Depuis son établissement en 1979, la République Islamique a eu à faire avec les administrations américaines de Jimmy Carter, Ronald Reagan, George H.W Bush, Bill Clinton, George W. Bush, ou encore Barack Obama. Mais la pression à laquelle le régime fait face sous l’administration Trump depuis quatre ans est sans précédent.
Les exportations pétrolières de l’Iran ont été considérablement réduites ; le mécontentement de la population a conduit au cours des trois dernières années à deux mouvements de contestation à l’échelle nationale ; l’inflation et le chômage ont atteint des niveaux records; la pandémie de covid-19 a aggravé la situation politique et économique du pays, et les divisions au sein du pouvoir théocratique sont plus profondes que jamais.
S’il est une vertu du régime de Téhéran depuis quatre décennies, c’est bien sa patience. Les dirigeants iraniens ont survécu à l’administration Trump et attendent maintenant l’élection présidentielle américaine de novembre avec impatience, en espérant une possible victoire de Joe Biden.
Les mollahs pensent, en dépit des dénégations de la Maison Blanche, que l’administration Trump a cherché à changer le régime. Ils ont le sentiment que Trump a échoué dans sa politique envers l’Iran. Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammed Javad Zarif, a affirmé que la stratégie de « pression maximale » du président américain avait échoué. « Je ne pense pas que Trump croit encore que la République Islamique est près de s’effondrer. Mais il ne fait que répéter ses erreurs. Il semble qu’ils (les responsables américains) savent qu’ils ont commis des erreurs mais ne savent pas comment les réparer », a t-il affirmé.
Les journaux iraniens appartenant à l’Etat et les politiciens sont en tout cas très optimistes quant à la victoire de Biden sur Trump. La semaine dernière, le journal Mardom Salari a titré : « La popularité de Biden grandit tandis que celle de Trump diminue. » Entre temps, un sondage de NBC News/Wall Street Journal publié en juillet a montré que l’ancien vice-président dépassait Trump de 11 points (51% contre 40).
Après les mauvaises nouvelles de ces derniers mois, et les difficultés rencontrées par le régime théocratique, une élection de Joe Biden pourrait constituer une bouffée d’oxygène. L’administration Biden reviendrait probablement à l’accord nucléaire iranien, dont Trump s’est fermement retiré en 2018. Un retour au Plan d’Action Global Commun (JCPoA) comprendrait en effet la réactivation de tous les anciens accords secrets conclus avec l’administration Obama, lorsque Biden était vice-président.
Ce changement garantirait probablement une levée de toutes les sanctions, ainsi qu’un afflux de milliards de dollars dans la trésorerie iranienne. Une fois de plus, le régime serait à même d’utiliser les revenus supplémentaires pour attiser les braises de l’instabilité au Moyen-Orient. Une partie des fonds pourrait être transférée vers le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, qui étendrait ainsi l’influence du régime et son emprise militaire au Moyen-Orient, notamment en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen.
Une telle décision pourrait également faire plaisir au président syrien Bachar el-Assad, qui est lui aussi confronté à une importante pression économique. L’accord nucléaire avait permis à l’Iran de sauver précédemment el-Assad, alors sur le point de perdre sa mainmise sur le pouvoir. Il avait reçu un coup de pouce inespéré de l’Iran qui a « investi » en Syrie de 6 à 35 milliards de dollars par an, afin de maintenir son plus fidèle allié régional au pouvoir.
En outre, l’Iran serait en mesure de renforcer ses bras armés chiites, comme le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, ou encore son conglomérat de près de quarante milices chiites iraniennes sous la bannière des Unités de Mobilisation Populaire (MP). Il n’est pas difficile de comprendre l’actuelle offensive de l’Iran et sa quête de domination régionale au Moyen-Orient.
Sans les financements de l’Iran, de nombreuses milices et autres groupes terroristes ne seraient en fait pas capables de survivre. En tant que leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah l’a lui-même admis : « Nous n’avons pas peur de dire que le budget du Hezbollah, ses revenus, ses dépenses, tout ce qu’il mange et boit, ses armes et ses bombes, viennent de la République Islamique d’Iran. Tant que l’Iran aura de l’argent, nous aurons de l’argent ». Il a également ajouté : « Tout comme nous recevons de l’Iran les bombes que nous utilisons pour menacer Israël, nous recevons aussi de la République islamique notre argent. Aucune loi ne nous empêchera de le recevoir. »
Pour les dirigeants religieux, une présidence sous Biden ainsi qu’un retour à l’accord nucléaire antérieur avec des flux d’argent lui donnerait une vaste marge de manœuvre pour réprimer son peuple et l’opposition locale, payer les loyalistes radicaux pour faire avancer les idéaux révolutionnaires du régime et garantir le maintien au pouvoir du Guide Suprême Ali Khamenei.
Que le régime iranien considère l’élection de Biden à la présidence comme une bonne nouvelle ne serait pas une surprise. Malheureusement, l’aveuglement du Parti démocrate est étonnant: il ne semble pas se rendre compte des dommages causés par l’accord nucléaire et par la conciliation de l’administration Obama envers Téhéran, qui ont fortement nui à la population iranienne, à la région, voire à d’autres peuples vivant même jusqu’en Amérique latine.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Twitter: @Dr_Rafizadeh
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com