Humiliation, terrorisme et déplacements massifs: l’autre guerre en Palestine

Des colons armés patrouillent près de la colonie d’Yitzhar, en Cisjordanie occupée (Photo, AFP).
Des colons armés patrouillent près de la colonie d’Yitzhar, en Cisjordanie occupée (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 13 décembre 2023

Humiliation, terrorisme et déplacements massifs: l’autre guerre en Palestine

Humiliation, terrorisme et déplacements massifs: l’autre guerre en Palestine
  • On assiste à une détérioration dangereusement rapide de la sécurité en Cisjordanie, avec une forte augmentation des attaques de colons depuis le 7 octobre
  • Depuis le 7 octobre, plus de 266 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués, 3 365 blessés par les forces israéliennes et les colons, et 7 800 autres arrêtés

Une guerre est en cours dans les territoires occupés, mais elle est bien loin de Gaza et a commencé bien avant le 7 octobre.

Dans des actes flagrants de terrorisme, les colons extrémistes mènent des attaques de plus en plus agressives contre les populations rurales de Cisjordanie, rouent de coups les agriculteurs palestiniens, terrorisent les familles, incendient les villages et les récoltes, volent du bétail et assassinent ceux qui leur tombent sous la main. Ils cherchent à conquérir l’ensemble de la Cisjordanie, obligeant les communautés agricoles à abandonner leurs terres agricoles ancestrales.

La guerre d’empiétement, de déplacement et de nettoyage ethnique menée par le mouvement des colons et parrainée par l’État remonte à plusieurs décennies, malgré son illégalité au regard du droit international. Cependant, sous le mandat de Benjamin Netanyahou et la présidence de Donald Trump, toutes les tentatives qui visaient à freiner l’expansion massive des colonies se sont évaporées. Fin 2022, le cabinet de Netanyahou était composé d’une cohorte de camarades d’extrême droite défendant ardemment le déplacement forcé des Palestiniens vers les pays voisins et la saisie de l’intégralité des territoires. Comme l’a affirmé Simcha Rotman, député du Parti sioniste religieux, à la BBC: «Vous ne pouvez pas occuper votre propre terre. Israël n’est pas un occupant en Israël parce que c’est la terre d’Israël.»

Avec un provocateur fasciste comme Itamar Ben-Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale et responsable du maintien de l’ordre en Cisjordanie, les colons extrémistes se sont lancés dans une guerre totale contre les voisins palestiniens. Ils ont mené des invasions à grande échelle de villes palestiniennes par des paramilitaires, les «Jeunes des collines». En février, des centaines de colons ont pris d’assaut Huwara et des villages proches de Naplouse, incendiant des dizaines de maisons et de véhicules et attaquant les habitants.

En octobre, le directeur du Shin Bet, Ronen Bar, a averti le cabinet de guerre de Netanyahou que les attaques des colons pourraient déclencher une explosion de la violence en Cisjordanie, parallèlement à l’effusion de sang à Gaza. Pourtant, les mesures gouvernementales ont préféré jeter de l’huile sur le feu. La politique officielle envisage de doubler le nombre de colons, notamment en augmentant considérablement le budget consacré à la construction de logements, de routes et d’infrastructures.

Les colons ont rejoint les rangs des forces de sécurité en tant que réservistes lors de la récente convocation d’urgence, abusant – sans surprise – du pouvoir que confèrent les uniformes et les armes automatiques fournis par le gouvernement. Les Palestiniens rapportent que les attaques nocturnes contre leurs maisons impliquent fréquemment des voyous armés en uniforme de réserviste.

Compte tenu des échecs de Netanyahou en matière de sécurité le 7 octobre, la possession d’armes des Israéliens devrait augmenter de façon exponentielle, Ben-Gvir faisant pression pour l’assouplissement des lois sur les permis d’armes à feu. Le département d’État américain exprime sa préoccupation quant à une demande israélienne de 24 000 fusils d’assaut, craignant que ces armes ne se retrouvent directement entre les mains des colons. Si tel était le cas, les massacres ne feraient que commencer. Si le camp radical s’arme jusqu’aux dents, cela ne laisse par ailleurs rien présager de bon au sein d’une société israélienne hautement polarisée.

On assiste à une détérioration dangereusement rapide de la sécurité en Cisjordanie, avec une forte augmentation des attaques de colons depuis le 7 octobre – au moins 308 incidents enregistrés en deux mois. Depuis cette date, plus de 266 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués et 3 365 blessés par les forces israéliennes et les colons, alors que 7 800 autres ont été arrêtés, parallèlement à la démolition au bulldozer ainsi qu’à la destruction d’infrastructures et de biens.

