Jamais un projet de loi n’aura été repoussé ad libitum comme le fut celui portant sur l’immigration ! Le 1er février 2023, une première version fut annoncée. Comme le soulignait un journaliste d’Ouest-France : «D’un côté, le ministre de l’Intérieur porte une partie du texte pour “mieux expulser” quand le ministre du Travail est censé incarner le “mieux intégrer”.»
Le 22 mars, et alors que la Réforme des retraites soulevait les bancs de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron prend la décision de «découper» le texte en deux volets : d’abord le point de vue du droit, puis le débat sur les sujets à polémique. Le 23 avril, le même Macron annonce qu’il y aura un seul et même texte, «afin de conserver un équilibre». Les débats sont finalement programmés pour juillet. Le président français finira-t-il par s’écrier, en paraphrasant le général de Gaulle : «Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l’Immigration ! L’immigration! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. Il faut prendre les choses comme elles sont»(1) ?
Mais voilà que, le hasard faisant bien les choses, les journaux télévisés font chorus autour de «l’abaya» ! Les reportages, en boucles, montrent de jeunes musulmanes se présentant à leur établissement, attifées de cette tenue intégrale jusqu’à l’entrée, avant d’ôter le «foulard» pour respecter a minima l’interdiction républicaine, tout en gardant la fameuse «abaya».
Il faut croire que le hasard est du côté des détracteurs de tout ce qui est d’Orient, Maghreb compris. Oui, le Maghreb a beau se situer en Afrique, la région continue d’être en Orient. Sacrée conception de la géographie : quand on pense que le mot même de «Maghreb» signifie littéralement «Couchant», donc «Occident»!...
Un détraqué prénommé «Serviteur du Messie»
Ainsi, jeudi 8 juin, alors que le débat sur la politique «immigrationniste» du gouvernement tonne de partout, voilà qu’un détraqué d’Arabe commet des actes monstrueux en s’attaquant à coups de couteau à des enfants, même en poussette ! Un Arabe chrétien, pas un converti, non, mais un chrétien de… souche ! L’impensable, c’est que cet Arabe se prénomme Abdelmassih : «serviteur du Messie». Donc, de Jésus. Oui, comme il y a des Abdallah : «serviteurs d’Allah»! En invoquant Jésus, personnellement je ne sus s’il honorait son propre prénom ou s’il prenait le Christ à témoin. Curieusement, ce détail (l’invocation à Jésus) fut zappé autant par les journalistes que par les politiques. Détail on ne peut plus gênant, certes.
Et voilà qu’un bon chrétien (en plein «tour de France des cathédrales»: ce détail, par contre, sera porté aux nues!) surgit et, n’écoutant que sa foi, poursuit l’agresseur. Courageuse initiative, inespérée en effet, de nos jours! Moralité: un Arabe chrétien n’est pas pour autant inspiré du Christ (même s’il se dit son «serviteur»). Arabe ou pas, les monstrueux forfaits commis par le prénommé Abdelmassih l’excluent d’emblée de toute humanité. Question aux gens d’Église: si l’auteur des coups de couteau s’était écrié, comme le Christ sur la Croix, reprenant à son compte le Psaume du Serviteur: «Messie, Messie, lama sabactani?» (2), aurait-il bénéficié de quelque compassion?
On parlait autrefois de «chrétien tiède». L’agresseur du parc d’Annecy serait, lui, un «faux chrétien». Forcément: un vrai chrétien ne cherche pas à tuer, vous assure-t-on, encore moins des enfants. Bonne nouvelle! Comme quoi, un Arabe reste un Arabe, comme le suggère CNews, pour qui la «dé-civilisation» recherchée par l’immigration n’est plus une fatalité. Et c’est la conclusion d’une chroniqueuse, Véronique Jacquier dans ce tweet:
Le vrai chrétien et héros de cette effroyable journée est Henri, un catholique de 24 ans qui fait le tour de France des cathédrales. Le visage du courage ! Un sourire qui laisse espérer que tout est encore possible pour ne pas sombrer dans la #décivilisation #Annecy pic.twitter.com/Zw0sq5DWtX
— Véronique Jacquier (@Vero_Jacquier) June 8, 2023
Ah! Ce syndrome colonial qui ne passe pas!
À Annecy, des groupes d’ultradroite ont manifesté aux cris de: «Mort à l’immigré!» En France, appeler à la mort contre un animal est déjà un délit, ce qui suppose que pour ces extrémistes, la vie d’un immigré ne vaut pas celle d’un chien. Après tout, dirait Éric Zemmour, un chien ne profite pas des largesses de la République (Allocations familiales, Aide médicale d’État, etc.). C’est justement le processus du «regroupement familial» qu’un ancien Premier ministre, Édouard Philippe, vient de stigmatiser en appelant à la révision des Accords entre la France et l’Algérie conclus en 1968: «Ce texte détermine complètement le droit applicable à l’entrée et au séjour des ressortissants algériens, avec des stipulations qui sont beaucoup plus favorables que le droit commun (…). Aucun ressortissant d’un autre État ne bénéficie de tels avantages».
Mais qu’est-ce qui justifie cette sortie d’un ancien chef de gouvernement, après un silence de plusieurs mois, voire de plusieurs années? La perspective de l’élection présidentielle, pardi! Chacun cherche à se mettre en pôle-position, quitte à emprunter sa rhétorique à l’extrême-droite! Cette sortie de l’ancien Premier ministre est quasiment un copier-coller de celle-ci: «À la place d'Elisabeth Borne, j’aurais remis en cause les accords de 1968 passés entre l'Algérie et la France, qui facilitent considérablement les flux entre nos deux pays».
Et qui a déclaré cela? Tout bonnement: Marine Le Pen, le 22 octobre 2022, sur Europe-1. Peu après, c’est le président du parti Les Républicains, Éric Ciotti, qui renchérit: «C’est cette ligne qui peut nous faire gagner: l’autorité pour mieux protéger les Français, l’identité pour préserver et transmettre notre civilisation». On croit entendre un cri de ralliement: «La République en danger!» Comme après le 10 juin 1792, lorsque les frontières de la France furent menacées par les troupes austro-prussiennes… Au fait, l’Immigration: combien de divisions?
(1) Plus exactement, Charles de gaulle s’était écrié: «Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant: l’Europe! L’Europe! L'Europe! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. Il faut prendre les choses comme elles sont (…).»
(2) Référence au passage du Psaume 22, dans la Thora: «Eli, Eli, lama sabactani?» («Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?»)
Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).
Twitter: @SGuemriche
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