Cet été, les Nations unies ont adopté deux résolutions majeures, l'une par le Conseil des droits de l'homme et l'autre par le Conseil de sécurité, sur la manière de traiter le fanatisme et la haine religieuse dans le monde, dont l'islamophobie. Mesurés, équilibrés et nuancés, les nouveaux instruments des Nations unies pourraient contribuer à lutter contre ce phénomène croissant.
En avril 2021, un rapport des Nations unies a constaté que la suspicion, la discrimination et la haine pure et simple à l'égard des musulmans avaient atteint des «proportions épidémiques». Dans de nombreuses régions du monde, l'islamophobie est en hausse parce qu'elle est cyniquement utilisée dans les campagnes politiques, en particulier par les groupes et les partis politiques d'extrême droite à des fins électorales, avec un succès considérable. Elle a également été utilisée pour justifier les discriminations et les violences perpétrées à l'encontre des minorités musulmanes.
Un récent rapport du Centre européen d'études sur le populisme, basé à Bruxelles, montre qu'en Europe, la montée du populisme a été associée à celle de l'islamophobie, avec une «augmentation exponentielle des votes» pour les partis politiques anti-islam, qui dépeignent fallacieusement l'islam et les musulmans comme des menaces existentielles. Ce rapport indique également que l'islamophobie est devenue une forme de racisme accepté, non seulement en marge des sociétés européennes, mais aussi au centre. Ce lien entre populisme et islamophobie a également été observé dans d'autres parties du monde.
Il est par ailleurs paradoxal que le fanatisme à l'égard des musulmans soit plus élevé dans les sociétés où les musulmans constituent de très petites minorités, comme dans certaines nations d'Europe de l'Est, selon les recherches citées par le centre: «L'islamophobie sans les musulmans s'est avérée être une bénédiction pour les populistes de droite», qui ont instrumentalisé la haine contre les musulmans et l'ont diffusée avec succès pour remporter des élections et entrer dans des coalitions gouvernementales.
Une étude récente montre comment, en Europe, la montée du populisme a été associée à celle de l'islamophobie.
Abdel Aziz Aluwaisheg
Pour faire face à cette menace croissante, le Conseil des droits de l'homme des nations unies a adopté en juillet une résolution condamnant tout «appel à la haine religieuse et toute manifestation de cette haine, y compris les récents actes publics et prémédités de profanation du Saint Coran». Il a souligné la nécessité de «demander des comptes aux responsables», conformément au droit international des droits de l'homme. Il a appelé les États membres à adopter des lois, des politiques et des cadres d'application de la loi nationaux qui traitent, préviennent et poursuivent les actes et les appels à la haine religieuse qui constituent une incitation à la discrimination, à l'hostilité ou à la violence, et à prendre des mesures immédiates pour faire en sorte que les responsables rendent compte de leurs actes.
Le Conseil a exhorté le Haut-Commissaire des nations unies aux droits de l'homme et tous les organes compétents, dans le cadre de leurs mandats respectifs, à s'élever contre l'incitation à la haine religieuse.
En juin, le Conseil de sécurité des nations unies a adopté à l'unanimité la résolution 2 686 pour aborder un autre aspect de la question, exprimant sa «profonde inquiétude» face aux cas de discrimination, d'intolérance et d'extrémisme, notamment ceux motivés par l'islamophobie. Il a cité «des cas de violence alimentés par des discours de haine, de désinformation et de mésinformation, notamment par le biais de plates-formes de réseaux sociaux». Puis, dans seize paragraphes pratiques, la résolution énonce les mesures à prendre par les États pour faire face à ce danger croissant.
Cette résolution souligne que les discours de haine, le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie peuvent contribuer à l'éclatement, à l'escalade et à la récurrence des conflits et compromettre les initiatives visant à s'attaquer aux causes profondes des conflits, à les prévenir et à les résoudre, ainsi que les efforts de réconciliation, de reconstruction et de consolidation de la paix. Le Conseil a exhorté les pays et les organisations internationales et régionales à condamner publiquement la violence, les discours de haine et l'extrémisme motivés par la discrimination, notamment fondée sur la race, l'appartenance ethnique, le genre, la religion ou la langue. Il a encouragé toutes les parties prenantes concernées, y compris les chefs religieux et communautaires, les entités médiatiques et les plates-formes de réseaux sociaux, à s'élever contre les discours de haine et à promouvoir la tolérance et la coexistence pacifique.