La violence des colons demeure impunie dans la mesure où le personnel de sécurité facilite les attaques. Lors d’un incident survenu au mois d’octobre près d’Hébron, un colon a tiré à bout portant sur un Palestinien non armé et les soldats se sont contentés d’observer la scène sans rien faire. Selon l’organisation non gouvernementale israélienne Yesh Din, sur près de 1 600 enquêtes sur les violences commises par les colons depuis 2005, 93% ont été classées sans qu’une action en justice ne soit engagée.

Les colons déploient des efforts inlassables pour exercer un monopole sur la Cisjordanie. Cette dernière guerre de colonisation cherche à contrôler l’intégralité de la zone C – les zones rurales placées sous contrôle de sécurité israélien. En découpant de vastes bandes de territoire, ils veulent déplacer les Palestiniens dans des parcelles de terre de plus en plus petites, rendant impossible la vision d’un État palestinien contigu.

Les colons se sont emparés d’environ 10% de la zone C en cinq ans – 110 km² lors de la seule année 2022 –, un rythme étonnant étant donné que toutes les zones de colonies israéliennes formelles saisies depuis 1967 couvrent 80 km². Selon les statistiques de l’ONU, 43% de toutes les expulsions qui sont en lien avec les colons depuis janvier 2022 se sont déroulées depuis le 7 octobre. Dans les zones agricoles peu peuplées, la perte d’environ 2 000 personnes représente le dépeuplement de villages entiers.

Khirbet Zanuta n’est plus qu’un village abandonné après que les colons ont menacé d’assassiner ceux qui décident d’y rester. Un ancien résident a livré le témoignage suivant: «Les colons nous ont attaqués, détruisant nos maisons, nos réservoirs d’eau, nos panneaux solaires et nos voitures. J’ai pris la décision la plus difficile de ma vie: quitter Zanuta et tout laisser derrière moi. J’ai fait cela pour protéger mes enfants.»

Des mesures juridiques ont en outre été prises contre les Israéliens modérés qui prônent la coexistence, souvent qualifiés de «traîtres» et de «séditieux». Des chasses aux sorcières semblables ont commencé aux États-Unis: les présidents de l’université Harvard, du Massachusetts Institute of Technology et de l’université de Pennsylvanie ont été traduits devant le Congrès, accusés de faire l’apologie du «terrorisme» et du «génocide» du Hamas – ce qui a contraint la présidente de l’université de Pennsylvanie à démissionner.

L’Occident s’est toujours prononcé en faveur des programmes d’extermination des colons qui s’attaquent à la paix. Dans un geste symbolique rare, la semaine dernière, les États-Unis ont imposé aux colons impliqués dans les attaques l’interdiction de voyager. L’ancien responsable du département d’État, Aaron David Miller, a qualifié la mesure de «nécessaire, mais pas suffisante», tandis que James Zogby, qui travaille pour l’Arab American Institute, a rejeté cette décision, la qualifiant de «superficielle» et «ne reflétant pas un effort sérieux pour endiguer la violence des colons».

«Les points communs entre la violence à Gaza et en Cisjordanie sont l’humiliation systématique et le terrorisme d’État.»

Baria Alamuddin

Dans une démarche louable, le Premier ministre belge a annoncé la semaine dernière que «les colons extrémistes de Cisjordanie se verront interdire l’entrée en Belgique». Il ajoute que «la violence contre les civils aura des conséquences. Nous pousserons l’Union européenne à en faire de même». L’Union européenne a en effet discuté de telles mesures et le chef des relations étrangères, Josep Borrell, s’est dit «choqué» par la dernière allocation de fonds par Israël pour construire de «nouvelles colonies illégales».

Les points communs entre la violence à Gaza et en Cisjordanie sont l’humiliation systématique et le terrorisme d’État. Tandis que les agriculteurs de Cisjordanie sont terrorisés et leurs moyens de subsistance détruits, les citoyens de Gaza sont bombardés, déplacés et deviennent orphelins. Les citoyens qui refusent d’abandonner leurs maisons ont été montrés la semaine dernière à moitié nus à travers des images humiliantes qui rappellent les atrocités américaines commises à la prison d’Abou Ghraib.

Le meurtre de civils par le Hamas le 7 octobre était en effet un acte de terrorisme. Pourtant, le meurtre, le déplacement et la brutalisation des citoyens de Cisjordanie constituent également des actes de terreur systématiques parrainés par l’État dans le but explicite de commettre un génocide palestinien.

Alors que l’administration Biden accélère la vente de munitions de chars et d’équipements connexes d’une valeur de 106,5 millions de dollars à Israël (1 dollar = 0,93 euro), les États-Unis et leurs alliés doivent être contraints de reconnaître que, à travers des milliards de dollars d’aide, d’armes et d’appui politique, ils sont complices de décennies de soutien au terrorisme, à l’occupation, à l’apartheid, au nettoyage ethnique et aux violations flagrantes du droit international. Alors, peut-être, quelques premières mesures pourront être prises en faveur de la justice et de la responsabilisation pour ces crimes historiques.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com