Démocraties africaines et ingérences occidentales

L'ancien ministre des Affaires étrangères marocain, Mohamed Benaïssa. (Photo AFP)
L'ancien ministre des Affaires étrangères marocain, Mohamed Benaïssa. (Photo AFP)
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Publié le Mardi 17 octobre 2023

Démocraties africaines et ingérences occidentales

Démocraties africaines et ingérences occidentales
  • Le forum d'Assilah vient de consacrer deux colloques aux nouveaux enjeux politiques et stratégiques en Afrique
  • Depuis des décennies, les puissances occidentales ont transformé le standard démocratique en critère de partenariat et de coopération avec les pays africains

Le forum d'Assilah, présidé par l'ancien ministre des Affaires étrangères marocain, Mohamed Benaïssa, vient de consacrer deux colloques aux nouveaux enjeux politiques et stratégiques en Afrique.
Le premier s'est penché sur la question du Sahel et du Grand Sahara et le second a évoqué les relations passionnées et complexes entre l'Afrique et l'Occident.
Nous ne résumerons pas ici les riches et intenses débats d'Assilah auxquels ont participé d’éminentes figures intellectuelles du continent. Nous nous limiterons à aborder le contexte actuel de la nouvelle question africaine eu égard aux nouveaux changements internationaux qui affectent inéluctablement les relations entre l’Afrique et l’Occident.
L'un des points saillants de cette question est relatif au mode de gouvernance politique, qui pose aujourd'hui des problématiques cruciales. Les derniers coups d'État militaires survenus sur le continent, notamment en Afrique de l'Ouest, ont été les signaux alarmants d'une donne dont le spectre est large; elle concerne le modèle démocratique en vigueur dans la région.

Malgré cette vague irrésistible qui s'est étendue sur tout le continent, la dernière décennie a été caractérisée par le retour des régimes militaires dans un contexte de crises institutionnelles et politiques graves.


Depuis des décennies, les puissances occidentales ont transformé le standard démocratique en critère de partenariat et de coopération avec les pays africains. Ce dernier se décline en trois éléments centraux: le multipartisme, les élections libres et la transition pacifique. La majorité absolue des États africains a adopté ce schéma depuis les années 1990 et toute suspension de la légalité constitutionnelle a été sanctionnée au niveau des instances européennes, suivies par les organismes africains.
Malgré cette vague irrésistible qui s'est étendue sur tout le continent, la dernière décennie a été caractérisée par le retour des régimes militaires dans un contexte de crises institutionnelles et politiques graves.
On peut mettre en évidence deux causes essentielles de la «régression démocratique» en Afrique: le blocage des processus d'alternance dû aux manipulations constitutionnelles opérées par des régimes fermés dans le but de se maintenir au pouvoir et le déchaînement des phénomènes de violence et de guerres civiles non susceptibles de résolution par des gouvernements fragiles et corrompus.
Les débats d'Assilah ont été axés sur ces deux tendances perceptibles dans le contexte africain. Des voix ont attiré l'attention sur la relation de causalité entre le formalisme électoral, transformé en mode de despotisme «légal», et la révolte anticonstitutionnelle relayée par l'institution armée.
Cette situation complexe engendre une nouvelle équation délicate qui pourrait être envisagée comme l'inadéquation entre le mécanisme électoral institutionnel et la volonté générale de la multitude, paradoxalement illustrée par l'autoritarisme militaire.
La question qui se pose dès lors est la suivante: quel est le modèle démocratique qui pourrait garantir à la fois les libertés publiques au sein d'un dispositif pluraliste ouvert et transparent et les demandes sociales menacées perpétuellement par les «dérives» des autorités civiles légales?

Il va sans dire que ce populisme qualifié par Achille Mbembe de «néosouverainiste» ne pourrait que déboucher sur l'utopie suicidaire.


L'un des intervenants dans les débats d'Assilah s'est demandé: que nous apporte une démocratie parfaite entérinée par l'extérieur si elle n'a aucun impact bénéfique sur les conditions effectives des citoyens?
La particularité manifeste des nouveaux régimes militaires africains, par rapport aux premières vagues des autorités prétoriennes qui ont longuement accaparé les arènes du pouvoir sur le continent, est le penchant populiste antiélitiste et antioccidental qui se traduit par un large sentiment de désenchantement démocratique partagé par la rue, enragée et révoltée.
Il va sans dire que ce populisme qualifié par Achille Mbembe de «néosouverainiste» ne pourrait que déboucher sur l'utopie suicidaire. La rupture prônée avec l'Occident, le pari sur les fractures récentes de l'ordre mondial et l'exclusion de la classe politique ne conduiront nullement à une alternative fiable.
Dans les débats d'Assilah, une haute personnalité politique européenne a interpellé les activistes africains révoltés par le «paternalisme occidental» (qui est une vérité assertorique) en ces termes: la démocratie comme philosophie et vocation n'est autre que la liberté et l'expression transparente de la volonté populaire. En ce sens, elle est universelle et adaptée à tout contexte social et culturel. Transformer la démocratie en sujet de litige et de discorde revient à légitimer la pire des dictatures militaires.
S'il s'avère clair aujourd'hui que la démocratie africaine souffre des pathologies réelles et si l’on doit admettre sans réserve que la politique d'ingérence occidentale dans les processus de décision politique en Afrique est répréhensible, il n’en reste pas moins certain que les régimes militaires ne pourront jamais être des issues valables ni des recours convenables dans des contextes de crises politiques et institutionnelles.

 

Seyid ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique. Twitter: @seyidbah
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.