Que signifie le «modèle d’Alep» pour Bachar al-Assad?

Le modèle d’Alep est susceptible de recueillir l’assentiment, voire l’approbation, dans la mesure où la normalisation avec Al-Assad ne mène à rien. (AFP)
Le modèle d’Alep est susceptible de recueillir l’assentiment, voire l’approbation, dans la mesure où la normalisation avec Al-Assad ne mène à rien. (AFP)
Short Url
Publié le Vendredi 01 septembre 2023

Que signifie le «modèle d’Alep» pour Bachar al-Assad?

Que signifie le «modèle d’Alep» pour Bachar al-Assad?
  • Alors que les négociations entre la Turquie et la Syrie sont au point mort, Erdogan compte probablement sur la Russie pour faire du «modèle d’Alep» une réalité
  • En plus de créer un environnement propice à un retour sûr, volontaire et digne des réfugiés, le modèle d’Alep peut contribuer à briser le statu quo et à imposer une solution à la Syrie

Dans un article récent, le média turc progouvernemental Daily Sabah a présenté le concept du «modèle d’Alep» – un projet qui vise à rendre les zones du nord de la Syrie sûres, sécurisées et habitables afin d’encourager le rapatriement des réfugiés syriens. Cela fait suite à une enquête menée par l’Agence des nations unies pour les réfugiés (HCR), qui a montré que 70% des personnes déplacées ne souhaitent pas rentrer chez elles avant au moins cinq ans, malgré la discrimination et les conditions difficiles auxquelles elles sont confrontées dans les pays d’accueil. Les réfugiés évoquent des problèmes de sécurité ainsi que le manque de services de base et de possibilités de travail. Que signifie le modèle d’Alep pour le président syrien Bachar al-Assad?

La question des réfugiés a été l’un des principaux points de discorde lors des récentes élections turques. L’opposition s’est concentrée sur la question, accusant le président turc, Recep Tayyip Erdogan, de maintenir une politique de porte ouverte et proposant une normalisation des relations avec Al-Assad comme solution au problème. Cependant, les efforts d’Erdogan à cet égard n’ont pas donné de résultats, principalement en raison de la rigidité du régime syrien, qui a basé les négociations avec la Turquie sur le retrait des forces turques du nord-ouest du pays – une exigence totalement irréaliste, puisqu’elle laisserait les opposants au régime à la merci d’Al-Assad.

La Turquie ne peut pas non plus laisser ses frontières sans protection et vulnérables aux attaques terroristes ainsi qu’au trafic de drogue. Le président turc est confronté à un dilemme sur ce point. Il veut garantir le retour des réfugiés, l’une de ses principales promesses de campagne. Cependant, leur retour est presque impossible tant que Bachar al-Assad est au pouvoir. Ahmet Uysal, le directeur de l’Orsam, un centre de recherche turc spécialisé dans les pays arabes, a récemment publié un article dans lequel il affirme que le président syrien n’est ni disposé à assurer le retour des réfugiés ni capable de le faire. Il ajoute que ceux qui sont rentrés chez eux ont été victimes d’arrestations arbitraires, de tortures et de viols. Al-Assad ne veut pas voir revenir ceux qui se sont opposés à lui.

«Même dans les régions fidèles à Al-Assad, on assiste à des manifestations qui exigent son départ en raison de la situation économique désastreuse.»

Dr Dania Koleilat Khatib

Al-Assad est également incapable de subvenir à leurs besoins fondamentaux. Même dans les régions fidèles à Al-Assad, on assiste à des manifestations qui exigent son départ en raison de la situation économique désastreuse du pays. Par conséquent, la mesure la plus logique à prendre est de contourner Al-Assad et de négocier avec ceux qui le parrainent. Le quotidien Daily Sabah indique que la Turquie était en pourparlers avec la Syrie et la Russie. Alors que les négociations entre la Turquie et la Syrie sont au point mort, Erdogan compte probablement sur la Russie pour faire du «modèle d’Alep» une réalité. Il est inconcevable qu’Al-Assad cède volontairement des territoires à la Turquie après avoir demandé à cette dernière de se retirer sans entamer la moindre discussion.

N’importe quelle administration conjointe ou la présence des forces d’Al-Assad dissuadera également les réfugiés de rentrer chez eux. Comme l’explique M. Uysal, l’expérience montre que malgré l’amnistie et les promesses de sécurité, les opposants au régime qui revenaient étaient susceptibles d’être arrêtés et punis. En outre, Al-Assad n’a pas agi conformément aux intérêts russes, qui consistent à mettre fin à la guerre et à entamer la reconstruction. Au contraire, il a refusé de faire des concessions à l’opposition. À cet égard, il a habilement opposé les Russes aux Iraniens, se positionnant comme point de référence entre les deux.

«Malgré les promesses de sécurité, les opposants au régime qui sont rentrés dans leur pays ont été arrêtés et punis.»
Dr Dania Koleilat Khatib

Cependant, en raison de la guerre en Ukraine, la Turquie devient de plus en plus importante aux yeux de la Russie. Entre-temps, toutes les incursions turques ont été approuvées soit par la Russie, soit par les États-Unis. Si la Turquie agit pour mettre Alep sous son contrôle, ce sera un coup fatal pour Al-Assad. Alep est le cœur commercial de la Syrie. La perte de la ville renforcera le mouvement de protestation à travers le pays. À terme, elle forcera l’Iran et Al-Assad à faire des compromis. Ainsi, en plus de créer un environnement propice à un retour sûr, volontaire et digne des réfugiés, conformément à la résolution 2254 de l’ONU, le modèle d’Alep peut contribuer à briser le statu quo et à imposer une solution à la Syrie.

Si le modèle d’Alep réussit – avec la Russie et la Turquie qui apporteront la stabilité, le Qatar qui financera la reconstruction et le retour en grand nombre de réfugiés –, cela changera la donne et servira peut-être d’exemple pour d’autres arrangements. Pourquoi ne pas adopter un modèle à Daraa, où la Russie conclurait un accord similaire avec la Jordanie? Malgré la normalisation des relations avec Al-Assad, la Jordanie n’a pas constaté de réelle amélioration dans le comportement du régime et reste vulnérable au trafic illégal des drogues et des armes.

Le modèle d’Alep est susceptible de recueillir l’assentiment, voire l’approbation des Arabes, dans la mesure où la normalisation des liens avec Al-Assad ne mène à rien. Lors du sommet de la Ligue arabe, au mois de mai, le dirigeant syrien était censé montrer une certaine bonne volonté, mais il n’a fait preuve que de défi. En un mot, le succès du modèle d’Alep montrera qu’Al-Assad est un fardeau pour les pays arabes ainsi que pour ses alliés, et qu’il est tout à fait inutile.

 

La Dr Dania Koleilat Khatib est une spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est présidente du Centre de recherche pour la coopération et la construction de la paix, une organisation non gouvernementale libanaise axée sur la voie II.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com