Un obstacle invisible à la prospérité arabe

Un tradeur passe sous un tableau d’affichage des actions à la Bourse de Dubaï, aux Émirats arabes unis (Photo, AFP).
Un tradeur passe sous un tableau d’affichage des actions à la Bourse de Dubaï, aux Émirats arabes unis (Photo, AFP).
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Publié le Mercredi 12 juillet 2023

Un obstacle invisible à la prospérité arabe

Un obstacle invisible à la prospérité arabe
  • De nombreux pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord enregistrent une tendance à la baisse
  • Lorsque les citoyens ont accès à des données transparentes, ils sont mieux équipés pour engager des discussions constructives sur les politiques et les problèmes qui les concernent directement

Certaines parties du monde arabe sont depuis longtemps aux prises avec de nombreux défis récurrents qui résultent d’une faible croissance économique prolongée et de l’intensification des troubles sociaux qui, généralement, en découlent. Beaucoup de ces problèmes étaient déjà bien connus avant la pandémie qui, depuis, a amplifié ces maux et rendu extrêmement compliquée la perspective d’une reprise soutenue à long terme. Chaque nouveau défi réduit les capacités politiques, budgétaires et de gouvernance qui sont nécessaires pour le résoudre, augmentant la probabilité de crises convergentes que les sociétés arabes d’aujourd’hui sont évidemment mal équipées pour combattre.

Pour tracer la voie à suivre, une plus grande priorité est accordée à la lutte contre les menaces les plus destructrices, mais cela se fait en ignorant ce qui les amplifie, comme l’accès sans entrave à des données fiables. La transparence des données permet non seulement d’élaborer des politiques efficaces, mais aussi d’entretenir la confiance entre les gouvernements et leurs citoyens. En substance, combler les lacunes en matière de données et améliorer les capacités statistiques des pays constituent une condition sine qua non à la poursuite de l’expansion économique, du développement durable et de la résilience sociétale à l’échelle du monde arabe.

Cependant, l’état actuel de la transparence des données dans le monde arabe laisse à désirer. Les capacités statistiques de plusieurs pays ont considérablement diminué au cours des dernières décennies, entravant la croissance, sapant le développement et menaçant la stabilité sociale. Selon l’indicateur de capacité statistique de la Banque mondiale, par exemple, de nombreux pays de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord enregistrent une tendance à la baisse en matière de capacité statistique, en particulier entre 2005 et 2018. Et, d’après l’Open Data Inventory, qui mesure la couverture et l’ouverture des statistiques officielles, les pays arabes sont moins bien classés que leurs homologues du monde entier.

Cette baisse est largement attribuable au sous-investissement dans les systèmes statistiques, à l’instabilité politique et à l’absence de protocoles rigoureux en matière de partage des données. Elle a contribué à une perte de 7 à 14% du PIB par habitant pour la région sur une période de treize ans, ce qui équivaut à peu près à 165 milliards de dollars au minimum (1 dollar = 0,91 euro). Alors que certains pays ont connu des améliorations à ce jour, ceux qui sont en proie à des conflits ou à des bouleversements économiques importants n’ont pas eu autant de chance. Si ces disparités persistent, elles continueront d’empêcher les gouvernements arabes de prendre des décisions éclairées, freinant ainsi la croissance économique et la résilience de la société.

Les conséquences de ce déclin sont considérables. Elles affectent tous les domaines, de la croissance du PIB à la promotion de la résilience face aux menaces complexes inhérentes à une économie mondiale de plus en plus interconnectée. Les lacunes statistiques entravent la capacité d’analyser avec précision les performances économiques et d’obtenir des informations cruciales sur les interventions descendantes. Le résultat final est une politique malavisée qui poursuit sa course effrénée, au risque d’une stagnation et, dans le pire des cas, d’une implosion, à un moment où la prise de décision éclairée est absolument essentielle. Par exemple, le taux de croissance du PIB de l’Égypte a dû être considérablement révisé à la baisse en 2014 en raison d’écarts statistiques, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la fiabilité de ses données économiques.

De même, le déclin de la capacité statistique sape la résilience sociétale. Sans données précises, cela complique les défis liés à l’identification des vulnérabilités sociales et à la conception d’interventions efficaces pour y remédier. Par exemple, sans données précises sur les taux de chômage, les décideurs politiques peuvent sous-estimer ou négliger la gravité du chômage, ce qui conduit à des stratégies de création d’emplois inadéquates. De même, sans données transparentes sur les taux de pauvreté, les efforts pour réduire la pauvreté peuvent être malavisés ou insuffisants.

