La chute de Boris Johnson et le décès de Silvio Berlusconi, deux des hommes politiques populistes les plus connus et les plus populaires d'Europe, ont mis en lumière les changements profonds survenus dans la politique européenne au cours des dernières décennies.
Après avoir pris ses fonctions pour la première fois en 1994, M. Berlusconi a dirigé quatre gouvernements italiens non consécutifs, avant de quitter le poste de Premier ministre pour la dernière fois en 2011. En tant que Premier ministre italien le plus longtemps en fonction, il a fait preuve d'une remarquable capacité à rebondir après des scandales sexuels et des affaires de corruption et, à bien des égards, il a été le précurseur de nombreux politiciens populistes européens d'aujourd'hui, dont Boris Johnson, et même au-delà, de l'ancien président des États-Unis, Donald Trump.
Sur le plan international, Silvio Berlusconi avait d'étranges relations politiques, notamment avec le président russe, Vladimir Poutine, à l'instar des populistes d'une époque plus récente, comme M. Trump. Pas plus tard qu'en octobre, M. Berlusconi décrivait encore M. Poutine comme un «ami», malgré l'invasion de l'Ukraine par Moscou.
Lorsque Silvio Berlusconi a pris le pouvoir en Italie, seule une poignée d'États phares de plus de 20 millions d'habitants – dont le Venezuela – avaient des dirigeants populistes. Toutefois, ce club populiste, alors relativement restreint, s'est considérablement élargi après le déclenchement de la crise financière internationale de 2007-2008, qui a annoncé ce que l'on a appelé «la grande récession». Les ralentissements économiques et l'austérité observés dans le sillage de ce tsunami économique ont joué un rôle essentiel dans la montée du populisme en Europe.
La plus forte montée du populisme en Europe et dans le monde a été observée au cours de la dernière décennie, avec notamment l'arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2016 et celle de M. Johnson au Royaume-Uni en 2019. Pour ceux qui souhaitent que leur Histoire politique soit bien réglée, il est sans doute approprié que la carrière politique de Boris Johnson prenne fin la même semaine que la mort de M. Berlusconi.
Dans l'ère populiste actuelle, il n'est pas totalement exclu que M. Johnson tente un retour politique à la façon de Donald Trump
Andrew Hammond
Lundi, le jour même du décès de Silvio Berlusconi à l'âge de 86 ans, Boris Johnson a officiellement présenté sa démission en tant que député. L'implosion de la carrière politique de ce dernier, pour l'instant du moins, est intervenue avant la publication, jeudi, d'un rapport extrêmement accablant sur son comportement en tant que Premier ministre au cœur de la pandémie, dans le cadre du scandale dit du «Partygate».
Toutefois, si M. Johnson, âgé de 58 ans, semble politiquement mort, il n'est pas totalement exclu, dans l'ère populiste actuelle, qu'il tente un retour politique à la façon de Donald Trump après la perte du pouvoir par le parti conservateur, éventuellement à l'occasion des prochaines élections générales. Malgré ses nombreux défauts, l'ancien Premier ministre reste populaire auprès de nombreux membres du parti conservateur.
En effet, un groupe appelé «Conservative Democratic Organisation» («Organisation démocratique conservatrice») semble se transformer rapidement en une campagne de «retour de Johnson». Fait remarquable, ce groupe encourage même les membres du parti à écarter tous les députés conservateurs actuels qui soutiennent le rapport accablant de la Commission des privilèges de jeudi, en dépit du fait qu'il ait été approuvé par un groupe bipartisan de députés.
Ce qui rend l'attrait de Boris Johnson si puissant pour certains conservateurs, c'est qu'il a remporté en 2019 la plus grande majorité du parti à la Chambre des communes depuis les années 1980, sous Margaret Thatcher. De plus, plutôt que de perdre une élection générale, il a été destitué de Downing Street lors d'un vote interne du parti, ce qu'un grand nombre de membres conservateurs pourraient regretter lors de la prochaine perte de pouvoir du parti, malgré ses défauts éthiques évidents.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il n'est donc pas totalement exclu que M. Johnson tente de se présenter à nouveau à la tête du parti dans les années à venir. Au cours du siècle dernier, quatre personnes ont fait un second passage à Downing Street, dont Winston Churchill, le héros de Boris Johnson, qui a toujours souhaité en faire autant sans pour autant réaliser ses ambitions.
Le fait que M. Johnson ait pu revenir sur le devant de la scène malgré toutes ses actions répréhensibles, qui auraient définitivement mis fin à sa carrière politique à une autre époque, montre que l'ère du populisme est loin d'être révolue.
Certaines données indiquent que le nombre de leaders populistes dans le monde a diminué depuis le début de la pandémie de Covid-19. Toutefois, le populisme est encore largement répandu en Europe, comme en témoigne le succès de Giorgia Meloni en Italie en 2022. La Première ministre Meloni, une nationaliste de droite soutenue par M. Berlusconi, illustre le fait que le populisme européen tend à être une variante conservatrice différente de celle de l'Amérique latine, où le populisme de gauche domine.
Si les dirigeants des différents continents ont souvent des goûts variés en matière de populisme, ils ont tendance à gagner le pouvoir grâce à des tactiques de campagne communes. Les attaques contre l'immigration en font partie.
Bien que des hommes politiques comme Boris Johnson et Silvio Berlusconi n'aient pas réussi à gouverner, le populisme pourrait gagner en popularité.
Andrew Hammond
Si les populistes peuvent être des militants très efficaces, ils ont tendance à ne pas savoir gouverner. C'est le cas de M. Trump et de Boris Johnson, mais aussi de Silvio Berlusconi.
Prenons l'exemple de M. Johnson qui, bien qu'il ait remporté une large majorité en 2019, n'a obtenu que très peu de résultats significatifs au cours de ses années au pouvoir. Ce bilan inclut l'échec de sa vision phare de «niveler» le Royaume-Uni en augmentant les salaires, le niveau de vie et le nombre d'emplois dans les régions du pays où ils sont relativement bas, de sorte que toutes les régions soient davantage sur un pied d’égalité.
De même, M. Berlusconi n'a pas non plus laissé en héritage de grandes réalisations. Le temps qu'il a passé à la tête de l'Italie a été largement consacré à des batailles stériles avec le pouvoir judiciaire et les médias.
Pourtant, bien que les politiciens tels que Boris Johnson et Silvio Berlusconi n'aient pas réussi à gouverner, le populisme pourrait à nouveau gagner en popularité. Cette tendance pourrait être alimentée par les conséquences de la pandémie, qui a déclenché une récession mondiale plus profonde et plus large que celle de la crise financière de 2007-2008.
En outre, l'aggravation des inégalités économiques constitue également un facteur essentiel. Si certaines catégories de personnes aisées ont vu leur patrimoine augmenter depuis le début de la pandémie, de nombreuses personnes plus pauvres ont vu leurs revenus stagner, voire régresser.
Même si les destins de M. Berlusconi et de M. Johnson peuvent suggérer la fin d'une ère dans la politique européenne, il est possible que le phénomène du populisme connaisse encore un rebond. Une situation paradoxale, étant donné que les politiciens de ce genre ont accompli si peu pour faire face aux défis économiques et politiques qui les ont portés au pouvoir.
Andrew Hammond est associé à LSE IDEAS à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com