Le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhane, s'est rendu à Téhéran le 17 juin. Il a rencontré son homologue iranien et le président, Ebrahim Raïssi. La visite a eu lieu en réponse à une invitation du ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian.
Plusieurs observations peuvent être faites au sujet de cette visite, ainsi que sur d'autres questions liées au cheminement des relations saoudo-iraniennes et aux derniers progrès des pourparlers nucléaires entre l'Iran et l'Occident.
La première observation concerne l'arrivée du ministre saoudien des Affaires étrangères au siège du ministère iranien des Affaires étrangères et l’accueil en grande pompe qui lui a été réservé. Malgré cette hospitalité, il y a eu un problème concernant le drapeau saoudien, qui n’était pas placé de façon correcte. Des photos ont été prises avant et après le changement de position du drapeau.
La deuxième observation, plus importante à mes yeux, a été le lieu de la conférence de presse des ministres des Affaires étrangères saoudien et iranien après les entretiens qu'ils ont eus au siège du ministère des Affaires étrangères. Les personnes présentes à la conférence de presse ont été invitées à attendre dans une salle qui porte le nom de Qassem Soleimani, avec la photo de l'ancien commandant de la Force Al-Qods accrochée au mur. En fait, le ministère des Affaires étrangères a organisé de nombreuses conférences de presse dans ce lieu.
Cependant, l'état des relations saoudo-iraniennes et le rôle joué par Soleimani dans la région – qui est l'une des questions litigieuses entre les deux pays – auraient dû attirer l'attention des Iraniens. Les responsables saoudiens accompagnant le ministre des Affaires étrangères ont refusé de tenir la conférence de presse à cet endroit. La conférence a été déplacée ailleurs, montrant la flexibilité des Iraniens. Mais nous savons aussi que Téhéran n'a pas voulu laisser passer cette occasion de marquer des points, ce qui est un signe très négatif.
La troisième et dernière observation concerne la conférence de presse elle-même. Le ministre iranien des Affaires étrangères a évoqué ce qui s'est passé lors des entretiens qui ont précédé la conférence, ainsi que l'importance de normaliser les relations entre le Royaume et l'Iran.
Lorsque cela a été au tour du ministre saoudien des Affaires étrangères de prendre la parole, il a lu un texte écrit sur les questions qu'il souhaitait soulever lors de sa visite à Téhéran. Son message était avant tout politique et a évoqué les questions les plus importantes concernant les deux parties, en particulier pour les Saoudiens, comme l'instauration de la confiance, la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays et la garantie de la sécurité, de la stabilité et du développement de la région. Cela, en plus de la mention de l'importance du renforcement des relations entre les deux nations.
À mon avis, cela marque le début d'une nouvelle phase. La conférence de presse a été inhabituelle, vis à vis des traditions établies de longue date. Le ministre saoudien des Affaires étrangères a délivré un message clair du côté saoudien, et cela est très important. J'espère que Téhéran a saisi l'essence de ce message. Pourtant, en fin de compte, la conférence a duré près de dix minutes et les journalistes présents, qui ont été déplacés de l'ancienne salle contestée vers la nouvelle, n'ont pas eu la possibilité de poser la moindre question.
Passons maintenant aux blocages possibles dans les relations Arabie saoudite-Iran en dépit de l'optimisme ambiant. On aurait pu s'attendre à ce que la partie iranienne fasse preuve de prudence pour s'assurer que tous les protocoles étaient respectés. Cependant, l'Iran a annoncé à la hâte le nom de l'ambassadeur saoudien proposé pour Téhéran, et a en même temps fait savoir le nom de l'ambassadeur iranien proposé pour Riyad. Cela a été fait sans recevoir l'approbation officielle des deux parties – ce qui constitue une violation manifeste du protocole diplomatique.
Il serait trop simple de dire qu'il s'agit d'une erreur de la part de l'Iran, compte tenu de l'importance de la question. Un certain nombre de questions importantes se posent alors: pourquoi les Iraniens ont-ils enfreint ce protocole diplomatique? Les dirigeants iraniens sont-ils dépassés par le rythme des progrès dans les relations de Téhéran avec le Royaume, en particulier les messages et gestes positifs du côté saoudien? Les partisans de la ligne dure veulent-ils faire échouer les relations saoudo-iraniennes, alors que les liens avec Riyad sont en contradiction avec leur discours antisaoudien? Y a-t-il quelque chose de louche en jeu, avec des tentatives de détourner l’optimisme récent sur les relations saoudo-iraniennes? La réponse à la dernière question pourrait être affirmative, dans la mesure où les médias iraniens ont récemment repris leur campagne négative contre le Royaume.
En outre, se pourrait-il que l’écart iranien du protocole diplomatique et la poursuite des diatribes médiatiques contre le Royaume soient liés à la rencontre aux Émirats arabes unis (EAU) entre les membres du groupe E3 (France, Allemagne et Royaume-Uni) et l'Iran pour discuter du programme nucléaire iranien. Ou ce comportement iranien est-il lié à la présumée «offre» de mini-accord ou d'accord temporaire sur le nucléaire de l'administration Biden?
«Ne pas régler les problèmes en suspens serait désastreux et ferait revenir la région à la case départ»
Dr Mohammed al-Sulami
Cette entente avec les États-Unis pourrait expliquer le comportement iranien. Comme je l'ai dit précédemment, la décision de l'Iran de signer un accord avec le Royaume est plus susceptible d'être tactique que stratégique, car Téhéran a besoin d'opportunités économiques pour redonner vie à son économie moribonde et mettre fin à son isolement régional et international. D'un autre côté, la partie saoudienne est très sincère dans sa décision, qui est en harmonie avec la récente approche de la politique étrangère saoudienne. Avec un éventuel accord nucléaire à l'horizon, quels qu’en soient la durée ou les détails, l'Iran n'aurait pas besoin d’adhérer à l'accord signé avec le Royaume et de se conformer aux protocoles diplomatiques en paroles et en actions.
Même si ce présumé accord nucléaire risque de se heurter à l'opposition du Congrès américain et de causer des problèmes aux démocrates dans la période précédant l'élection présidentielle de 2024, ce qui est négligé, ce sont les implications négatives pour la région. Ne pas aborder les questions en suspens – le programme des missiles balistiques de l'Iran, le comportement belliqueux, ainsi que le financement et la formation de proxys régionaux – serait désastreux et ferait revenir la région à la case départ. C'est une erreur stratégique qu'il faut éviter. Les voix saoudiennes comme celles du Golfe doivent être écoutées plutôt que rejetées par les États-Unis, comme cela s'était produit par le passé.
Le Dr Mohammed al-Sulami est président de l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com