Avec le décès récent de l'ancien président français Valérie Giscard d'Estaing (VGE), une page entière de l'histoire politique française vient d'être tournée. Le président défunt constituait, comme son successeur François Mitterrand et son ancien premier ministre Jacques Chirac, un pôle crucial de l'échiquier politique de l'Hexagone. La relation entre ces figures de proue de la vie politique française a marqué longuement la trajectoire historique du pays.
Dans ce jeu de compétition et d'affrontement complexes, Giscard d'Estaing a été contraint de quitter la scène politique promptement à l'âge de 55 ans, après un seul mandat, décisif dans l'histoire de la France.
Bien qu'il fût issu de la tradition gaulliste et ministre du Général De Gaulle et de son successeur George Pompidou, il s'est gardé d'entériner l'héritage de l'instigateur de la cinquième république et s'est forgé l'image inédite du leader libéral dans un paysage réfractaire aux idées et politiques libérales.
Par contraste avec le nationalisme conservateur du Général De Gaulle, Giscard incarnait un esprit de réformisme progressiste en phase avec les grandes mutations engendrées par le mouvement contestataire de la jeunesse, symbolisé par « la révolte de mai 1968 ».
Il a séduit les électeurs français par son élan de jeunesse, sa longue silhouette, son éloquence légendaire. Il est apparu pour eux comme l'homme de l'avenir, par rapport au « spectre du passé » représenté par le vieux routier de la vie politique, François Mitterrand. Les Français se rappellent toujours la formule assassine de Giscard vis-à-vis à vis de Mitterrand lors du débat entre les deux tours en 1974 : « Monsieur Mitterrand, vous n'avez pas le monopole du cœur ».
Le jeune polytechnicien et énarque, qui a présidé à la destinée de la France de 1974 à 1981, a conduit les réformes les plus audacieuses dans l'histoire de la France contemporaine : la dépénalisation de l'avortement, la simplification des procédures du divorce, la libéralisation de l'audiovisuel, l'abaissement de la majorité civile à 18 ans...
Ce brillant économiste à l'allure technocratique froide et au profil aristocratique distant, s'est avéré un visionnaire avisé et un redoutable stratège.
Son rôle a été déterminant dans la dynamique du projet européen, dans la nouvelle configuration du système international et dans la gestion des crises économiques mondiales.
Malgré son bilan globalement positif, il finit par être rattrapé par les déboires de sa politique sécuritaire et sa gestion rigoriste des dossiers économiques. Bien qu'il ait été présumé vainqueur des élections de mai 1981 face à Mitterrand, il a ressenti son échec imprévisible comme une trahison amère de son ancien allié Chirac, qui a manigancé discrètement avec le camp adverse pour sa déroute, ce qu'il ne lui a jamais pardonné.
L'homme qui a révolutionné la société française et a occupé le devant de la scène durant sept longues années n'a jamais pu reconquérir le cœur des Français, toutes ses tentatives de renouer avec le paysage politique ont été vaines, et il a fini par se contenter de ses mandats électifs dans sa région natale d'Auvergne.
Écrivain prolixe, romancier habile, chasseur et musicien à ses heures, il s'est accroché à la vie publique, et a gardé un œil vigilant sur les hautes sphères du pouvoir. S'il n'avait pas le talent politique et intellectuel de Mitterrand, ni la chaleur humaine et le sens manœuvrier de Chirac, il a imposé toutefois sa marque originale sur la scène politique. Il s'est toujours targué d'être le président réformateur et le grand bâtisseur, ses successeurs lui ont paru des professionnels ordinaires de la politique hantés par l'accès et le maintien au pouvoir.
Pour Giscard, l'essence de la politique dépasse largement cet aspect gestionnaire et décisionnel du pouvoir ; elle implique une conception structurante et fondatrice de la chose publique qui embrasse toutes les sphères sociales. C'est ainsi qu'il a durement jugé le legs de ses deux successeurs immédiats, qui n'ont à ses yeux aucun grand projet à leur actif.
Au crépuscule de sa vie, Giscard s'est rendu compte qu'il n'a jamais été aimé par ses concitoyens et il reconnaissait avec humour qu'il ne répondait pas au goût des Français qui le trouvaient « trop grand et au nom trop long ».
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.