L’une des principales promesses du Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, était de normaliser la situation dans tout le centre de l’Irak en transférant le contrôle de l’armée à la police civile. Les forces militaires régulières se sont effectivement retirées dans le calme dans de nombreuses provinces.
Cependant, les paramilitaires de Hachd al-Chaabi, les Forces de mobilisation populaire (FMP) sont toujours là, et continuent de piller des milliards de dollars dans les villes irakiennes qui souffrent d’une occupation des milices comparable en termes de criminalité, de corruption et de violence à celle de Daech.
Ali al-Husseini, l’un des commandants des FMP, a qualifié la présence de ses factions dans les villes libérées, de «forces officielles déployées avec l’assentiment et l’approbation» du Premier ministre. Il a ajouté d’un ton menaçant: «Les appels au retrait des forces des FMP sont ambigus et sont au service d’un programme qui ne souhaite pas la stabilité de l’Irak.»
Michael Knights, chercheur sur les Forces de mobilisation populaires, décrit Soudani comme une marionnette. «Les véritables puissances sont trois seigneurs de guerre, chacun étroitement lié à l’Iran: les dirigeants du Hachd: Qaïs Khazali, de la milice Asaïb Ahl-al-Haq, Hadi al-Amiri, de l’organisation Badr, et l’ancien Premier ministre, Nouri al-Maliki», explique-t-il. Un député des FMP a décrit l’Irak comme ayant un gouvernement de «résistance», affirmant que «la résistance représente la vision officielle de l’Irak, et c’est elle qui dirige les affaires aujourd’hui».
Le Hachd est souvent présenté à tort comme ne représentant qu’une menace militaire pour l’Irak, son budget ayant récemment doublé et le nombre de ses hommes ayant été multiplié par deux pour atteindre 240 000. Mais, comme le Hezbollah au Liban, les FMP sont devenus très habiles à manipuler les allées du pouvoir pour accaparer les postes politiques, judiciaires, économiques et administratifs.
Michael Knights a souligné qu’au cours des derniers mois, le Service national de renseignement irakien, l’aéroport de Bagdad, les organismes anticorruption et les postes de douane étaient tous tombés sous le contrôle du groupe. À cela s’ajoutent de grandes institutions comme le ministère de l’Intérieur, déjà dominé par le Hachd. L’influence des FMP sur la Cour suprême irakienne, par l’intermédiaire du juge Faiq Zaydan, leur a permis de contrôler le nouveau gouvernement, malgré des pertes humiliantes lors des élections de 2021.
Dans de nombreuses grandes villes, comme Mossoul et Tikrit, une dizaine de factions différentes des FMP rivalisent pour la domination paramilitaire et commerciale via divers «bureaux économiques». Dans les villes à majorité sunnite et dans les régions rurales où règne un brassage ethnique, les forces sectaires chiites se comportent comme des armées militaires conquérantes, tout en saignant de manière parasitaire jusqu’au dernier dinar les économies locales.
Lorsque les forces du Hachd ont pris la ville multiethnique de Kirkouk en 2017, un grand nombre de Kurdes ont fui, notamment des membres du Parti démocratique du Kurdistan qui ont averti que la ville avait été «occupée» par des milices chiites hostiles. Ce mois-ci, en réponse aux projets du PDK de rouvrir un bureau à Kirkouk, la faction Asaïb Ahl-al-Haq du Hachd a mis en place un camp de protestataires et bloqué les routes principales, plongeant la ville dans le chaos.
Lorsque les citoyens ont protesté contre ces actions, la police a ouvert le feu sur eux, faisant de nombreux blessés et un mort. En mai, une faction turkmène des FMP s'est engagée dans une fusillade contre les forces des FMP de Badr pour une mainmise sur les points de contrôle lucratifs autour de l'aéroport de Kirkouk, provoquant l'intervention d'officiers des Gardiens de la révolution iraniens.
