La question d’un remaniement peut paraître incongrue à certains, alors qu’elle semble évidente à d’autres. Malgré les apparences, le président français, Emmanuel Macron, n’a pas les mains libres et l’expression «maître des horloges» qui avait fait sa réputation lors de son premier mandat a perdu de son magnétisme.
Au lendemain de l’adoption de la réforme du régime des retraites, et pour tenter de clôturer une longue séquence de manifestations nationales, Emmanuel Macron avait fixé à la Première ministre, Élisabeth Borne, une durée de cent jours pour dynamiser sa gouvernance. Le message avait alors été perçu comme un ultimatum, voire une menace. Élisabeth Borne avait donc cent jours pour se montrer «digne» de rester à Matignon et d’y prolonger son contrat. La fin de cette période coïncidait symboliquement avec le 14 juillet, jour de Fête nationale.
Mais à mesure que cette date fatidique approche, le ton menaçant d’Emmanuel Macron à l’égard de sa Première ministre paraît perdre de sa superbe. Malgré quelques divergences entre les deux têtes de l’exécutif, notamment sur l’affaire de la présentation de la loi sur l’immigration devant le Parlement à laquelle Macron tient et que Borne veut reporter par manque de majorité. Des divergences politiques sont aussi apparues notamment sur le passé pétainiste du Rassemblement national, lancé par Borne à la face de Marine Le Pen, icône de l’extrême droite. Macron, quant à lui, estime que cette accusation est dépassée par les enjeux actuels.
Malgré ces frictions, le président français a toujours procédé à un recadrage de sa Première ministre, tout en prenant soin de lui renouveler immédiatement sa confiance pour mettre fin aux rumeurs persistantes d’un changement imminent. Ce va et vient entre froncements de sourcils et rapprochements a fini par brouiller les pistes et compliquer la donne de cet éventuel remaniement.
Deux grandes tendances se distinguent pour parler de la nécessité ou non de ce remaniement. La première tendance le perçoit comme urgent et indispensable. Elle pointe du doigt la situation de certains ministres comme Marlène Schiappa, une proche de Macron, embourbée dans le scandale du fonds Marianne destiné à lutter contre la radicalisation dans les réseaux, qui devient intenable. Un remaniement pourrait crever de nombreux abcès en libérant ces personnalités dont la présence au gouvernement devient un fardeau lourd à gérer. Pour cette tendance, la nomination d’un nouveau Premier (ou Première) ministre permettrait aussi d’éclipser Élisabeth Borne dont le nom est intimement lié à la crise de la réforme des retraites qui est toujours, dans l’opinion, le principal facteur de tensions.
La seconde tendance souligne la maigre marge de manœuvre dont dispose Macron, notamment dans la recherche d’une personnalité politique capable de faire mieux que Borne. À quoi sert de remercier l’actuelle Première ministre si c’est pour se retrouver avec quelqu’un de moins bon ou de moins efficace qu’elle?
Pour que ce remaniement ait une valeur dynamisante pour le reste du second mandat de Macron, il faut qu’il soit porté par une personnalité capable de faire bouger les lignes de la majorité présidentielle, de capter davantage les partis du centre et de la droite. Or, cette perle rare paraît pour le moment introuvable. Les noms qui circulent ne semblent pas avoir le potentiel politique nécessaire pour faire mieux qu’Élisabeth Borne. C’est sans aucun doute cette difficulté qui explique l’hésitation d’Emmanuel Macron.
Élisabeth Borne s’exprime comme si elle devait rester longtemps à Matignon. C’est normal dans la communication politique de crise. Ne jamais suggérer que le départ est proche, mais plutôt vendre l’idée d’une permanence et d’une continuité. Mais Emmanuel Macron est dans une autre logique, celle de donner un nouveau souffle à son second mandat.
Le fera-t-il aux alentours du 14 juillet, après la période des cent jours évoqués comme un ultimatum, ou laissera-t-il Élisabeth Borne «passer» l’été? L’hypothèse la plus répandue dans les cénacles français est que cette grande décision sera reportée au lendemain des élections sénatoriales françaises prévues le 23 septembre prochain. Ce scrutin aura le mérite de montrer si la droite républicaine, sur laquelle Macron parie comme une nécessaire force d’appoint au Parlement, a conservé ses bastions et consacré des nouveaux rapports de force favorables à de nouvelles alliances.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.