C’est reparti. La sixième opération militaire israélienne menée contre Gaza depuis 2005 bat son plein, à la suite des attaques extraordinaires du Hamas en Israël. Tout cela n’est pas surprenant, mais inévitable, puisque rien n’a changé à Gaza. Le choc est cependant de constater que le Hamas ait réussi une opération aussi dramatique et sanglante.
Les premières évaluations d’une crise en cours et avec peu de détails confirmés sont risquées. L’attaque du Hamas depuis Gaza aux premières heures samedi soulève de nombreuses questions et, comme toujours, il existe peu de réponses claires.
Qu’est-ce qui a poussé le Hamas à lancer cette attaque surprise, d’une ampleur jamais vue auparavant? Pourquoi une démarche aussi incroyablement audacieuse et imprudente? Qu’espère-t-il réaliser? Est-ce que tuer des civils aide sa cause? Prendre des civils pour cible constitue un crime de guerre. Il semblerait que le Hamas ait même emmené des enfants israéliens à Gaza. Il affirme qu’il s’agit de mettre un terme à la menace israélienne contre Al-Aqsa et de libérer les prisonniers. Est-ce le cas ou y a-t-il d’autres problèmes en jeu? Qui a pris cette décision et quelles parties de la direction du Hamas savaient et approuvaient cette opération secrète? Y a-t-il un soutien iranien ou étranger poussant le Hamas dans cette direction? Quelqu’un au Hamas a-t-il pensé un seul instant aux horreurs que les civils palestiniens vont désormais devoir endurer?
Comment Israël va-t-il agir? Allons-nous assister à un nouveau bombardement prolongé de Gaza et à une invasion terrestre? Ce gouvernement, le plus extrémiste de l’histoire d’Israël, sera-t-il encore plus brutal dans la conduite de cette campagne? Pourrait-elle avoir pour ambition la réoccupation militaire totale et directe de la bande de Gaza? Israël demeure la puissance occupante, mais contrôle surtout Gaza depuis les lignes d’armistice, la mer et les airs. Cela signifierait le retour de l’armée israélienne à l’intérieur de la bande de Gaza, un scénario que peu de gens devraient saluer. À la fin de toute opération qui s’ensuivrait, des têtes tomberaient et cela pourrait inclure la disparition du Premier ministre Benjamin Netanyahou.
L’Autorité palestinienne peut-elle faire ou fera-t-elle quelque chose? Dispose-t-elle de nombreuses options? Au contraire, cela n’a fait qu’exposer davantage la faiblesse du président Mahmoud Abbas, qui n’a aucune solution ni stratégie pour aider son peuple. De nombreux Palestiniens considéreront le Hamas comme essayant de faire quelque chose, même si certains y verront une mauvaise décision.
À quoi peut-on s’attendre? Il est peu probable qu’il s’agisse d’une escalade à court terme. Israël pourrait bien opter pour une dangereuse invasion terrestre, comme il l’a fait en 2014 après l’enlèvement de trois adolescents israéliens en Cisjordanie. Le Hamas continuera à tirer des roquettes sur Israël aussi longtemps qu’il le pourra. La violence ne se limitera probablement pas à Gaza, avec des informations faisant déjà état d’affrontements à l’intérieur du camp de Shuafat à Jérusalem-Est. Les Palestiniens de Cisjordanie doivent survivre avec des points de contrôle qui les maintiennent enfermés, tandis que les colons chercheront à poursuivre leurs propres objectifs stratégiques à long terme en s’emparant de plus de terres et d’eau, tout en créant un environnement coercitif dans lequel davantage de Palestiniens seront contraints de fuir leurs villages et terres ancestrales.
Pourrait-il y avoir un accord à court terme entre le Hamas et Israël pour revenir à la situation antérieure? Cela est extrêmement improbable. En Israël, Netanyahou sait qu’il doit réagir à ce qui constitue le plus grand échec du renseignement et de la sécurité israéliens depuis 1973. Un échec qui aura ébranlé l’ensemble de l’appareil sécuritaire. Certains membres du Hamas peuvent croire que le fait de détenir des prisonniers israéliens est une carte à jouer, une sorte de police d’assurance. C’est très douteux, du moins jusqu’à ce que les forces israéliennes aient infligé une leçon et des dégâts massifs aux capacités du Hamas.
