La semaine dernière, le guide suprême iranien Ali Khamenei a fait une déclaration inattendue, ouvrant la porte à d'éventuelles négociations avec les États-Unis concernant le programme nucléaire de Téhéran. Cette déclaration a suscité de nombreuses spéculations et soulevé une question: pourrait-elle conduire à une relance du Plan d'action global commun ?
Le guide suprême Khamenei a informé le nouveau gouvernement du président Masoud Pezeshkian qu'il n'y avait « aucun mal » à s'engager auprès de son « ennemi ». Mais pourquoi Khamenei se montre-t-il maintenant prêt à négocier ?
Pour comprendre l'importance de ce changement, il convient de s'attarder sur une époque similaire de l'histoire iranienne. En 2015, pendant le mandat du président Hassan Rouhani, le guide suprême a fait des commentaires analogues qui ont jeté les bases des négociations qui ont finalement abouti à l'accord nucléaire.
M. Rouhani, comme M. Pezeshkian, était considéré comme une figure modérée du paysage politique iranien, ouvert au dialogue avec l'Occident et désireux d'améliorer ses relations avec l'UE. Les parallèles entre ces deux moments peuvent inciter certains politiciens à se demander si l'Iran se prépare à nouveau à s'engager dans des efforts diplomatiques sérieux.
La situation économique désastreuse de l'Iran pourrait être l'un des moteurs des propos récents de Khamenei. Le pays est confronté à de graves problèmes économiques, notamment une inflation galopante et des taux de chômage élevés, qui ont alimenté le mécontentement général de la population. Ce ralentissement économique a eu des répercussions dévastatrices sur la vie des Iraniens ordinaires. Beaucoup d'entre eux ont ainsi vu leur pouvoir d'achat érodé par la dévaluation rapide de la monnaie nationale.
Il est plausible que les dirigeants considèrent la levée des sanctions comme un moyen d'alléger la pression intérieure.
Majid Rafizadeh
La crise économique a suscité un profond mécontentement dans le pays, de nombreux Iraniens accusant les politiques du gouvernement d'être à l'origine de leurs difficultés. La pression sur le régime s'est accrue et il est plausible que les dirigeants considèrent la levée des sanctions internationales comme un moyen d'alléger cette pression. En rouvrant la possibilité de négocier avec les États-Unis, Khamenei pourrait chercher une voie vers une relance économique qui pourrait aider à stabiliser le pays et à prévenir d'éventuels troubles intérieurs.
Un autre facteur qui pourrait influencer la décision de l'Iran de reconsidérer les négociations est l'escalade des tensions avec Israël. Ces derniers mois, l'Iran et ses mandataires ont été impliqués dans une série de confrontations de plus en plus intenses avec Israël, proche allié des États-Unis. La situation est devenue si explosive qu'elle fait craindre un conflit régional à plus grande échelle. Pour l'Iran, l'obtention de ressources financières pour soutenir ses opérations militaires et celles de ses mandataires est devenue plus critique que jamais.
En outre, le gouvernement iranien s'inquiète de plus en plus de l'éventualité de frappes militaires contre ses installations nucléaires. Du point de vue de l'Iran, Israël et les États-Unis sont prêts à prendre des mesures militaires pour l'empêcher de devenir un État doté de l'arme nucléaire. Cette menace pourrait être une autre raison pour laquelle l'Iran envisage des négociations.
Le programme nucléaire iranien a continué à progresser rapidement, malgré l'opposition internationale. Selon le dernier rapport confidentiel de l'Agence internationale de l'énergie atomique, dont l'Associated Press a pris connaissance la semaine dernière, l'Iran a considérablement augmenté son stock d'uranium enrichi à un niveau proche de celui des armes. Le directeur général de l'agence, Rafael Grossi, avait précédemment averti que l'Iran possédait suffisamment d'uranium enrichi pour produire « plusieurs » bombes nucléaires. Cette évolution alarmante suggère que l'Iran pourrait bientôt disposer des composants nécessaires pour fabriquer des armes nucléaires, ce qui constituerait une menace sérieuse pour la sécurité régionale et mondiale.
Certains diront que l'ouverture soudaine de l'Iran aux négociations pourrait être une manœuvre stratégique destinée à gagner du temps.
Majid Rafizadeh
Certains universitaires, analystes politiques et hommes politiques pourraient affirmer que l'ouverture soudaine de l'Iran aux négociations pourrait être une manœuvre stratégique destinée à gagner du temps. En s'engageant dans des pourparlers, l'Iran pourrait espérer retarder l'action internationale suffisamment longtemps pour achever son programme nucléaire et se déclarer comme un État doté de l'arme nucléaire – un scénario qui ne laisserait à l'Occident que très peu d'options en matière d'intervention.
Toutefois, même si l'offre de Khamenei est sincère, le contexte géopolitique actuel rend très improbable une relance de l'accord nucléaire. Contrairement à ce qui s'est passé en 2015, l'Iran est aujourd'hui plongé dans un conflit profond avec Israël. Les représailles permanentes entre les deux nations rendent la perspective de s'asseoir à la table des négociations avec l'Iran de plus en plus difficile à accepter pour Washington. Toute tentative de négociation dans de telles conditions pourrait être considérée comme une atteinte aux engagements des États-Unis envers leurs alliés dans la région, en particulier Israël.
En outre, le paysage politique en Iran et aux États-Unis a considérablement évolué depuis l'administration Rouhani. À l'époque, il y avait une forte volonté politique des deux côtés de parvenir à un accord. L'administration Obama aux États-Unis était favorable à l'établissement de liens diplomatiques et Rouhani, soutenu par une faction plus modérée en Iran, était déterminé à parvenir à un accord. Aujourd'hui, cependant, la situation est différente. Le mandat du président Joe Biden touche à sa fin et de nombreux éléments conservateurs de son administration s'opposent fermement à la relance de l'accord nucléaire. De même, en Iran, les partisans de la ligne dure ont gagné en influence et Khamenei lui-même a défini des lignes rouges strictes pour toute négociation potentielle, mettant en avant sa profonde méfiance à l'égard de Washington.
En conclusion, si la déclaration de Khamenei sur l'ouverture de la porte aux négociations nucléaires présente des similitudes avec la rhétorique utilisée pendant le mandat de Rouhani, l'environnement géopolitique actuel est nettement différent. Les tensions accrues avec Israël, l'opposition politique tant en Iran qu'aux États-Unis, ainsi que l'état avancé du programme nucléaire iranien rendent infinitésimale la probabilité de parvenir à un nouvel accord.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.
X: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com