L'accord informel entre les États-Unis et l'Iran sur l'échange de prisonniers en échange du déblocage de milliards de dollars d'actifs iraniens est entré en vigueur la semaine dernière. Cependant, la même semaine, c’est un autre événement important qui a déclenché un énorme tapage en Iran. Le célèbre footballeur portugais Cristiano Ronaldo, qui joue dans la Saudi Pro League pour l’Al-Nassr FC, est arrivé à Téhéran avec ses coéquipiers pour un match de la Ligue des champions de la Confédération asiatique de football (AFC) contre Persépolis.
Il est vrai que lorsqu'une célébrité visite un pays, de nombreux fans essaient de la voir et peuvent même se battre pour un selfie. Mais en Iran, la situation est bien différente de ce qu'elle est dans d'autres parties du monde. Sur ordre des responsables sportifs et municipaux iraniens, la route qui mène au stade Azadi et la zone qui l'entoure ont été embellies. Des panneaux qui souhaitent la bienvenue à l'équipe en déplacement ont également été installés dans toute la ville, dans différentes langues. Les autorités se sont empressées de rénover le stade qui accueillait le match, car il était encore récemment en très mauvais état.
Des supporters iraniens ont afflué de diverses provinces, et nombre d’entre eux ont tenté de s'introduire dans l'hôtel où logeait l'équipe. D'autres ont envahi la zone verte de l'hôtel, se sont rassemblés devant le bâtiment pendant plusieurs heures, ont scandé des slogans et ont réservé des dizaines de chambres dans l'hôtel dans l'espoir d'entrer en contact avec les joueurs en visite.
La visite d'Al-Nassr à Téhéran a également attiré l'attention des responsables iraniens. Le ministre du Patrimoine culturel et du Tourisme, Ezzatollah Zarghami, s'est moqué du ministre des Communications en déclarant que Ronaldo devrait télécharger des applications iraniennes sur son téléphone pour contourner le blocage des sites Internet par le gouvernement iranien. Zarghami a ajouté que le joueur portugais serait également bien avisé de conseiller à sa famille et à ses amis en dehors de l'Iran d’utiliser des applications afin de pouvoir facilement le contacter.
Les supporters iraniens ont afflué de partout et nombre d'entre eux ont tenté de s'introduire dans l'hôtel où logeait l'équipe en déplacement
Mohammed al-Sulami
Les médias iraniens ont abordé l'événement sous différents angles. Le journal Donya-e-Eqtesad a estimé qu'il s'agissait d'une «question nationale» qui mettait les autorités à l'épreuve. Le journal Khorasan admet que la visite du footballeur à Téhéran – même si elle n'a duré que deux jours – a semé le chaos non seulement dans la capitale, mais aussi dans l’ensemble du pays. Il ajoute que la présence de joueurs tels que Ronaldo dans la ligue de football d'Arabie saoudite plutôt que dans celle d'Iran a renforcé le ressentiment des fans de football iraniens.
Le journal Jahan-e Sanat regrette que les autorités iraniennes aient fait des pieds et des mains pour s'assurer que les joueurs d'Al-Nassr ne rencontrent aucune difficulté pendant leur séjour, notamment en veillant à ce que leurs cartes SIM ne soient pas soumises à des restrictions d'accès à Internet. «Tout ce que nous espérons, c'est que, en plus de se préoccuper de la communication des footballeurs avec leurs familles pendant leur séjour en Iran, les fonctionnaires accordent un peu d'attention au peuple iranien qui souffre à chaque instant de restrictions et de difficultés non seulement pour communiquer, mais aussi pour travailler et répondre à ses besoins quotidiens...»
Le journal dénonce également l'intérêt exagéré des autorités pour l'événement, qui n'a duré que trente-six heures, tout en ignorant le peuple iranien. «Si le blocage d'Internet est une honte, et s'il est nécessaire de décorer l'Iran, de rénover le stade Azadi, d'embellir l'aéroport et de corriger l'attitude des fonctionnaires, pourquoi ne résolvez-vous pas ces problèmes pour nous, les Iraniens? Ronaldo viendra jouer un match de football et repartira. Mais nous vivons ici pour l'éternité sur la terre de nos ancêtres. Ne méritons-nous pas ce respect et ce travail acharné de la part des fonctionnaires pour optimiser la situation? Si nous n'avons pas la même valeur que Ronaldo, nous sommes du moins des êtres humains», écrit-il notamment.