«Le Hachd n’a jamais été aussi fort. Et bientôt, il émergera pleinement et constituera la menace régionale d’une centaine de nouveaux Daech»
Baria Alamuddin
Les enquêteurs ont montré comment, dans tout le centre de l’Irak, les FMP se sont emparés illégalement de vastes terres et de milliers de maisons comme «butin de guerre». Un avocat spécialisé dans l’immobilier, enquêtant sur ces affaires à Mossoul, a affirmé que ce qui s’est passé après 2017 était une continuation de ce qui s’était passé sous Daech «avec seulement quelques variations dans les appellations». Il a indiqué que les Hachd «ont profité du vide sécuritaire et manipulé les registres de propriété par l’intermédiaire de leurs bureaux économiques».
Le gouverneur de Ninive, Nawfal Sultan al-Akoub, a été emprisonné pour des crimes, notamment pour collusion avec les dirigeants des FMP en vue de détourner plus de 70 millions de dollars (un dollar = 0,94 euros) de fonds prévus pour la reconstruction. Akoub a reproché à Asaïb Ahl-al-Haq d’avoir saisi par la corruption de vastes étendues de biens immobiliers à Mossoul, déplorant qu’ils l’aient exploité puis abandonné à son sort. Le tribunal pénal de Ninive a enquêté sur un réseau de courtiers immobiliers affiliés aux FMP et complices de falsification de documents concernant le vol de 9 000 propriétés.
Avec la création de la Compagnie générale Mouhandis des FMP, du nom du défunt chef du Hachd Abou-Mahdi al-Mouhandis, les milices peuvent contrôler l’économie irakienne avec des flux de revenus s’élevant à des milliards de dollars, monopolisant les appels d’offres du gouvernement et obtenant des conditions commerciales préférentielles. Les FMP contrôlent les départements gouvernementaux dotés de budgets de plusieurs milliards de dollars. Un article universitaire décrit le phénomène de «convergence criminalité-terrorisme», alors que les forces du Hachd et le reliquat de Daech transforment les frontières irako-syriennes en «une plaque tournante pour le trafic d’armes, de drogues, de pétrole et de personnes».
Cette corruption, cette violence et ce crime organisé constituent le moyen le plus sûr de ramener la population irakienne dans les bras de groupes comme Daech. Des milliers de personnes ont été «victimes de disparitions forcées» par les milices du Hachd. Lors d’un seul incident survenu en 2016 à Saqlawiyah, dans le gouvernorat d’Anbar, au moins 643 hommes et garçons ont été enlevés et vraisemblablement massacrés par des paramilitaires des FMP.
À mesure que le Hachd était de plus en plus détesté, même au sein de la population chiite, il est devenu de plus en plus impossible d’avoir recours aux processus électoraux pour s’accrocher au pouvoir: à un moment donné, le Hachd abandonnera inévitablement le processus «démocratique» factice et utilisera ses forces armées et politiques pour organiser un véritable coup d’État, soutenu par le Hezbollah et d’autres forces qui lui sont alliées à l’échelle régionale.
Je ne compte plus les articles que j’écris pour mettre en garde sur le fait que la communauté internationale dort au volant, incapable de réagir à des événements aux conséquences mondiales manifestes. L’Occident ne lèvera clairement pas le petit doigt pour aider à réduire la taille du Hachd. Mais nous devrions au moins être conscients des conséquences qui vont résulter de la prise de contrôle de pays comme le Liban, la Syrie et l’Irak par des factions ouvertement déterminées à attaquer l’Occident et les États arabes.
La détente entre l’Iran et le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a simplement neutralisé l’attention internationale portée sur le Hachd et ses alliés, leur permettant d’accroître tranquillement et sans interruption leur envergure, leur puissance et leur richesse, au point qu’ils sont devenus le visage dominant de l’État irakien.
Le Hachd n’a jamais été aussi fort. Et bientôt, il émergera pleinement et constituera la menace régionale d’une centaine de nouveaux Daech.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.