«Il serait bon de voir les dirigeants abandonner le jeu des reproches pour trouver des solutions à long terme»
Chris Doyle
Mais la plus grande question à long terme est de savoir quelle sera la réaction de la communauté internationale. Si on assiste au scénario traditionnel adopté après chaque autre conflit entre Israël et le Hamas, cela échouera pour les deux peuples. Les slogans ne remplacent pas une stratégie. Oui, Israël a le droit de se défendre, mais entendrons-nous dire que les Palestiniens ont le même droit? La communauté internationale rappellera-t-elle à Israël qu’il y a des limites à l’autodéfense et que les attaques agressives contre des civils ne sont pas admissibles? Et entendrons-nous ce vieux classique de la nécessité de rétablir le calme? De quel calme parle-t-on quand vivre sous occupation permanente est une agression?
La communauté internationale doit s’exprimer clairement et agir de manière décisive. Le Hamas est déjà sanctionné et isolé. Qu’en est-il d’une campagne visant à mettre fin au blocus israélo-égyptien imposé à plus de deux millions de personnes à Gaza et qui dure depuis seize ans? Il s’agit d’une punition collective infligée à tout un peuple, d’un crime de guerre. Maintenir ces Palestiniens enfermés dans une prison à ciel ouvert, incapables de faire du commerce, de voyager et de mener une vie normale est une recette pour le conflit. Les Palestiniens vivent dans un bidonville surpeuplé où l’eau est si mauvaise que même les animaux ne devraient pas la boire. Il est temps de considérer les Gazaouis comme des êtres humains. Nous devons nous demander quelle incidence le blocus a sur les enfants, ce que cela signifie pour 800 000 enfants qui n’ont jamais quitté cet enfer et qui n’ont aucune idée de ce qu’est le monde extérieur. Faire fi des actions illégales d’Israël en Cisjordanie a également entraîné des conséquences.
Si la communauté internationale ne fait rien, nous assisterons alors à la destruction massive de vies humaines. Déjà, le nombre de morts au sein des deux peuples est à trois chiffres et le nombre de Palestiniens tués augmentera toutes les heures pendant que l’opération militaire israélienne se poursuit. La confrontation pourrait également s’élargir au front nord, même si, pour l’instant, le Hezbollah demeure en dehors de ce conflit.
Il serait bon de voir les dirigeants abandonner le jeu des reproches pour trouver des solutions à long terme. Ces solutions devraient être bénéfiques pour tous les peuples. Cela signifie que Gaza pourrait respirer et que sa population pourrait rêver d’une nouvelle vie, libre de l’oppression et de l’occupation. Cela permettrait à l’économie de prospérer. Cela mettrait fin à un blocus qui prive les Palestiniens de Gaza de la possibilité de dialoguer avec ceux de Cisjordanie.
Cela signifierait par ailleurs que les civils israéliens vivant dans les communautés autour de Gaza pourraient vivre en sécurité, à l’abri des attaques à la roquette et au mortier ou, comme actuellement, à l’abri des attaques de combattants armés qui envahissent leurs communautés.
Rien de tout cela ne pourra se réaliser sans un processus politique clair et viable. L’administration américaine s’est prononcée avec plus de force contre de nombreuses actions israéliennes cette année, comme elle le devrait, mais elle n’a proposé aucun projet politique qui aborde le sort des Palestiniens.
L’Arabie saoudite a subi des pressions pour abandonner toute véritable solution à la question palestinienne dans le cadre des efforts américains en faveur d’un accord de normalisation israélo-saoudien. Elle a eu raison de s’y opposer.
Les événements nous montrent, une fois de plus, que l’avenir des Palestiniens est au cœur de ce conflit. Comme l’a fait remarquer un commentateur israélien: «Israël ne sera jamais un paradis si la vie à Gaza est un enfer.» Sans résoudre cette question de manière juste et raisonnable, tous les accords de normalisation du monde n’apporteront pas la paix et la sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l’Université d’Exeter. Il a accompagné et organisé les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.
X: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com