Dans l'une de ses définitions de ce qu'est un « bon pays », le professeur Simon Anholt - l'universitaire britannique qui a inventé le terme « Nation Brand » à la fin des années 1990 - affirme qu'il s'agit d'un pays dont les habitants, à l'autre bout du monde, se sentent tous les jours reconnaissants de son existence.
Imaginez comment nous nous réveillerions tous si les efforts saoudiens, incarnés par les pourparlers de paix de Djeddah sur l'Ukraine qui viennent de s'achever, se traduisaient par une proposition de paix solide et un point de départ pour mettre fin au conflit qui a débuté en février 2022.
Pour replacer les choses dans leur contexte, la guerre en Ukraine a eu un impact sur tout le monde et sur tout, des vies perdues à la flambée des factures d'énergie, des pénuries alimentaires à la menace d'une catastrophe nucléaire qui plane au-dessus de nos têtes. Selon les Nations unies, « la guerre a contribué à l'instabilité et à la hausse des prix des produits de base et de l'énergie, ce qui a exacerbé les pénuries alimentaires et attisé l'inflation dans de nombreuses régions du monde. Bien que les prix de l'énergie et des céréales aient baissé par rapport aux sommets atteints à la mi-2022, les risques de résurgence demeurent, et l'Europe pourrait encore être confrontée à des défis en matière de sécurité énergétique ».
Depuis plus de 18 mois, nous n'avons entendu que des discours de colère de la part de toutes les parties, ce qui n'a pas contribué à réduire les tensions et n'a fait que les attiser. Certes, la Russie ne doit pas être récompensée pour son agression, mais il est apparu très tôt qu'une solution militaire n'était pas de nature à résoudre ce conflit. Pourtant, toutes les parties concernées sont trop fières ou ont trop investi pour admettre l'évidence. Et ce, même si Henry Kissinger, le maître à penser de la politique étrangère américaine, conseille depuis longtemps à l'Occident de dialoguer avec la Russie. « Le moment approche de s'appuyer sur les changements stratégiques déjà accomplis et de les intégrer dans une nouvelle structure pour parvenir à la paix par la négociation », écrivait-il en décembre.
La solution ne peut être celle, peu diplomatique, suggérée par le haut diplomate russe Andrey Baklanov à Arab News la semaine dernière, à savoir l'anéantissement du gouvernement ukrainien. « Je pense qu'il n'y a aucune possibilité de trêve entre le gouvernement actuel - le soi-disant gouvernement, ces gens fascistes à Kiev - et nous », a-t-il déclaré à « FranklySpeaking ». « Je suis absolument certain que la seule option qui s'offre à nous est de détruire ce régime en Ukraine et de ramener l'Ukraine à la normalité. »
Le refus de l'actuel gouvernement ukrainien d’échanger avec son homologue russe tant que le président Vladimir Poutine reste au pouvoir ne peut pas non plus être une solution. Il est évident qu'il n'ira nulle part. Sans compter que, tant qu'il n'y a pas de vainqueur clair, Moscou a démontré qu'elle pouvait infliger une douleur durable et intolérable à ses ennemis occidentaux, tout en se trouvant dans une situation unique où elle n'a plus rien à perdre elle-même.
C'est pourquoi les pourparlers sur l'Ukraine à Djeddah allaient bien au-delà de la simple recherche d'une proposition de paix. À mon avis, elles ont représenté le triomphe des vues sages, patientes et pragmatiques de la nouvelle Arabie saoudite sur la prise de décision populiste, parfois irrationnelle et idéologique qui, malheureusement, affecte la plupart des démocraties occidentales aujourd'hui.
Contrairement au Danemark, l'Arabie saoudite n'a pas pris parti, elle a l'oreille de Moscou et a pu amener la Chine à la réunion.
Faisal J. Abbas
Au début du conflit, l'Arabie saoudite a été accusée de se ranger du côté de la Russie, alors qu'elle avait voté contre l'agression contre l'Ukraine à l'ONU. Le Royaume a soutenu la résolution de l'Assemblée générale du 2 mars 2022 qui exigeait que la Russie mette immédiatement fin à son invasion et retire inconditionnellement toutes ses forces militaires.
En rencontrant les ministres des Affaires étrangères des deux pays, le Royaume a envoyé un message clair indiquant qu'il souhaitait utiliser sa position, son influence et son pouvoir uniques pour jouer un rôle de médiateur. Ensuite, et malgré la baisse des prix du pétrole à la suite de la visite du président américain Joe Biden l'été dernier, l'Arabie saoudite a été accusée de soutenir la Russie par l'intermédiaire de l'OPEP+, alors qu'en réalité, c'est ce même accord qui a permis de stabiliser les marchés de l'énergie et d'instaurer la confiance avec Moscou, et qui a fourni une sorte d'effet de levier à utiliser en cas de besoin.
L'échange de prisonniers réalisé l'année dernière sous l'égide de l'Arabie saoudite, qui a permis la libération de citoyens américains, britanniques, suédois et d'autres pays, en est un bon exemple. Alors que l'administration américaine actuelle continue de faire de la politique et d'accuser l'Arabie saoudite de se ranger du côté de la Russie, le président VolodymyrZelensky a lui-même remercié le Royaume pour ses efforts et son soutien à l'Ukraine, qui se traduit par une aide de plus de 400 millions de dollars.
Aujourd'hui, une nouvelle opportunité se présente après la conclusion des pourparlers de Djeddah. On pourrait se demander pourquoi ces négociations seront si différentes de celles qui les ont précédées à Copenhague. Eh bien, il y a des disparités évidentes : premièrement, contrairement au Danemark, l'Arabie saoudite n'a pas pris parti dans cette guerre et, à ce titre, est considérée comme un médiateur beaucoup plus équitable. Deuxièmement, comme indiqué précédemment, le Royaume a l'oreille de Moscou et dispose d'un levier grâce aux avantages mutuels. Troisièmement, l'Arabie saoudite a l'avantage supplémentaire de pouvoir parler à toutes les parties, y compris les Chinois, qui n'ont pas participé aux pourparlers danois.
Cela portera-t-il ses fruits ? Cela dépend en grande partie de la réponse de la Russie. Moscou n'était pas représentée à Djeddah, mais le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergey Ryabkov, a confirmé dimanche que Moscou discuterait des résultats du sommet avec ses partenaires des BRICS qui ont participé à la réunion. Je suppose que les résultats de la réunion qui vient de s'achever serviront de point de départ à une discussion, et non de fin. Toutefois, si cela signifie que nous passons d'un possible anéantissement à une discussion possible, c'est déjà une grande victoire pour l'humanité.
Alors, pourquoi l'Arabie saoudite déploie-t-elle de tels efforts ? Il faut voir les choses sous cet angle : Si les réformes et les ambitions introduites par Vision 2030 ont conféré au Royaume de nouveaux superpouvoirs, la logique doit être - pour citer le regretté génie de la bande dessinée Stan Lee - qu'un grand pouvoir s'accompagne d'une grande responsabilité.
Nous l'avons constaté lorsque l'Arabie saoudite a aidé à évacuer les citoyens d'autres pays du Soudan, ainsi que les siens. C'est pourquoi l'Arabie saoudite est déterminée à résoudre les problèmes du Soudan et du Yémen, à mettre en place des initiatives écologiques et à trouver une solution juste pour les Palestiniens.
Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News. Twitter : @FaisalJAbbas
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com