La stratégie visant à déplacer les Gazaouis exposée

Des Palestiniens déplacés attendent pour acheter de la nourriture à l’extérieur du camp de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. (Reuters)
Des Palestiniens déplacés attendent pour acheter de la nourriture à l’extérieur du camp de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. (Reuters)
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Publié le Jeudi 30 novembre 2023

La stratégie visant à déplacer les Gazaouis exposée

La stratégie visant à déplacer les Gazaouis exposée
  • Les villes et les camps de réfugiés de Gaza ont été, en grande partie, détruits et divisés entre le nord et le sud
  • La première chose que Benjamin Netanyahou a dite à son auditoire après le 7 octobre, c’est que l’objectif d’Israël était d’éliminer le Hamas et de «changer le Moyen-Orient»

Nous avons eu droit à quelques jours de répit, loin de l’engin meurtrier. Les négociateurs cherchent à progresser et les prétendants font semblant, entre optimisme découlant d’une nouvelle prolongation de cette pause temporaire et pessimisme prévoyant une effusion de sang plus cruelle et plus horrible. Ainsi, les conclusions provisoires à tirer pourraient être les suivantes.

Premièrement, malgré leur attitude hautaine, Israël et le Hamas ont tous deux perdu et gagné des points. Du point de vue israélien, sa machine de guerre a été prise au dépourvu par les événements du 7 octobre. Dans ce qui était peut-être une tentative de compensation, l’État hébreu a initié une guerre de rumeurs brutale visant à exciter l’opinion publique et à inciter à une guerre de déplacement et d’extermination. Cependant, ces rumeurs se sont révélées fausses, tant au niveau local qu’international.

En outre, malgré l’efficacité des armes israéliennes et les ravages qu’elles ont causés à la population innocente de Gaza, Israël a jusqu’à présent été incapable d’atteindre ses objectifs déclarés avec, en tête de liste, la destruction du Hamas, de ses dirigeants, de sa doctrine et de ses groupes affiliés.

Quant aux calculs politiques, les sondages d’opinion régulièrement menés par le journal israélien Maariv indiquent que le soutien au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est en baisse, tandis que son rival direct, Benny Gantz, gagne en popularité. Les derniers sondages (réalisés les 15 et 16 novembre et dont les résultats ont été annoncés vendredi dernier) montrent que 52% des électeurs israéliens souhaitent désormais voir M. Gantz diriger le gouvernement, contre seulement 27% qui continuent de soutenir M. Netanyahou. En ce qui concerne le contrôle de la Knesset et de ses 120 sièges, le sondage montre que, si des élections avaient lieu aujourd’hui, la coalition d’extrême droite au pouvoir, dirigée par Benjamin Netanyahou et son parti, le Likoud, n’obtiendrait que 41 sièges et l’opposition, 79.

Alors que le parti de l’Unité nationale de Benny Gantz obtiendrait indépendamment 43 sièges, le Likoud n’en remporterait pas plus de 18. De plus, selon le même sondage de Maariv, le parti du ministre des Finances, Bezalel Smotrich, l’un des plus extrémistes d’Israël, ne parviendrait pas à atteindre le seuil nécessaire pour garantir la représentation parlementaire.

Du côté palestinien, le prix à payer pour les échecs moraux et politiques subis par M. Netanyahou et sa clique au pouvoir est élevé. Tandis que la population de Gaza paye le prix fort, les Palestiniens de Cisjordanie, notamment à Jénine, Toulkarem et Naplouse, n’ont pas été épargnés, les colons israéliens armés et les forces d’occupation ayant tué des centaines de personnes.

Plus de 14 000 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza, dont quelque 5 000 enfants. Les habitants ont, en grande partie, été déplacés. Les villes et les camps de réfugiés de Gaza ont été majoritairement détruits et divisés entre le nord et le sud. Toutes ces évolutions suscitent des inquiétudes.

Malgré l’efficacité des armes israéliennes et les ravages qu’elles ont causés à la population innocente de Gaza, Israël a jusqu’à présent été incapable d’atteindre ses objectifs déclarés - Eyad Abu Shakra

De plus, ce qui s’est produit depuis le 7 octobre est bien plus qu’une réaction et bien plus horrible qu’une vengeance. Pour couronner le tout, les expressions mondiales de solidarité avec Israël, sous prétexte de son «droit à l’autodéfense», ont permis au lobby israélien dans la plupart des pays occidentaux d’exploiter l’opération du 7 octobre et de faire pression pour un «transfert» (c’est-à-dire le déplacement massif de Palestiniens).

Les efforts de ces lobbyistes ressemblent à ceux que nous avons observés en 2003, lorsque l’Irak a été envahi à la suite des attentats du 11 septembre 2001. À cette époque, l’administration américaine du président, George W. Bush, était consciente que le régime du président irakien, Saddam Hussein, n’avait rien à voir avec ces attentats. Cependant, les membres du gouvernement, en particulier les néoconservateurs, ont élaboré un plan d’invasion et d’occupation de l’Irak parce que l’affirmation selon laquelle ce pays possédait des armes de destruction massive pourrait être exploitée pour justifier l’occupation et le changement de régime. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé.

Le régime iranien a été le principal bénéficiaire de cette occupation. En effet, dès que Bagdad est tombée aux mains des forces américaines, les chefs religieux, politiques et miliciens irakiens exilés en Iran ont afflué vers la capitale irakienne occupée. Peu de temps après, Paul Bremer, qui dirigeait l’Autorité provisoire de la coalition en Irak, s’est vanté d’avoir mis fin à «des siècles de domination sunnite» dans ce pays.

La première chose que Benjamin Netanyahou a dit à son auditoire après le 7 octobre, c’est que l’objectif d’Israël était d’éliminer le Hamas et de «changer le Moyen-Orient». Dès le début de l’opération militaire israélienne à Gaza, des ministres et des politiciens de droite ont fait des déclarations menaçant de déplacer les habitants de la bande de Gaza vers l’Égypte – et de les répartir ensuite dans les pays du monde entier. D’autres ont fait allusion au déplacement des habitants de la Cisjordanie et à la réactivation du projet d’une «patrie alternative» en Jordanie.

Dans le même temps, Washington a insisté sur la nécessité de limiter les combats à la bande de Gaza, affirmant qu’il n’y avait aucune preuve de l’implication iranienne dans l’attaque du Hamas. Alors que Téhéran se contentait d’exprimer son soutien, le Hezbollah libanais a lancé des attaques qui respectaient les «règles d’engagement» acceptables pour Israël. Les milices de Téhéran en Irak et au Yémen ont également «créé des troubles» pour renforcer le soutien rhétorique à l’Iran et maintenir ce prétendu axe de résistance.

Au milieu des efforts régionaux et internationaux visant à prolonger la trêve, à élaborer une formule pour l’avenir de la bande de Gaza et à décider qui sera aux commandes une fois le Hamas chassé, les dirigeants du Hamas et les porte-parole de Téhéran, dont un responsable du Hezbollah, continuent de promouvoir le récit de la «victoire». Ce dernier aurait déclaré: «Israël est tombé et nous sommes plus proches que jamais d’une victoire précieuse, grâce aux combattants; nous savons ce qui se passe en Palestine et l’armée israélienne a tenté, en vain, de résoudre le conflit militairement.»

Ainsi, entre formuler une définition de la victoire et être dans l’attente d’accords, nombreux sont ceux qui ont été exposés.

 

• Eyad Abu Shakra est rédacteur en chef d’Asharq al-Awsat. Cette tribune a été publiée pour la première fois dans le quotidien Asharq al-Awsat.

X: @eyad1949

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com