Une série de régimes putschistes en Afrique relie désormais l'Atlantique à la mer Rouge. Le mois dernier, une autre poignée d'officiers regroupés autour d'une caméra a réquisitionné la télévision nationale pour annoncer un coup d'État au Niger, faisant de ce pays le sixième du Sahel tentaculaire à connaître un renversement militaire de son gouvernement. Dans un contexte où l'influence américaine est perçue comme déclinante, ce coup d'État a également mis en lumière les frustrations liées à la stratégie régionale de la France et à l'implication croissante de la Russie sur le continent.
Vingt-quatre heures avant que le commandant de la garde présidentielle, le général Omar Tchiani, ne se proclame chef de la nouvelle junte, les diplomates américains ont fait l’éloge du gouvernement du président, Mohamed Bazoum, qui allait bientôt être destitué. Ils l’ont qualifié de «stable» et d'allié important dans une région composée de «mauvais pays».
Le timing malheureux de cette déclaration illustre parfaitement les idées reçues occidentales sur une région du monde stratégiquement importante qui est de plus en plus la chasse gardée des Russes. En tant que première ligne de front dans la lutte contre l'extrémisme, la stabilité du Sahel est essentielle pour garantir la paix sur le continent. Le Sahel étant un carrefour entre le nord et le sud, les ramifications de son instabilité politique et militaire sont particulièrement importantes pour l'ensemble de la région.
Pays le plus pauvre du monde selon de nombreuses estimations, le Niger est néanmoins une base importante pour les forces militaires internationales. La présence militaire étrangère est représentée par la base aérienne 201, une base de drones américains appartenant au Niger, mais construite et financée par les États-Unis. Cette base de plusieurs millions de dollars (1 dollar = 0,92 euro) a joué un rôle central dans les initiatives du Commandement américain pour l'Afrique visant à «démanteler les organisations extrémistes violentes au Sahel, à contenir l'instabilité en Libye, et à maîtriser Boko Haram».
Depuis 2022, à la suite du retrait français du Mali, le Niger accueille mille cinq cents militaires français sur la base aérienne de Niamey. Cette force, vestige de la funeste opération française Barkhane, a opéré dans un rôle de lutte contre l’extrémiste, mais elle a également eu un impact significatif sur la cote de popularité de M. Bazoum.
En tant que première ligne de front dans la lutte contre l'extrémisme, la stabilité du Sahel est essentielle.
Zaid M. Belbagi
En faisant voter par un Parlement dominé par ses alliés la poursuite du déploiement des forces étrangères engagées dans la lutte contre l’extrémisme en avril 2022, Mohamed Bazoum a suscité la désapprobation des voix qui, à l'intérieur du pays, font campagne depuis longtemps contre la présence de troupes étrangères (en particulier françaises). Ces troupes sont considérées comme des occupants qui menacent la souveraineté nationale.
Après la rupture des relations entre la France et le Mali à la suite d'un nouveau coup d'État en août 2020, le Niger est devenu une base centrale pour de telles opérations et, par conséquent, une importante source de critiques locales et militaires à l'égard de la présence étrangère. Il est donc surprenant que, compte tenu des rumeurs de coup d'État potentiel qui circulaient depuis un certain temps, les responsables français et américains aient semblé pris au dépourvu par la récente tournure des événements.
À bien des égards, le Niger était le dernier refuge pour les activités internationales de lutte contre le terrorisme dans le Sahel. C'est à partir du Niger que les États-Unis ont mené des opérations de surveillance et des attaques de drones en Libye, au Burkina Faso et au Mali. Le pays revêtait également une grande importance pour la France, ce qui rend la déclaration de la nouvelle junte mettant fin à la collaboration avec Paris en matière de défense très significative.
Le 7 août, quatre-vingt-quatorze sénateurs français ont envoyé une lettre ouverte au président, Emmanuel Macron, dans laquelle ils regrettaient «l'échec de l'opération Barkhane» et «l'effacement de la France» en Afrique. Le coup d'État au Niger a non seulement attiré l'attention sur une tendance inquiétante d'interventions militaires dans la politique de la région, mais il se démarque également comme un moment décisif, signalant très probablement la fin de l'influence occidentale dans une région où les drapeaux russes semblent désormais omniprésents.
Lorsque la République centrafricaine et le Mali se sont éloignés de la France, ils ont trouvé le soutien de Moscou. La société militaire privée Wagner, financée par l'État russe, a pris le relais, dans un contexte de sanctions occidentales contre les deux régimes militaires. Dans un pays fragile comme le Niger, où le financement militaire international constitue une bouée de sauvetage économique essentielle, des sanctions internationales rigides ouvriront la porte à une coopération plus poussée avec la Russie, à un moment où Moscou cherche à se faire des amis sur le continent.
Il est surprenant que les responsables français et américains aient semblé pris au dépourvu par la récente tournure des événements au Niger.
Zaid M. Belbagi
Compte tenu des précédentes mises en garde de M. Macron contre la désinformation russe au Sahel, Vladimir Poutine a cherché à combler le vide croissant au Niger, en appelant à la prudence et en courtisant le chef militaire malien, alors que l'Occident semble faire preuve de passivité sur la question. Le retour de la Russie sur le continent rend plus probable l'expulsion de l'impopulaire présence militaire française. Deux décennies d'engagement militaire français, souvent maladroit, ont conforté ceux qui réclament la fin de la «Françafrique», les pratiques néocoloniales présumées de la France dans ses anciennes colonies africaines.
Ayant soutenu des dirigeants maliens et nigériens dont les mandats nationaux étaient faibles, l'implication de la France a suscité une vive controverse. Le succès perçu de puissances régionales comme le Maroc, qui ont cherché à rééquilibrer leurs relations extérieures, s'est fait au détriment de ceux dont la France a encouragé la voix.
Le dernier coup d'État a, par exemple, réitéré les critiques concernant l'utilisation du franc CFA, avec ses exigences en matière de dépôt de réserves de change. Le franc CFA – utilisé dans quatorze pays, dont douze étaient autrefois gouvernés par la France – facilite depuis des générations l'importation de produits français au détriment des exportations locales. La présence de ces mécanismes n'a fait qu'accroître la contestation, en particulier au vu de l'état d'esprit qui règne actuellement dans la région.
Les interventions étrangères à court terme et l'héritage des structures néocoloniales ont accru l'instabilité de la région du Sahel au cours des dernières décennies. La série de coups d'État en cours résulte du manque de leadership, tant local qu'international, qui a permis à des États faibles d'être victimes de l'instabilité. L'intervention étrangère bâclée en Libye en 2011 a inondé la région d'armes au sein d'une sphère d'influence extrémiste élargie qui s'est développée à partir de la guerre mondiale contre le terrorisme, inégale et parfois confuse, menée par les États-Unis. La libération du Sahel de l'emprise de l'Occident est le résultat à long terme d'échecs stratégiques plus importants; des sanctions sévères et un désengagement ne feront qu'aggraver l'effondrement de la région.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG. Twitter : @Moulay_Zaid
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.