Assisterait-on à la naissance d’un front commun irano-arabe à Gaza?

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Publié le Lundi 13 novembre 2023

Assisterait-on à la naissance d’un front commun irano-arabe à Gaza?

Assisterait-on à la naissance d’un front commun irano-arabe à Gaza?
  • Les États arabes ont mis en avant la nécessité d’un cessez-le-feu et de la reprise des négociations pour parvenir à une solution à deux États
  • Toutefois, selon certaines sources, ils ne souhaitent pas inclure l’Iran et expriment également des points de vue divergents sur le rôle du Hamas

Ebrahim Raïssi devait assister dimanche à la réunion de l’Organisation de la coopération islamique à Riyad pour discuter de Gaza. C’est la première fois qu’un président iranien visite l’Arabie saoudite depuis Mahmoud Ahmadinejad en 2012. Faire participer l’Iran à la réunion sur Gaza découle de la volonté de faire de la République islamique une partie de la solution, et non du problème. Cependant, il existe un problème de confiance majeur entre l’Iran et les États arabes du Golfe. Chaque partie envisage les événements dans une perspective de jeu à somme nulle. Le président Raïssi réussira-t-il à convaincre les États arabes que l’Iran a de bonnes intentions et qu’il se soucie du bien-être des Palestiniens, plutôt que de les utiliser comme une carte pour améliorer sa position vis-à-vis de ses voisins et des États-Unis?

L’Iran est invité à prendre part aux discussions sur Gaza parce que ses voisins sont conscients du fait que, en l’isolant, Téhéran pourrait nuire au processus. Il faut tenir compte de la participation iranienne dans le contexte arabe. Dans une tribune pour The New York Times du mois dernier, Dennis Ross écrit que plusieurs responsables arabes lui avaient dit qu’ils voulaient qu’Israël éradique le Hamas parce qu’ils percevaient toute victoire de ce dernier comme une victoire pour l’Iran et les Frères musulmans. Il est important ici de s’attarder sur la position arabe.

Gaza est un dilemme pour les Arabes. D’un côté, le bien-être des Palestiniens leur tient à cœur et ils souhaitent trouver une solution juste à ce problème – mais, de l’autre, ils méprisent le Hamas. Les États arabes considèrent ce mouvement comme un acteur dangereux. Sa branche politique est affiliée aux Frères musulmans et son bras militaire, les Brigades Al-Qassam, est lié au Corps des gardiens de la révolution en Iran et fait partie de «l’axe de la résistance» tant détesté.

Lorsque, la semaine dernière, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prononcé son discours, il a déclaré qu’une victoire du Hamas était une victoire à la fois pour les Palestiniens et les pays arabes voisins. Il a indirectement transmis un message aux États arabes, insinuant que si Israël n’atteignait pas ses objectifs, le pays serait contraint de s’installer à la table des négociations pour discuter d’un État pour les Palestiniens, chose qu’il évite depuis des années.

Lors de leur rencontre avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, les États arabes ont mis en avant la nécessité d’un cessez-le-feu et de la reprise des négociations pour parvenir à une solution à deux États. Toutefois, selon certaines sources, ils ne souhaitent pas inclure l’Iran et expriment également des points de vue divergents sur le rôle du Hamas.

Le scénario idéal pour de nombreux États arabes, ainsi que pour les États-Unis, serait le suivant: Israël élimine le Hamas et les Arabes négocient ensuite une solution à deux États, retirant à l’Iran la carte de la Palestine. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples. Il est impossible de faire abstraction de l’Iran puisqu’il peut très bien nuire au processus, ce qui compliquerait la situation pour tout le monde. Une chose est sûre: ni l’Iran ni les États arabes du Golfe ne veulent la guerre. L’Iran aimerait probablement améliorer sa position de négociation avec les États-Unis et les États arabes.