Le Conseil de sécurité des nations unies a invité les États à encourager le dialogue et le respect entre les religions et les cultures, à promouvoir et à protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales de tous les individus, à garantir l'égalité d'accès à la justice et à préserver l'intégrité des institutions de l'État de droit.
Ces nouvelles mesures sont importantes pour endiguer la marée montante et lutter contre les nouvelles formes de fanatisme dans le monde.
Abdel Aziz Aluwaisheg
La résolution encourage les États à prévenir la propagation d'idéologies intolérantes et l'incitation à la haine par l’éducation, à promouvoir la tolérance, les droits de l'homme et le dialogue interreligieux et interculturel, ainsi que l'ouverture, l'inclusion et le respect mutuel.
Elle charge les représentants, les envoyés, les missions et les soldats de la paix de l'ONU de surveiller les incidents violant ces valeurs et elle demande au secrétaire général d’établir un rapport au Conseil en juin 2024 sur cette question.
Pour sensibiliser à ce phénomène et contribuer à le combattre, un certain nombre de pays et d'organisations ont nommé des représentants spéciaux pour s'y attaquer. À titre d’exemple, la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe, Marija Pejcinovic Buric, a nommé en 2020 le directeur de la communication du Conseil, Daniel Holtgen, au nouveau poste de représentant spécial pour la haine et les crimes de haine antisémites et antimusulmans.
Mme Pejcinovic Buric a commenté cette nomination en ces termes: «Vendredi, un an se sera écoulé depuis l'attentat antisémite meurtrier perpétré dans une synagogue de Halle, en Allemagne, à l'occasion de la fête juive du Yom Kippour. En février de cette année, un militant d'extrême droite a tué dix personnes, dont plusieurs d'origine musulmane, à Hanau. Il ne s'agit plus d'événements isolés. Nous assistons aujourd'hui à une montée alarmante des attaques antisémites et antimusulmanes dans de nombreuses régions d'Europe, souvent incitées et aggravées par des discours de haine en ligne.»
En mars 2022, l'Assemblée générale des nations unies a déclaré le 15 mars de chaque année comme Journée internationale de lutte contre l'islamophobie pour tenter d'endiguer cette vague. En janvier de cette année, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a annoncé qu'il nommerait Amira Elghawaby première représentante spéciale du Canada pour la lutte contre l'islamophobie afin de s'attaquer au racisme, à la discrimination et à l'intolérance religieuse auxquels sont confrontés des millions de Canadiens musulmans.
En février, la Commission européenne a nommé Marion Lalisse au poste de coordinatrice de la lutte contre la haine antimusulmane. Mme Lalisse travaillera avec les États membres, les institutions européennes, la société civile et le monde universitaire pour renforcer les réponses politiques dans le domaine de la haine antimusulmane. Dans ses nouvelles fonctions, la coordinatrice sera le principal interlocuteur des organisations travaillant dans ce domaine au sein de l'Union européenne (UE).
Autrefois, les Nations unies ont joué un rôle déterminant dans l'interdiction de la discrimination raciale et de l'esclavage. Ces nouvelles mesures sont importantes pour endiguer la marée montante et lutter contre les nouvelles formes de fanatisme dans le monde, en particulier l'islamophobie. Le secrétaire général des Nations unies et le commissaire aux droits de l'homme sont désormais chargés de surveiller et de signaler les cas d'islamophobie et les mesures prises par les membres des Nations unies pour lutter contre cette forme odieuse de racisme.
Abdel Aziz Aluwaisheg est le secrétaire général adjoint du Conseil de coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations. Les opinions exprimées ici sont personnelles et ne représentent pas nécessairement le CCG.
X : @abuhamad1
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com