Armita Geravand, 16 ans, est morte le mois dernier, après s'être effondrée dans une rame de métro de Téhéran quelques semaines plus tôt. Cet événement n'a pas provoqué de protestations massives en Iran comme l'avait fait la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Selon les médias officiels iraniens, Armita est décédée après avoir «souffert de lésions cérébrales». Les opposants iraniens considèrent que sa mort est la conséquence d'une agression violente par un «surveillant de hijab», car elle ne portait pas de voile au moment des faits, ce qui va à l'encontre des règles du système politique iranien.
Sa mort est survenue dans un contexte paradoxal: l'État théocratique pousse à l'application de la loi sur le hijab et la chasteté, alors que près de 20% des femmes iraniennes qui résident dans les grandes villes sortent sans hijab, même si cela les expose à une répression qui ne cesse de prendre de nouvelles formes. Ces mesures comprennent la vidéosurveillance plutôt que le harcèlement par la police des mœurs et la fermeture des commerces et des cafés plutôt que les arrestations systématiques, les amendes, la confiscation des voitures ou la privation des cartes SIM des femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire officiel.
Ces nouvelles formes de répression ne peuvent cependant pas aboutir à un retour à la situation qui prévalait avant septembre 2022 et l'évolution sociale semble inexorable, au point que même les imams de la prière du vendredi estiment que la nouvelle législation contre le port du voile n'apportera pas de «solution» à ce que les autorités iraniennes considèrent comme une «anomalie sociale».
Au-delà de ce paradoxe social iranien, sur le plan économique, la situation interne reste également difficile, avec une inflation en hausse et un taux de pauvreté accru. L'Iran a besoin de réformes politiques importantes pour surmonter les multiples crises auxquelles il est confronté sur le plan économique, environnemental, social et politique. Par exemple, les Iraniens pauvres représentaient 20% de la population dans les années 2010 et 30% dans les années 2020. De plus, l'augmentation de 20% des salaires des fonctionnaires, prévue pour la prochaine année iranienne (à partir de mars 2024), ne suffira pas à compenser l'inflation galopante, qui a dépassé 46% au cours du dernier mois.
En 2023, l'Iran était classé 147e sur 180 pays dans l'indice mondial de perception de la corruption. La situation dans ce domaine est restée inchangée depuis trois ans malgré les campagnes officielles lancées par le pouvoir judiciaire et la priorité absolue accordée à l'éradication de ce problème par le Guide suprême iranien, Ali Khamenei. La crise économique interne est aggravée par le niveau élevé de corruption dans le pays.
Cette faiblesse accroît également le sentiment d'injustice sociale parmi la majorité de la population iranienne, qui ne voit pas les bénéfices de l'augmentation de la production de pétrole. Cette dernière a atteint 3,4 millions de barils par jour (b/j), soit environ 1,2 million de b/j de plus qu'au milieu de l'année 2021, selon le ministre du Pétrole. La mauvaise gestion et l'impact des sanctions internationales sont les principaux moteurs de l'incapacité du système politique iranien à devenir plus efficace. Cette situation accroît également le mécontentement social et les griefs internes.
Les conditions économiques désastreuses associées à la nécessité de purifier l'establishment politique iranien sont des obstacles difficiles à surmonter avant les prochaines élections parlementaires, prévues au mois de mars 2024.
Le débat politique interne est désormais limité au courant politique de la ligne dure, avec la disqualification probable des candidats réformateurs par le Conseil des gardiens. Ce filtrage des candidats empêche l'émergence d'un véritable débat politique sur la nécessité d'une réforme pour résoudre les problèmes intérieurs du pays.
L'ancien président Mahmoud Ahmadinejad ne serait pas en mesure d'aborder publiquement les questions de politique intérieure iranienne alors qu'il est soumis à des pressions pour prendre publiquement position sur la guerre de Gaza. Il est probable qu'il incitera néanmoins ses partisans à participer aux prochaines élections législatives, qui seront dominées par un débat entre le président du Parlement, Mohammed Bagher Ghalibaf, et l'actuel président, Ebrahim Raïssi.
Ce débat entre Raïssi et Ghalibaf pourrait définir la probabilité que le premier se présente pour un second mandat, la prochaine élection présidentielle étant prévue pour 2025. Le débat politique interne limité entre les initiés du système politique iranien se heurtera à la désaffection croissante des citoyens iraniens et à la faible participation au cycle électoral de 2024 et 2025.
L'apparente stabilité politique interne que connaît aujourd'hui l'Iran n'a été obtenue qu'au prix d'une répression accrue.
Mohammed al-Sulami
L'apparente stabilité politique interne que connaît aujourd'hui l'Iran n'a été obtenue qu'au prix d'une répression accrue et du port obligatoire du voile pour les femmes iraniennes. Les analystes occidentaux envisagent une évolution du système politique iranien à la pakistanaise après l'arrivée de Khamenei. En effet, le Guide suprême, âgé de 84 ans, représente le point d'équilibre du système politique iranien. Après sa disparition pourrait se produire une militarisation accélérée des institutions de l'État.
Cependant, une telle évolution ne résoudrait pas la question de la crise de légitimité du système politique dans son ensemble, en particulier pour la génération Z, qui était au cœur du soulèvement national de septembre 2022. La stratégie d'ethnicisation du mouvement social menée par le système iranien a débuté au cours de l'automne 2022 et elle est vouée à l'échec, même si la réponse sécuritaire de l'État accorde une attention particulière aux provinces périphériques (comme la surreprésentation des prisonniers politiques kurdes ou le pourcentage élevé de Baloutches exécutés en 2023). La force du nationalisme iranien est un facteur plus décisif que la diversité ethnique du pays, tant au sein de l'élite politique que du mouvement de protestation.
Il semble en définitive que la République islamique cherche à assurer sa survie à court terme. Le soutien au système politique actuel est très faible parmi les plus jeunes. Selon une enquête réalisée en 2022 par le Groupe d'analyse et de mesure des attitudes en Iran, près de 80% des Iraniens aspirent à un changement politique fondamental.
Aujourd'hui, le débat au sein de la population iranienne, dans le pays comme au sein de la diaspora, porte davantage sur le prix à payer pour atteindre un nouvel horizon politique que sur un débat à la manière des années 1990 entre les courants réformistes et conservateurs du système politique existant. Malgré l'impopularité de l'élite politique et les conditions économiques difficiles en Iran, la principale force du système politique actuel est la crainte d'une balkanisation de l'Iran et l'implication des puissances étrangères dans la provocation d'un changement depuis l'étranger.
Les partisans d'un changement pacifique sont nombreux, mais le risque de violence et de chaos reste une arme dans la stratégie de communication des autorités iraniennes, qui jouent sur la peur de ce à quoi pourrait ressembler un Iran post-république islamique.
Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com