La laïcité, comme caution d’égalité, est plus qu’une chance: un gage de convivialité et de tolérance universelle, entre les élèves de différentes croyances. Tel est mon credo.
Cela dit, quid de l’abaya? Personnellement, je ne vois pas où est le «mal», où serait l’atteinte à la laïcité. Il me semble que les «anti-abaya» ont une vision préconçue, vision qui projette sur cet habit un attribut foncièrement religieux. Maintenant, s’il est des jeunes filles qui portent l’abaya comme telle, détournant ainsi et opportunément la fonction de cet habillement, c’est une autre affaire, mais ce n’est pas au législateur d’en décider – de décider des «intentions» de la porteuse…
D’expérience et de vécu, je peux affirmer que l’abaya a toujours fait partie de la garde-robe des femmes de chez moi, lesquelles n’avaient rien de… bonnes sœurs. Qui plus est, le port de cette sorte de «toge» était en vigueur bien avant l’islamisation du Maghreb. Par ailleurs, on nous dit que l’abaya procède du voilement tout comme le hidjab. Mais que l’on nous dise: de tous les habits portés à travers le monde, sur tous les continents, y compris et surtout en Occident, qu’est-ce qui ne procède pas du voilement des corps?
Des camisoles qui se portent à l’esprit…
Quant au camis, signalons au passage que c’est ce mot qui a donné le nom commun français désignant un vêtement porté par les hommes et les femmes de France: «chemise». Voire: c’est le même «camis» qui est à l’origine de… «camisole», ce qui est plus évident, certes, quoique plus «contraignant». Mais il est des camisoles qui se portent à l’esprit, et celles-là sont encore plus dangereuses que les «camis»!... Autant dire que c’est ce genre de «camisoles» que portent, à leur insu, celles et ceux qui voient dans l’abaya un signe d’identification religieuse…
Mais contextualisons… Depuis une décennie, la France souffre de maux que l’on croyait réservés aux pays du tiers-monde: pénurie de médecins et d’infirmières; pénurie d’enseignants et classes surchargées; nombreux sont les étudiants qui ne prennent qu’un repas par jour, sans compter les difficultés à se loger; les fameux «Restos du Cœur» appellent depuis longtemps à l’aide, ne pouvant plus nourrir les nécessiteux qui se pressent à leurs portes.
Aussitôt formé, le nouveau gouvernement se devait de frapper fort. Et comment frapper assez fort pour… frapper les esprits et faire oublier aux citoyens les déboires du quotidien? Eh bien... Il suffisait de détourner l’attention des Français, en focalisant les consciences sur le danger qui se présente aux portes des écoles de la République.
Salah Guemriche
Et que fait l’État? Aussitôt formé, le nouveau gouvernement se devait de frapper fort. Et comment frapper assez fort pour… frapper les esprits et faire oublier aux citoyens les déboires du quotidien? Eh bien... Il suffisait de détourner l’attention des Français, en focalisant les consciences sur le danger qui se présente aux portes des écoles de la République.
L’Islam, pardi! Oui. Sus à ces nouveaux chevaux de Troie que cachent les abayas et les camis, citoyens et citoyennes de France! C’est un classique, que la politique du bouc-émissaire, on le sait. Un classique, et pourtant, au sein d’une population en plein désarroi, ça marche encore!Le «mal», c’est toujours l’étranger… Et ce mal menace les valeurs de la nation. «Un mal qui répand la terreur», dirait Jean de La Fontaine, dans Les animaux malades de la peste… Célèbre fable que, pour faire plaisir au ministre de l’Éducation nationale, je me permettrai de parodier en ceci:
Un mal qui répand l’entrisme et la confusion
Mal que l’Islam de France en sa duplicité
Inventa pour profaner la sainte laïcité:
L’abaya (puisqu’il faut l’appeler par son nom) …
L’abaya serait donc pire qu’un virus…
Troublante équivalence, n’est-ce pas! L’abaya serait donc pire qu’un virus. Un virus contre lequel le pays de Pasteur, même s’il n’a pas réussi à trouver un vaccin contre la Covid-19, promet aux Français un vaccin radical contre le radicalisme et la prolifération des abayas! De quoi s’écrier: «Eurêka!», en effet.
Et les soutiens à l’interdiction de l’abaya n’ont pas manqué, il faut le reconnaître. Dans la sphère politique comme dans l’opinion. Côté opposition, Fabien Roussel (PC) a dit oui, sans tergiverser. Parmi les Insoumis (LFI), il y a eu des pour et des contre. Insoumis un jour, insoumis pas toujours. Seule Clémentine Autain aura été claire: «Jusqu’où ira la police du vêtement? La proposition de Gabriel Attal est anticonstitutionnelle.»
À l’extrême-droite, on jubile, évidemment. Et, comme il est devenu coutumier, le législateur a sollicité l’avis du président de la Conférence des imams de France, le dénommé Chelghoumi, lequel a conclu ainsi son intervention sur Europe-1: «Aller à l’école avec l’abaya ou le qamis est une provocation.» Point. L’avis du Conseil du culte musulman, qui a contesté «la «connotation religieuse de ces vêtements», n’aura pas été audible.
Restait l’avis du président de la République. Un avis clair et ferme: «Nous ne laisserons rien passer. Nous devons être intraitables.» «Intraitables», oui, l’heure étant on ne peut plus grave. Afin que les autorités puissent enfin se tourner vers les autres problèmes qui assombrissent autrement le quotidien des citoyens. Ce matin, encore, les Resto du Cœur ont fait entendre leurs cris de désespoir.
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.