Alors que, à Gaza, le carnage s’intensifie, la menace régionale engendrée par les hordes paramilitaires soutenues par Téhéran et leurs immenses arsenaux de missiles n’est plus une abstraction. Des centaines de milliers de paramilitaires multinationaux radicalisés se lancent dans un conflit apparemment avec Israël, mais en entraînant probablement aussi les États-Unis, leurs alliés et la région.
Les milices se rassemblent déjà le long des frontières entre la Syrie, le Liban et Israël, où les attaques de missiles, les escarmouches et les frappes aériennes se multiplient inexorablement. Les responsables militaires israéliens soutiennent depuis longtemps le fait qu’une confrontation déterminante avec ces factions serait nécessaire en dernier recours, en particulier maintenant que les dirigeants israéliens estiment généralement que l’Iran a déclenché ce dernier conflit via le Hamas.
À Gaza, plus de 8 000 personnes sont mortes, dont environ 3 200 enfants palestiniens. Une explosion à la frontière nord d’Israël entraînerait un conflit exponentiellement plus important, vu que le Hezbollah se vante de disposer de 100 000 combattants et de 150 000 roquettes. Le groupe irakien Al-Hachd al-Chaabi compte plus de 240 000 combattants, avec d’importantes forces affiliées en Syrie et au Yémen. Il y a aussi 190 000 combattants du Corps des Gardiens de la révolution islamique, dont un grand nombre sont déjà déployés dans toute la région. En comparaison, il y a 170 000 militaires israéliens actifs et 460 000 réservistes.
Le fait que 300 000 soldats israéliens soient déjà engagés à côté de Gaza explique pourquoi une guerre sur plusieurs fronts constitue le scénario cauchemardesque d’Israël, sachant que la Cisjordanie est par ailleurs en proie à des troubles. L’intervention américaine pourrait devenir inévitable une fois que les supplétifs de l’Iran seront intervenus: Israël ne peut pas combattre tout le monde en même temps.
Ce conflit n’a lieu que parce que toutes les parties ont fabriqué et engendré des monstres qu’elles ne peuvent contrôler. L’existence même du Hezbollah et du Hamas est la conséquence de véritables machinations israéliennes.
Baria Alamuddin
La nervosité des États-Unis face à un conflit généralisé apparaît dans la manière passive avec laquelle ils ont regardé 18 frappes de militants contre des cibles américaines en Irak et en Syrie avant de répondre par deux timides attaques symboliques contre des installations de militants à la frontière syro-irakienne. Le porte-parole de la Maison-Blanche, John Kirby, a déclaré: «Personne ne cherche un conflit avec l’Iran.» Le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a précisé que les États-Unis n’avaient «pas la moindre intention ni le moindre désir de s’engager dans de nouvelles hostilités.» Mais, alors que les frappes des milices se poursuivent inexorablement, Washington pourrait se laisser entraîner, à regret, dans une escalade coup pour coup.
Les ressortissants occidentaux sont invités à quitter le Liban. Le seul aéroport de Beyrouth actuellement opérationnel organise des procédures d’évacuation et la panique règne dans tout le pays à l’idée d’être pris au piège dans la ligne de mire d’une invasion israélienne.
Ce conflit n’est possible que parce que toutes les parties ont fabriqué et engendré des monstres qu’elles ne peuvent contrôler. L’existence même du Hezbollah et du Hamas est la conséquence de véritables machinations israéliennes. Le Hezbollah a été fondé au milieu des ruines fumantes de l’invasion israélienne du Liban en 1982, et l’expansion du Hamas a été attribuée au fait qu’Israël a encouragé le mouvement islamique palestinien comme contrepoids à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) laïque. L’éviscération par Netanyahou de la solution à deux États a annihilé l’opinion palestinienne intellectuelle et modérée, ne laissant sur place que les islamistes armés comme seules entités dotées de stratégies prétendument viables pour résister à l’occupation. De nombreux éditorialistes israéliens et américains affirment que Netanyahou et le Hamas entretiennent depuis des décennies une relation «symbiotique», se favorisant mutuellement dans des calculs politiques partisans. Des hordes malveillantes de colons messianiques et meurtriers, mobilisées par des membres de l’extrême droite qui tirent les ficelles, ont suscité en Cisjordanie un chaos en ébullition qui menace d’exploser à la face de tous. Le seul résultat du carnage à Gaza sera une toute nouvelle génération de monstres vengeurs.