Lorsque les citoyens ont accès à des données transparentes, ils sont mieux équipés pour engager des discussions constructives sur les politiques et les problèmes.

Hafed al-Ghwell

Cela rend également plus difficile le suivi des progrès, ainsi que la responsabilisation des gouvernements, ce qui peut alimenter un courant sous-jacent d’angoisse publique et conduire à des troubles sociaux. Les bouleversements de 2011 et la décennie chaotique qui a suivi en restent un exemple. En l’absence de données socio-économiques fiables, les plaintes au sujet des inégalités et de la corruption ne se sont pas simplement transformées en protestations généralisées. Elles ont également déstabilisé plusieurs pays de la région et introduit de nouvelles maladies qui nécessitent encore plus de données de qualité et un meilleur accès à ces dernières.

Alors, comment une région qui fait face à de nombreux défis peut-elle s’attaquer à cet obstacle à la fois invisible et coûteux?

Résoudre la crise de la transparence des données au Moyen-Orient et en Afrique du Nord nécessite une approche nuancée, mais à plusieurs volets, qui se concentre sur le renforcement des capacités et des accords de partage de données solides. Bien sûr, de telles conceptions s’écartent considérablement de la pratique standard, mais, compte tenu de la situation actuelle, il est désormais crucial pour la région de combler les lacunes existantes, d’améliorer les capacités statistiques et de développer une modélisation plus précise. Il est également important de noter que l’efficacité des politiques et le progrès des économies sont intrinsèquement liés à la qualité et à la fiabilité des données disponibles. La capacité d’une région à générer des données de qualité peut permettre aux décideurs politiques de prendre des décisions éclairées, favorisant ainsi la croissance sociale et économique.

En outre, l’explosion démographique de jeunes dans la région, le boom des compétences numériques et la promotion de l’entrepreneuriat offrent des possibilités propices à l’innovation basée sur les données. En améliorant les compétences numériques de la population, la capacité d’innovation de la technologie peut être maximisée, ce qui conduirait à une utilisation plus efficace des données en faveur du développement durable et au sein de ce dernier. C’est essentiel pour le renforcement de la résilience dans un monde en évolution rapide. En outre, les accords de partage de données sont essentiels pour promouvoir la transparence ainsi que les attitudes à son égard dans la région, au-delà des simples données. Ces accords peuvent établir une culture d’ouverture et de collaboration, permettant une validation croisée, ce qui peut améliorer encore davantage la fiabilité et la crédibilité de l’information.

En outre, ils faciliteront une meilleure élaboration des politiques en veillant à ce que les décisions soient fondées sur des données exactes, complètes et fiables. La comparaison des performances avec les données historiques et celles d’autres économies, par exemple, permet aux producteurs de mieux évaluer les risques, d’allouer les ressources de manière optimale et de sécuriser les investissements. De plus, des données accessibles pour la société civile ouvrent la voie à un débat politique plus ouvert et plus éclairé, ce qui garantit que seules les idées les plus fondées prévalent et ce qui facilite une meilleure élaboration et une mise en œuvre plus efficace des politiques dans des économies de plus en plus sophistiquées.

À l’inverse, l’absence de données transparentes peut élargir le gouffre perçu entre le public et le gouvernement. Cela engendre la méfiance et le scepticisme lorsque de nouvelles réformes sont annoncées, ce qui conduit les sociétés à résister aux transformations dont elles ont tant besoin, les rendant plus vulnérables aux chocs, tant sur le plan interne qu’à l’étranger. En proposant une vision claire et honnête de la situation actuelle, l’accessibilité aux données permet non seulement aux décideurs politiques de comprendre les nuances des problèmes qu’ils traitent, mais aide également à créer des politiques qui répondent mieux aux besoins réels de la société, renforçant la participation citoyenne et l’harmonie sociale.

Lorsque les citoyens ont accès à des données transparentes, ils sont mieux équipés pour engager des discussions constructives sur les politiques et les problèmes qui les concernent directement. Établir un dialogue plus ouvert entre le gouvernement et ses citoyens favorise un sentiment de confiance et de compréhension mutuelle. Cela contribue également à créer une citoyenneté plus informée, essentielle au fonctionnement de la société, même face à des chocs imprévus. Bien que la route vers la transparence et l’accessibilité totales des données puisse apparaître difficile, les avantages qu’elle peut apporter en termes d’élaboration de politiques efficaces et de cohésion sociale sont prometteurs. Grâce à des efforts concertés, la vision d’une société transparente et inclusive peut certainement se réaliser.

Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies, à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du groupe de la Banque mondiale.

Twitter: @HafedAlGhwell

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com