Azari Jahromi, ancien ministre des Communications, a écrit sur son compte Instagram: «Au lieu de se préoccuper des outils qui permettent de contourner le blocage d'Internet pour les célèbres footballeurs pendant leur séjour en Iran, j'appelle les responsables à prêter attention aux problèmes auxquels le peuple iranien se trouve confronté lorsqu'il tente d'accéder aux plates-formes de médias sociaux.»
La visite du footballeur portugais à Téhéran a semé le chaos non seulement dans la capitale, mais aussi dans tout le pays.
Mohammed al-Sulami
Le journal Setar-e Sobh dénonce quant à lui l'absence d'un plan global relatif à l'accueil des personnalités internationales. C’est ce qui a provoqué le chaos lors de la réception de l'équipe saoudienne: «Il faut admettre que les sanctions, l'isolement du monde et le retard nous ont amenés à nous demander [comment nous comporter] lorsqu'un footballeur international arrive en Iran et d’agir de manière qui ne ressemble pas au peuple iranien. […] Les photos qui circulent sont une honte et une source d'opprobre pour les Iraniens. Le comportement de certains fans […] montre que l'Iran est toujours un pays du tiers monde – non seulement sur la scène mondiale, mais aussi au niveau local.»
Cependant, le site Internet Salam-e No refuse d’incriminer les supporters iraniens. Il indique que ce sont les responsables gouvernementaux et ceux du club Persépolis qui devraient plutôt être décriés. Il ajoute que si un meilleur plan avait été élaboré, un tel chaos n'aurait jamais eu lieu.
En réalité, les événements qui ont entouré cette visite ne montrent pas que les supporters iraniens sont des voyous, mais ils révèlent la désorganisation et le manque de planification de la part des autorités. Plus important encore, ces événements révèlent l'aspiration des Iraniens à une vie normale, loin de l'idéologie du régime, de la militarisation et de la dilapidation des ressources du pays dans des projets extraterritoriaux, sans parler des privations subies par le peuple iranien à différents niveaux, comme l'accueil de footballeurs de renommée mondiale, ce que le pays n'avait pas connu depuis des décennies.
Le pic d'émigration de ces dernières années confirme notre argument selon lequel les Iraniens aspirent à une vie normale. En outre, un rapport récent a révélé que le nombre d'Iraniens qui vivent dans la misère a augmenté de plus de 60%.
Dans le même ordre d'idées, Fayad Zahed, chercheur en sociologie, a affirmé que la société iranienne n'était pas une société internationale. Il a ajouté: «Nous sommes rarement témoins d'événements mondiaux dans le pays. Ils ont érigé une barrière autour de l'Iran par rapport à ces questions. Nous n’avons pas de grands concerts musicaux, d'acteurs renommés en visite dans le pays ou d'équipes de football célèbres au niveau du club ou du pays.»
Cela a créé un sentiment de réclusion ainsi qu'un isolement social et international.
Pour conclure, il faut dire que la décision de l'AFC de faire jouer le match sans supporters – certains accusant la fédération iranienne de football d'avoir veillé à ce que les fans iraniens n'assistent pas au match, que ce soit délibérément ou par erreur – a été une aubaine pour les autorités. Ces dernières craignaient que les supporters iraniens n'encouragent Al-Nassr et ne célèbrent sa victoire comme ils l'avaient fait lorsque l'équipe nationale des États-Unis avait battu l'Iran lors de la Coupe du monde 2022 de la Fifa. Cette situation aurait été profondément gênante pour le régime étant donné son incapacité à organiser ou à contrôler la situation – un régime qui, par ailleurs, empêche les femmes d’accéder aux stades en général.
Mohammed al-Sulami est le fondateur et le président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
X: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com