Téhéran a eu du mal à contrôler les hordes multinationales établies par ses soins. Des commandants de milices qui ont tendance à n’en faire qu’à leur tête, tels que Qais al-Khazali, considèrent la provocation continue comme une stratégie productive à l’infini dans le cadre de parcours bâtis sur la pagaille et l’anarchie. Les Kata’ib Hezbollah ont menacé d’attaquer le Conseil de coopération du Golfe (CCG), les Houthis tirent des drones au-dessus de l’espace aérien égyptien et saoudien et les militants irakiens bloquent l’approvisionnement en pétrole le long de la frontière jordanienne. Tout cela alimente de parfaites tempêtes de régionalisation du conflit.
Les déclarations de Téhéran appellent à la désescalade tout en relevant de la provocation. Le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian s’est réjoui du fait que des paramilitaires tels que le Hezbollah avaient «le doigt sur la gâchette» et s’est vanté du fait que leurs prochaines actions seraient «beaucoup plus puissantes et plus profondes que ce dont vous avez été témoins». L’Iran a investi des décennies dans le Hezbollah, qui a joué un rôle de premier plan dans la formation et la mobilisation d’autres milices régionales. La méthodologie des attentats-suicides, qui a fait de nombreuses victimes et a été exploitée à l’infini par Daech et Al-Qaïda, a été lancée par le Hezbollah dans les années 1980.
Personne ne veut que s’étende le conflit: ni Israël, ni les États-Unis, et encore moins l’Iran, en situation de faillite. Cependant, toutes ces parties sont devenues les prisonnières impuissantes d’un cycle d’escalade qu’elles et leurs légions supplétives alimentent activement.
Baria Alamuddin
Téhéran ne veut pas voir Israël démanteler et éliminer son plus grand atout. Le Hezbollah a de même averti qu’il ne resterait pas les bras croisés devant la destruction du Hamas. Comme d’autres puissances qui ont manipulé les conflits du Moyen-Orient pour leur propre plaisir, Vladimir Poutine jette joyeusement de l’huile sur le feu, espérant que si l’Occident était entraîné dans un conflit élargi, l’Ukraine serait complètement oubliée.
Alors que se poursuivent les incursions israéliennes sur Gaza, le Hezbollah a été raillé sur le fait que, en dépit de son discours de «marche sur Jérusalem», il semble très réticent à se précipiter dans le type de guerre qu’il est précisément censé mener. Des centaines de milliers de paramilitaires avides de combats ont également subi un lavage de cerveau qui leur ont fait croire qu’ils représentaient la «résistance islamique», chargée de libérer la Palestine – quels que soient les objectifs machiavéliques réels de leurs employeurs. Heureusement, Hassan Nasrallah, pour l’instant, semble être suffisamment pragmatique pour prendre au sérieux les menaces apocalyptiques d’Israël – même s’il est peu probable que ses efforts pour déplacer le conflit vers les frontières syriennes épargnent le Liban. Nasrallah a rencontré des représentants du Djihad islamique et du Hamas qui l'ont supplié d'entrer dans le conflit, tout en acceptant une coordination via une salle d'opération conjointe.
En 2014, les États-Unis ont autorisé la création du groupe paramilitaire irakien Al-Hachd al-Chaabi comme un moyen de lutte non interventionniste contre Daech, parallèlement aux supplétifs qu’ils soutiennent en Syrie. Cependant, les puissances occidentales n’ont rien fait pour empêcher le mastodonte du Hachd de doubler de taille, même après la défaite de Daech, malgré les avertissements répétés sur les périls que ces forces font peser sur la stabilité régionale. Comme les films d’horreur les plus méchants qu'une imagination enfiévrée puisse inventer, ce lâche échec à tuer les démons morts-vivants des conflits passés revient nous hanter pour Halloween 2023.
Les attitudes opportunistes et les provocations des milices multinationales et de leurs bailleurs de fonds n’offrent guère de réconfort aux citoyens de Gaza, qui sont bombardés, qui meurent de faim et sombrent dans l’oubli. Personne ne veut que le conflit s’étende: ni Israël, ni les États-Unis, et encore moins l’Iran en situation de faillite. Mais toutes ces parties sont devenues des prisonnières impuissantes d’un cycle d’escalade qu’elles et leurs légions supplétives alimentent activement.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com