À mesure que la tragédie de Gaza bat son plein, les Arabes se rendent compte de plus en plus que la question palestinienne ne peut rester sans réponse et que la situation actuelle n’est pas durable. Ils veulent trouver une solution; cependant, ils se posent de nombreuses questions concernant l’Iran. Le pays acceptera-t-il la solution à deux États? Si Israël échoue, cela renforcera-t-il l’axe de la résistance et augmentera-t-il l’emprise de l’Iran sur l’Irak, le Liban, la Syrie et le Yémen? La belligérance de l’Iran va-t-elle s’accentuer? Une autre question se pose: si un règlement politique attribue aux Palestiniens un État souverain, mais qu’une partie de l’accord consiste à démanteler le Hamas, l’Iran l’acceptera-t-il? Voudra-t-il par ailleurs perdre la carte du Hamas en échange du bien-être général des Palestiniens?

De toute évidence, si un accord doit être conclu avec Israël, il sera difficile pour le Hamas – ou du moins pour sa branche militaire affiliée à l’Iran – de rester aux commandes de la bande de Gaza. L’Iran accepterait-il le démantèlement des Brigades Al-Qassam? Si oui, que voudrait-il en retour? Il est important de comprendre que le Hamas, comme le Hezbollah, agit comme un moyen de dissuasion pour l’Iran contre Israël. Si cela devait disparaître, l’Iran demanderait bien sûr une forme d’indemnisation. Qu’exigera-t-il en retour?

Si l’Iran réussit à convaincre les États arabes qu’il fait partie de la solution et non du problème, alors il y a de fortes chances que, ensemble, ils puissent créer un front capable de faire pression sur les États-Unis pour inciter sérieusement Israël à accepter une solution à deux États. L’Iran doit néanmoins présenter une vision politique claire. Son objectif déclaré est de libérer la Palestine. Si le problème palestinien est résolu, quelle sera sa position sur les autres dossiers?

Les États-Unis ne veulent pas non plus la guerre. Leur président, Joe Biden, est derrière Donald Trump dans les sondages au sein des États charnières et une guerre prolongée ne jouerait certainement pas en sa faveur. Les accusations de soutien à un génocide contre les Palestiniens ne coïncident pas avec les principes que Biden prétend défendre auprès de son électorat. Il a besoin d’une solution.

«Il est impossible de faire abstraction de l’Iran puisqu’il peut très bien nuire au processus, ce qui compliquerait la situation pour tout le monde.»

- Dr Dania Koleilat Khatib

En quelque sorte, si les Arabes et l’Iran s’entendent sur une solution, cela faciliterait la vie des États-Unis. Malgré le soutien sans équivoque des États-Unis à Tel-Aviv et l’attachement émotionnel du président et du secrétaire d’État à Israël, ils veulent également une solution et savent que l’occupation ne peut être maintenue indéfiniment. Bien que des sous-marins et des destroyers aient été déployés dans la région, les États-Unis espèrent ne pas les utiliser.

Alors, que devrait proposer le président Raïssi aux États arabes pour les rassurer? De quel genre de réconfort ont-ils besoin? L’Iran devrait indiquer clairement s’il acceptera l’Initiative de paix arabe. Il doit également expliquer quel est son objectif final avec les Houthis, les milices chiites en Irak, le Hezbollah et Bachar al-Assad. Par exemple, fera-t-il pression sur le président syrien Al-Assad pour qu’il accepte la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU afin de mettre fin aux souffrances des Syriens?

D’autre part, l’Iran devrait s’exprimer clairement sur les garanties de sécurité qu’il souhaite en retour. L’Arabie saoudite est très bien placée pour lui en offrir. Téhéran a toujours demandé à Riyad sa position en cas de confrontation avec Israël. Le Royaume pourrait toujours donner à l’Iran la garantie qu’il fermerait son espace aérien en cas d’agression israélienne contre l’Iran, mais, en échange, Téhéran devrait coopérer avec l’Arabie saoudite sur les dossiers de la région – et, aujourd’hui, le dossier le plus urgent est celui de la Palestine.

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com