Une nouvelle affaire de corruption liée à l’importation de thé et impliquant un montant de 2 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro) a fait surface en Iran. Le gouvernement iranien actuel se présente comme celui qui a révélé cette affaire – et non comme celui qui en est à l’origine – ce qui laisse peut-être entendre que l’ancien gouvernement réformateur est le seul fautif.
L’affaire des importations de thé ne fait que s’ajouter à une longue liste de transactions financières corrompues, d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, qui ont été réalisées au cours des décennies d’existence de la République islamique.
Par exemple, des affaires de corruption ont été signalées sous le règne de l’ancien président populiste et intransigeant Mahmoud Ahmadinejad, impliquant des commissions d’une valeur de plusieurs milliards de dollars versées à l’homme d'affaires Babak Zanjani. À cela s’ajoutent l’affaire de corruption immobilière Padideh Shandiz et l’implication croissante du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) dans la fraude douanière et commerciale, au point qu’Ahmadinejad les a qualifiés de «frères contrebandiers» en raison du contrôle qu’ils exercent sur les ports et aéroports sensibles du pays.
Ensuite, il y a eu, entre autres, l’affaire des salaires astronomiques signalée sous le règne de Hassan Rohani. Toutes ces affaires ont nui à l’environnement des entreprises privées et aux investissements en Iran, entraînant des pertes économiques massives pour le pays.
En ce qui concerne la récente affaire de corruption liée aux importations de thé, la société Debsh Tea importe du thé de l’étranger, se retrouvant ainsi impliquée dans la fraude de 2 milliards de dollars. L’entreprise était impliquée dans un détournement de devises, recevant des devises étrangères du gouvernement à des prix inférieurs à ceux du marché noir. Au lieu d’affecter ces dollars subventionnés à l’importation de thé indien – rare sur le marché local – la société en a vendu une grande partie sur le marché noir, récoltant ainsi d’énormes bénéfices, tout en important du thé du Kenya de mauvaise qualité avec le reste de l’argent.
L’entreprise serait impliquée dans ces transactions depuis 2018. Le montant total des devises que l’entreprise a obtenu entre 2019 et 2022 s’élève à 2,37 milliards de dollars. En plus de monopoliser ce produit important – l’un des produits les plus populaires du pays avec le café, qui sert à améliorer l’humeur du peuple iranien – l’entreprise a obtenu près de 80% des devises subventionnées allouées aux importations de thé en Iran. Selon des journaux iraniens, les sommes allouées à l’entreprise au cours des deux dernières années sont équivalentes à celles allouées aux importations de médicaments et de lait en poudre pour nourrissons. Cette situation a soulevé des questions quant à l’identité des bailleurs de fonds et des bénéficiaires.
Des responsables proches du gouvernement de l’ancien président Rohani se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles 80% des subventions pour le thé importé ont été allouées à cette entreprise en particulier, la préférant à des dizaines d’autres travaillant dans le même domaine. Pedram Soltani, ancien membre de la Chambre de commerce iranienne, a expliqué à Radio Farda qu’«une telle somme d’argent ne peut être allouée sans une coordination et une collaboration généralisées, des permis spéciaux, l’approbation de hauts responsables, et un vaste réseau de complicité pour faciliter la vente des devises sur le marché libre». Ces propos montrent que l’affaire ne se limite pas à l’importation de thé de l’étranger.
«La corruption a été extrêmement néfaste pour l’économie et a détérioré les conditions de vie du peuple iranien»
Dr Mohammed al-Sulami
Il est clair que la corruption financière a été extrêmement néfaste pour l’économie et a détérioré les conditions de vie du peuple iranien au cours des dernières décennies. Parmi les conséquences de la corruption, on peut citer la fuite des investissements étrangers, des investissements locaux et des capitaux, l’absence de libre concurrence, la tendance à liquider les actifs productifs et la préférence accordée aux profits rapides et à la spéculation plutôt qu’à l’investissement et à la production. Ces dernières années, la fuite des capitaux du marché iranien s’est accentuée, les investissements étant redirigés vers les États voisins et vers le secteur immobilier en Turquie.
Il n’est pas surprenant que les investissements directs étrangers (IDE) en Iran soient tombés à 1,5 milliard de dollars en 2022, contre 5 milliards de dollars en 2017, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Même le chiffre de 2017 – qui a été obtenu après la conclusion de l’accord sur le nucléaire de 2015 – était remarquablement bas, puisqu’il ne représentait que 0,5% de l’ensemble des flux d’investissements étrangers entre les pays. Il convient également de noter qu’un seul secteur comme le pétrole nécessite des investissements de 2 milliards de dollars, sans parler des autres secteurs touchés par les sanctions imposées à l’Iran depuis 2018, tels que l’automobile, l’aviation civile et l’agriculture.
La corruption financière prive le Trésor public et les allocations de développement en Iran de fonds massifs, qu’il s’agisse de droits de douane, de taxes ou de subventions. Cela s’ajoute à la concentration des richesses entre les mains d’une petite clique de personnes privilégiées et proches des cercles du pouvoir. La majorité de la population, quant à elle, est contrainte de payer des pots-de-vin pour que ses intérêts et ses besoins les plus élémentaires soient satisfaits.
Mehdi Nasiri, ancien rédacteur en chef du journal Kayhan, a accusé les «entités suprêmes» d’être responsables de la récente affaire de corruption sur les importations de thé. Sur sa chaîne Telegram, il a déclaré que «la récente affaire de corruption massive liée aux importations de thé n’aurait pas eu lieu sans l’intervention, la pression et l’influence considérables, directes ou indirectes, des services de renseignement et des institutions judiciaires, soit nommées soit affiliées à la direction suprême, qui possède tous les pouvoirs au sein de cette institution».
Ce qui rend cette perception vraisemblable, c’est le rapport publié par Transparency International au début de l’année. Dans ce rapport, l’Iran occupe une place inférieure dans l’Indice de perception de la corruption, se classant 147e sur 180, juste devant l’Afghanistan mais plus bas que l’Ouganda. Il y a vingt ans, le classement du pays était bien meilleur, puisqu’il occupait la 78e place.
Il convient de souligner que la réalisation de la majorité des investissements et des grands projets dépend du CGRI et de ses énormes conglomérats économiques, qui opèrent dans des secteurs tels que le pétrole, le gaz, la pétrochimie, l’automobile, la sous-traitance, le commerce extérieur et l’exploitation minière. Cette situation constitue un véritable obstacle au développement du secteur privé en Iran et à la liberté d’action des investisseurs étrangers en cas de levée des sanctions à l’avenir.
Le Dr Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com