PARIS: La défiance grandit au sein de la communauté juive envers La France insoumise et son leader Jean-Luc Mélenchon, accusés depuis le 7 octobre de relayer voire nourrir un antisémitisme croissant.
"LFI, on sait qu’ils ne nous aiment pas", soupirait lors de la marche du 12 novembre contre l'antisémitisme Laura Cohen, une manifestante, résumant un sentiment fréquemment entendu parmi les Français juifs depuis l'attaque du Hamas contre Israël.
LFI avait boycotté cette manifestation contre l'antisémitisme en arguant de la présence du Rassemblement national. Une décision incompréhensible pour beaucoup de Juifs en quête de solidarité: "Ils ont jeté de l'huile sur le feu sur une situation déjà lourde", affirmait le lendemain le Grand rabbin de France Haïm Korsia.
La déception, nourrie du refus de LFI de qualifier le Hamas de "terroriste", a grandi lorsque Jean-Luc Mélenchon a estimé que la marche était le "rendez-vous" des "amis du soutien inconditionnel au massacre".
Mais le malaise remonte à plus loin.
Les relations sont tendues depuis longtemps avec le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), dont le président Yonathan Arfi a qualifié le leader Insoumis d'"ennemi de la République".
Beaucoup gardent en mémoire les propos de Jean-Luc Mélenchon en 2020 sur Jésus crucifié par "ses propres compatriotes", ou de 2019 sur les "oukases arrogants des communautaristes du Crif".
En 2018, il avait dû quitter sous les huées la marche blanche organisée en mémoire de Mireille Knoll, une octogénaire juive tuée à Paris.
"Une blessure profonde", affirme à l'AFP le député LFI Matthias Tavel, qui l'assure: "on est évidemment préoccupés par la montée de l'antisémitisme. Si ce n'est pas entendu, il faut qu'on le redise plus fortement".
«Dominant/dominé»
Car certains accusent LFI et la gauche radicale de flirter avec l'antisémitisme.
En privé, M. Mélenchon dénonce des accusations "ignobles" qui provoquent chez lui "des blessures dont on n'a pas idée".
Le sujet, abordé en table ronde lors de la dernière Convention du Crif le 19 novembre, a fait salle comble. Mais comment en mesurer sa réalité?
La CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) a publié en juillet son rapport 2022 sur le racisme, et selon la chercheuse du CNRS Nonna Mayer qui l'a co-rédigé, les mesures de l'antisémitisme "sont maximales à l'extrême droite".
"Mais elles remontent à l'extrême gauche, chez les proches des Insoumis", ajoutait-elle lundi lors d'un colloque à Sciences-Po.
Le think-tank libéral Fondapol fait un constat similaire dans son baromètre 2022 de l'antisémitisme: outre chez les hommes et les plus de 65 ans, la diffusion des préjugés antisémites est "plus répandue à l'extrême gauche et à l'extrême droite".
Dans le passé pourtant, notamment au moment de mai 68, des militants juifs ont animé les mouvements d'extrême gauche.
En remontant plus loin, l'affaire Dreyfus avait marqué un coup d'arrêt à l'antisémitisme de gauche, resté sous cloche jusqu'à l'après-guerre, malgré des attaques visant Léon Blum.
"Le grand redéclencheur de l'antisémitisme à gauche sera la guerre des Six jours" en 1967, rappelait l'historien Emmanuel Debono à la Convention du Crif.
La critique de la politique d'Israël joue désormais un rôle central, expliquait lors de cette même convention le politologue Brice Teinturier.
"Une grille de lecture un peu nouvelle s'installe sur un axe dominant/dominé" et sur Israël "s'installe l'idée que les Israéliens sont blancs, dominants, colonisateurs, et les Palestiniens des victimes, d'où le déplacement sémantique", selon lui.
Le reproche agace chez LFI, qui déplore un moyen d'empêcher toute critique du gouvernement Netanyahu.
"Beaucoup de gens confondent antisionisme et antisémitisme. On n’est évidemment pas antisémites", affirme à l'AFP Luc Delrue, 70 ans, un militant LFI angevin.
Le député LFI Louis Boyard estime lui que leurs "adversaires politiques inventent des prétextes" et il appelle à "séparer le religieux du politique dans cette histoire".
"On n'a jamais eu de sortie antisémite à LFI", renchérit son collègue Damien Maudet. Mais "si cette méfiance de la communauté juive à notre égard est avérée, c'est un problème", ajoute-t-il.
Car "un fossé se creuse", avertit un autre député LFI. "Il n'est pas encore infranchissable, mais cherchons à le combler plutôt que le creuser".