de fer et de maïs que l’Ukraine exporte, aux côtés du pétrole, des produits pétroliers, de l’or et du fer semi-fini russes, montre à quel point les perturbations politiques peuvent avoir un impact négatif sur les industries connexes à l’échelle mondiale.
Bien que relativement moins perturbateur pour les réseaux d’approvisionnement mondiaux, le conflit entre le Hamas et Israël à Gaza, qui en est à sa dixième semaine, a fait naître un climat d’incertitude politique et économique au Moyen-Orient.
À la suite des ruptures en lien avec la pandémie de Covid-19, le système mondial déjà fragmenté a été soumis à une pression croissante.
Zaid M. Belbagi
Les répercussions sur les marchés de l’énergie sont notables. Au cours de la première semaine du conflit, Israël a temporairement suspendu les opérations de son champ gazier offshore de Tamar, qui constitue une source essentielle d’approvisionnement en gaz naturel pour l’Égypte, la Jordanie et l’Europe. Les opérations ont repris en novembre, mais cet épisode montre à quel point l’insécurité à Gaza et en Méditerranée orientale peut susciter l’inquiétude sur le marché international de l’énergie.
Même si les chaînes d’approvisionnement demeurent largement épargnées, la récente saisie d’un cargo israélien en mer Rouge par des militants houthis montre comment les implications sécuritaires de la guerre à Gaza s’étendent également aux eaux territoriales de la région, en particulier à la mer Rouge et au canal de Suez – l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Les navires du Panama qui modifient leur trajet accusent déjà cinq à six jours de retard. Les coûts de transport et les primes d’assurance grimpent en flèche, alors que l’industrie fait face au double choc d’un risque violent pour les navires et d’une sécheresse sur les principales voies navigables internationales.
Si les consommateurs dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) doivent renoncer à leurs nouveaux iPhones et iPads à Noël, ils devront peut-être également se passer de leurs boissons gazeuses préférées. Le conflit en cours au Soudan entre l’armée du pays et les milices des Forces de soutien rapide (FSR) affecte la production de gomme arabique.
Le Soudan en est le plus grand producteur mondial et il représente environ 70% de l’offre mondiale. Utilisé comme agent épaississant, la gomme arabique constitue également un composant essentiel des boissons gazeuses, tout aussi important pour PepsiCo et Coca-Cola. Ce produit serait la plus grande source de revenus étrangers du Soudan. Cependant, au moment où les affrontements entre les belligérants se poursuivent, la production et la distribution de la gomme deviennent de plus en plus précaires, ce qui risque de provoquer de nouvelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement pour les fabricants internationaux, ainsi qu’un ralentissement économique au Soudan.
Face à la vulnérabilité croissante des chaînes d’approvisionnement internationales, les perspectives de l’économie mondiale d’octobre 2023 du Fonds monétaire international (FMI) ont mis en garde contre la militarisation des produits de base, appelant à réduire les risques liés aux produits les plus vitaux. La guerre en Ukraine montre à quel point les perturbations de la chaîne d’approvisionnement sont particulièrement difficiles pour les pays à faible revenu et pauvres en ressources qui dépendent des importations. Même si le reshoring/onshoring au moyen duquel les opérations et la fabrication sont délocalisées afin de réduire les risques de perturbations devrait être encouragé, il n’a aucune utilité quand de grands pays, limités par de grandes populations et les effets néfastes croissants du changement climatique, dépendent de l’importation de denrées alimentaires.
Les conflits actuels n’ont pas encore affecté de manière significative le marché des minerais tels que le cuivre, le lithium ou les terres rares, essentiels à la transition verte. De même, le commerce des produits électroniques, des armes et des semi-conducteurs produits par Israël, bien qu'en ralentissement, n'a pas encore d'impact. Cependant, comme d’autres conflits l’ont montré, si Israël poursuit son action militaire, cela entraînera une déstabilisation importante.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com