Le ministère saoudien des Affaires étrangères bourdonne d’activités diplomatiques. Parmi les aspects moins évidents de la transformation que le Royaume connaît ces dernières années figure le changement de vitesse au niveau de la politique étrangère, au moment où le pays se réadapte à un monde multipolaire. Le Royaume est désormais courtisé par l’Occident, il connaît une expansion à l’Est et refait surface dans sa région même. Sa carte diplomatique se redessine et, grâce à l’expérience des derniers mois, il se retrouve sous les feux de la rampe.
Le rôle de ministre saoudien des Affaires étrangères a toujours été prestigieux. Pendant des décennies, le rôle est resté inchangé sous la direction du fils du futur roi Faisal, le prince Saoud ben Faisal. Ce rôle a cependant été remanié sous l’actuel prince Faisal ben Farhane. Sans prétention, appliqué et infatigable, il est l’incarnation même de la refonte audacieuse de la politique étrangère du Royaume. Qu’il s’agisse de rencontrer le secrétaire d’État américain ou les dirigeants chinois, de représenter son pays au Caire ou de soutenir à Paris sa candidature à l’Exposition universelle, le prince Faisal remplit son rôle de manière discrète et habile au moment où le monde arabe a besoin de se faire entendre.
L’enthousiasme renouvelé du Royaume sur la scène internationale est le reflet de la vision ambitieuse définie pour le pays par ses dirigeants. Dans le cadre de ce plan, les efforts qui visent à rajeunir la société saoudienne et son économie sont évidents, tandis que les actions du Royaume sur la scène mondiale mettent en lumière un effort similaire sur le front politique. Ce changement a été remarquable, comme en témoigne l’activité de politique étrangère du Royaume, qui convient aujourd’hui davantage à un pays qui a l’importance stratégique, les ressources et la signification religieuse de l’Arabie saoudite.
«Le prince Faisal remplit son rôle de manière discrète et habile au moment où le monde arabe a besoin de se faire entendre.»
Zaid M. Belbagi
Alors que les États-Unis se sont retirés de la région et que plusieurs administrations de la Maison-Blanche se concentrent sur l’émergence de la Chine et la réémergence de la Russie, l’Arabie saoudite a également cherché une solution de rechange. Depuis une décennie, les importations chinoises de pétrole ont dépassé celles des États-Unis et, simultanément, l’Arabie saoudite et la Chine ont rapidement amélioré leur coopération. Centrés sur l’énergie, bien que non exclusifs, leurs liens ont connu un essor remarquable à mesure que les entreprises chinoises investissent massivement dans l’économie saoudienne. Le rôle de Huawei dans le déploiement de la 5G en Arabie saoudite et dans le marché numérique à plus grande échelle est uniquement surpassé par les investissements chinois dans de nouveaux projets saoudiens qui totalisent 16 milliards de dollars (1 dollar = 0,93 euro). L’échange de devises locales du mois dernier, d’une valeur de 7 milliards de dollars – soit 26 milliards de riyals saoudiens ou 50 milliards de yuans chinois – était également révélateur de l’expansion des relations entre les deux pays.
Alors que l’Arabie saoudite s’engage sur une trajectoire géopolitique de plus en plus autonome, la Chine lui apporte son soutien. Le rapprochement avec l’Iran négocié par la Chine, associé à l’accueil de quatre ministres arabes des Affaires étrangères, dont le prince Faisal, à Pékin le mois dernier, pour discuter du conflit Israël-Hamas, a illustré une fois de plus la volonté du Royaume de rechercher des solutions politiques grâce à la médiation de nouveaux partenaires.
Comme les États-Unis étaient absents de certaines arènes importantes pour la transformation du Royaume, les relations se sont simultanément développées avec l’Inde. L’Arabie saoudite étant le troisième fournisseur de pétrole pour l’Inde, cette relation bilatérale revêt une importance stratégique pour les deux parties. À la suite de la création du Conseil de partenariat stratégique saoudo-indien en 2019, le prince héritier, Mohammed ben Salmane, s’est rendu depuis à New Delhi à deux reprises. Plus récemment, il était présent au sommet du G20 en Inde, en septembre, lorsque le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe a été annoncé. Ce projet vise à faciliter les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Europe via le Moyen-Orient.
«Alors que l’Arabie saoudite s’engage sur une trajectoire géopolitique de plus en plus autonome, la Chine lui apporte son soutien.»
Zaid M. Belbagi
Avec 100 milliards de dollars d’investissements saoudiens dans les énergies renouvelables, la sécurité alimentaire et la connectivité au réseau, ces deux États cherchent à collaborer dans des secteurs comme les start-up, l’éducation et la numérisation aux côtés de l’industrie de défense et d’une raffinerie côtière essentielle dans l’ouest de l’Inde dans laquelle Saudi Aramco a investi. Les relations croissantes avec l’Inde surviennent à la lumière de plusieurs mois de ventes saoudiennes de titres de créance américains, ce qui reflète une politique d’investissement qui correspond à la diplomatie du Royaume en tant que pays en développement rapide travaillant de plus en plus en dehors de l’ordre économique mondial occidental.
L’une des manifestations du changement de politique étrangère saoudienne est sa décision, en août, de rejoindre le forum multilatéral des Brics, qui comprend le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Avec l’adhésion du Royaume, des Émirats arabes unis, de l’Égypte, de l’Iran, de l’Argentine et de l’Éthiopie, le groupe représentera 3,7 milliards de personnes et, avec cela, certains des marchés à forte croissance les plus passionnants des trois prochaines décennies. La participation du Royaume aux Brics est une reconnaissance de sa position croissante dans les chaînes d’approvisionnement mondiales ainsi que de son pouvoir fédérateur dans le monde arabe.
Compte tenu de la croissance rapide du Royaume dans le cadre de la Vision 2030, son adhésion aux Brics lui offre une nouvelle possibilité de trouver une solution de rechange à l’ordre mondial dominé par l’Occident, tout en étant un pilier des pays du Sud. Les projets de l’Arabie saoudite qui visent à diversifier son économie et à rechercher des investissements étrangers permettent aux pays des Brics de lui donner la possibilité d’aller au-delà de ses partenariats traditionnels avec les mondes du Golfe, arabe et occidental ainsi que de négocier des relations avec un ensemble plus diversifié de partenaires.
Les exploits diplomatiques du Royaume ces dernières années témoignent d’un effort marqué d’étendre son influence à l’échelle mondiale et de favoriser de nouveaux partenariats. Néanmoins, le rôle du Royaume dans les mondes arabe et musulman lui permet de chercher à faire entendre sa voix à plus grande échelle. L’ONU est redevable à son Conseil de sécurité, qui ne compte aucun membre permanent africain ou arabe. La forte distanciation de l’Arabie saoudite par rapport aux accords d’Abraham, dans un contexte de violations flagrantes des droits de l’homme par l’armée israélienne, a été saluée dans l’ensemble du monde arabe. Toutefois, les récents sommets arabes, islamiques et africains dans le Royaume ont souligné à quel point il est urgent pour le monde islamique de s’exprimer d’une seule voix, en particulier dans un contexte de crise de politique étrangère.
Même si les projets du Royaume sont loin d’être achevés, la dynamique autour de ses changements de politique étrangère doit être saluée; elle est incarnée par un leadership jeune et énergique et un ministre des Affaires étrangères dévoué.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com