Aujourd’hui, la relation entre les pays de l’Union européenne (UE) et ceux du Maghreb est essentiellement vécue sous l’angle de la crise migratoire. Les autres problématiques économiques et sécuritaires sont pourtant importantes et constituent un sujet urgent; mais, à l’heure actuelle, le segment migratoire est le seul qui provoque des cauchemars et des bouleversements à l’intérieur de ces nations européennes.
Dans ces dernières, l’essence même des pouvoirs est directement liée à la gestion de ce paramètre migratoire. Ce sont ces préoccupations autour de l’immigration qui gonflent les voiles de l’extrême droite et lui autorisent toutes les espérances, hier en Italie avec le triomphe de Giorgia Meloni, demain sans doute en France avec le succès possible de l’icône de l’extrême droite française, Marine Le Pen.
C’est précisément pour éviter ces scénarios catastrophes que les pays de l’UE sont à la recherche de formules susceptibles de contrôler le flux migratoire. La solution proposée est d’élaborer des pactes où se mêlent les questions économiques et sécuritaires avec l’objectif affiché de freiner, voire de tarir ce flux migratoire en provenance de l’Afrique.
Ironie du calendrier politique, c’est Giorgia Meloni, issue de l’extrême droite, qui s’est chargée d’élaborer ce pacte européen.
L’objectif de ce pacte, dont l’ampleur et les limites sont en train d’être testées sur l’exemple tunisien, est d’inciter ces pays par lesquels transitent ces candidats à l’immigration ou qui sont eux-mêmes exportateurs d’immigrés à adopter la politique suivante: déployer des gendarmes chargés de protéger les frontières extérieures de l’Europe grâce à leurs infatigables luttes contre les réseaux de trafic et de transport de clandestins vers «l’eldorado» européen.
Ironie du calendrier politique, c’est Giorgia Meloni, issue de l’extrême droite, qui s’est chargée d’élaborer ce pacte européen. Deux raisons principales l’ont amenée à cette responsabilité: elle a été élue sur un programme particulièrement ferme de lutte contre l’immigration clandestine; par ailleurs, par sa proximité avec la Tunisie et la Libye, l’Italie subit de plein fouet l’assaut des candidats à immigration. Ces derniers fuient la crise économique et politique tunisienne ainsi que l’instabilité sécuritaire chronique de la Libye.
Sur le premier point, Giorgia Meloni a dû subir les sarcasmes du ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui lui a reproché d’en faire beaucoup en tant que candidate et de se révéler impuissante lorsqu’elle était au pouvoir.
La géographie italienne a donc imposé le choix de la Tunisie comme un laboratoire grandeur nature pour ce nouveau pacte sur la migration. Des pays comme le Maroc ou l’Algérie suivront peut-être.
En réalité, l’Italie se comporte avec la Tunisie comme, à l’échelle de l’UE, la Grande-Bretagne se comportait avec la France afin de maîtriser les flux migratoires dans la région de Calais et de ses frontières maritimes avec le Royaume-Uni.
Pour Rome, et donc aussi pour Bruxelles, il s’agit de mettre sur la table une aide économique consistante afin de convaincre les autorités tunisiennes de s’investir sérieusement dans la lutte contre les réseaux qui inondent l’UE de réfugiés et empêcher les bateaux remplis de candidats à l’immigration de prendre le large en Méditerranée pour accoster sur les côtes européennes.
Sous-traiter la gestion des candidats à l’immigration vers l’Europe à des pays hors zone européenne semble être la nouvelle ligne directe de la politique migratoire européenne
Ces embarcations ont provoqué à plusieurs reprises des crises politiques entre les pays européens qui refusent de les accueillir pour ne pas avoir à gérer ce fardeau. La France ainsi fait régulièrement valoir la règle européenne du port le plus proche pour contraindre l’Italie à assumer ses responsabilités dans ce domaine. Récemment, Giorgia Meloni a commencé à afficher des réticences et à adopter une posture de défi, ce qui a provoqué de nombreux psychodrames au sein même de l’UE.
Sous-traiter la gestion des candidats à l’immigration vers l’Europe à des pays hors zone européenne semble être la nouvelle ligne directe de la politique migratoire européenne. Lors du débat sur ces questions dans les instances européennes, on a même proposé d’installer dans certains pays des centres de tri pour traiter ses dossiers de candidats au refuge politique et humanitaire garanti par les lois européennes.
Cette stratégie de la sous-traitance avait déjà été testée avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. En échange d’une somme en euros qui se chiffre en milliards, ce pays a accepté de jouer les gendarmes aux frontières grecques de l’UE. La baisse significative des entrées d’immigrés par la porte turque montre que M. Erdogan a relativement bien accompli sa mission, même s’il lui arrive de temps en temps d’utiliser la carte migratoire pour exercer un chantage, un procédé qui est devenu partie intégrante de ses liens avec l’UE.
Les ONG qui travaillent sur le phénomène de la migration en Méditerranée s’insurgent contre la stratégie migratoire de Giorgia Meloni et de l’Europe. Elles lui reprochent de privilégier le traitement sécuritaire et de ne tenir aucun compte de la dimension humanitaire. C’est ce qui fait dire à l’ONG Sea Watch que «la Méditerranée n’est pas seulement un cimetière, c’est une scène de crime».
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française etinternationale à dominance arabe et maghrébine.
Twitter: @tossamus
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.