Dans le cadre de la relation particulièrement tendue entre la France et ses alliés en Afrique, les médias et le gouvernement français ont adopté des mesures regrettables à court terme contre le Maroc pendant un moment de crise nationale la semaine dernière, alors que la région subit les conséquences d’un tremblement de terre de magnitude 6,8. Cette approche, qui a suscité la désapprobation d’anciens présidents français et de l’élite politique au sens large, faisait suite à une lettre selon laquelle le Maroc n’avait ni demandé ni exigé l’aide de la France.
Faisant allusion aux inévitables «surabondances» d’aide qu’elle souhaitait éviter, la demande de Rabat a provoqué une surprenante avalanche d’articles de presse antimarocains, ancrés dans un esprit postcolonial et protestant contre la réaffirmation même de la souveraineté de Rabat sur cette question. Ne tenant visiblement pas compte de la situation intérieure très sensible au Maroc, le discours de la France s’est retourné contre elle.
Au fil du temps, la réalité incontournable de la solidarité nationale au Maroc et le plan gouvernemental d’un milliard de dirhams (1 dirham marocain = 0,091 euro) pour reloger et soutenir les familles sinistrées sont apparus au premier plan. Le journal britannique The Guardian, qui dispose d’une équipe dans la région du Haouz touchée par le séisme, souligne que le Maroc n’est pas comme la Libye. «C’est un État moderne et fonctionnel», déclare le grand reporter Peter Beaumont. «Les gens ordinaires se sont mobilisés à grande échelle et il existe un très fort sentiment d’appartenance nationale.» Les médias internationaux ont repris ces propos, soulignant à quel point Paris s’était éloigné du consensus mondial.
«Ne tenant visiblement pas compte de la situation intérieure très sensible au Maroc, le discours de la France s’est retourné contre elle.»
Zaid M. Belbagi
Après avoir entamé sa présidence par une visite d’État au Maroc, où il a été accueilli en tant que successeur de grands amis du pays comme François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron a connu, au cours de son mandat, un déclin soutenu de l’influence française, pas seulement au Maroc, mais dans la région au sens large. Cette réalité – et ce n’est pas faute d’implication militaire – a coïncidé avec la plus forte présence militaire française dans la région depuis l’époque coloniale. L’affaire marocaine, qui s’est produite quinze jours après le renversement d’un huitième gouvernement sahélien lors d’un énième coup d’État qui a marqué le départ du pouvoir des protégés de la France, est plutôt le reflet d’un malaise plus large.
La demande faite à la France de retirer ses troupes de l’opération Barkhane au Mali l’année dernière était le signe le plus flagrant du déclin de son influence. Plus d’une décennie après que la France s’est engagée dans une opération clairement définie et relativement populaire visant à éliminer les extrémistes des zones urbaines, la mission de Paris a sombré dans un conflit prolongé dans lequel elle ne pouvait plus avoir d’influence. Le conflit localisé s’est depuis étendu aux pays voisins, la France soutenant souvent des gouvernements impopulaires et défaillants. Cette situation a contribué à l'émergence d'un sentiment antifrançais dans la région, exacerbé par une série d’erreurs diplomatiques de la part de la France. Pour sauver la face, la base de Barkhane a été déplacée vers le Niger voisin, qui a également appelé cet été au départ des troupes du pays.
Le réseau diplomatique, militaire, économique et financier de la France en Afrique, autrefois solide, a connu un véritable déclin ces dernières années. Bien qu’il ait commencé sa présidence avec l’espoir de changer le discours et de remplir un rôle plus nuancé pour la France – plus conforme au statut croissant de ses alliés africains –, M. Macron a poursuivi un programme que les critiques ont perçu comme néocolonialiste. À la suite d’une recrudescence de la rhétorique antifrançaise, la décision «d’inviter» les dirigeants du G5 Sahel – le Niger, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso et le Tchad – à se rendre dans la ville française de Pau en 2020 a été considérée comme une convocation d’États clients. Le Premier ministre malien, Choguel Maïga, a accusé la France de recourir au «terrorisme politique, médiatique et diplomatique».
«Controversée, désagréable et parfois tout à fait critiquable, l’attitude de la France en Afrique a un passé pour le moins mouvementé.»
Zaid M. Belbagi
Controversée, désagréable et parfois tout à fait critiquable, l’attitude de la France en Afrique a un passé pour le moins mouvementé. Autrefois maître ou protecteur de vingt États africains, le drapeau tricolore s’étendait alors sur tout le continent. Mais l’égalité et la liberté de la république française faisant souvent défaut, la France a utilisé cette expérience pour prôner une politique d’assimilation, cherchant à faire des peuples africains qu’elle dirigeait des Françaises et des Français. Le fait d’imposer la langue, la culture, la religion, le droit, les traditions et les valeurs françaises aux sociétés d’Afrique de l’Ouest et d’Algérie a été particulièrement répandu et a eu des conséquences durables. Une tendance qui a fait face à de sérieux défis au Maroc, ce dernier ayant conservé son sultan et ses institutions.
Le Maroc, dernier des pays africains à avoir été colonisé, est resté un cauchemar administratif pour la France tout au long de sa courte Histoire coloniale. Incapable d’en faire un département français comme à Alger, la France a instauré un régime de protectorat, conservant les facettes traditionnelles de l'État marocain. Cependant, les quarante-quatre années d’expérience, dont la moitié a été consacrée à tenter de pacifier les tribus armées du Maroc, n’ont pas suffi à intégrer pleinement les coutumes françaises au sein de la société locale. Cette expérience a renforcé un sentiment résiduel d’identité nationale que certains à Paris n’apprécient toujours pas.
À la lumière des retombées diplomatiques de la semaine dernière, Emmanuel Macron a voulu répondre à l’accueil froid de Rabat au moyen d’une vidéo sur Smartphone, dans laquelle il s’adresse directement au peuple marocain. Ce geste s’est retourné contre lui, les Marocains remettant en question son droit de le faire et les médias français eux-mêmes rappelant à leur président que la prérogative de s’adresser à un peuple appartient d’abord à son gouvernement. La situation s’est encore détériorée samedi, lorsque le Maroc a rejeté les propos de la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, selon laquelle M. Macron avait été invité par le roi Mohammed à se rendre dans le pays.
La réponse de Rabat à l’intrusion de la France est considérable. Grâce à l’aide fournie, Rabat a rouvert l’une des principales routes menant au cœur de la zone du séisme, qui avait été bloquée par des débris. Les hélicoptères militaires du pays ont effectué des sorties jour et nuit, dans le cadre d’une réponse civile plus large qui n’est pas sans rappeler la mobilisation du pays contre la France il y a des décennies. Paris ne doit pas oublier que fournir une aide aux pays étrangers est un privilège et non un droit.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com