Alors que le gouvernement syrien s'efforce de tourner la page de la guerre civile, des manifestations sporadiques éclatent dans certaines régions du pays, ce qui constitue un défi majeur pour Damas.
Bien qu’aucune issue n’ait été encore trouvée pour la guerre civile qui a débuté en 2011, le gouvernement syrien semble désormais s’orienter vers une nouvelle étape, cherchant à obtenir une réhabilitation régionale et internationale tout en tentant de réintégrer l’économie mondiale. La réadmission de la Syrie à la Ligue arabe en mai dernier et les récents rapprochements diplomatiques entre Damas et d'autres puissances régionales marquent probablement le début d'un long processus visant à résoudre la crise qui secoue le pays.
Cependant, les manifestations de grande ampleur observées dans le pays dernièrement pourraient entraver les efforts de réhabilitation du gouvernement. Par exemple, des manifestations ont récemment éclaté à Soueïda, où les femmes ont joué un rôle prépondérant. À noter que Soueïda est sous le contrôle des forces gouvernementales et constitue le cœur de la minorité druze du pays, qui a cherché à rester à l'écart de la guerre civile. Des protestations ont également eu lieu dans le nord (à Alep et à Idleb), le sud ( =à Deraa), ainsi que dans les bastions du régime le long de la côte méditerranéenne, à Damas également et dans le nord-est (à Deir Ezzor, Hasakeh et Raqqa).
Par conséquent, il est impératif que les autorités syriennes prennent en considération les doléances de la population afin de faciliter le processus de réhabilitation du pays. Cependant, pour atteindre cet objectif capital, il est primordial de commencer par identifier les revendications les plus pressantes de la population.
Toute protestation généralisée dans le pays pourrait entraver les efforts de réhabilitation du gouvernement
Dr Majid Rafizadeh
Cependant, même si la guerre civile a pris fin dans de nombreuses parties du pays, cette avancée majeure n'a pas encore entraîné de reprise économique pour l’écrasante majorité du peuple syrien. En réalité, de nombreuses personnes estiment que la situation économique s'est détériorée depuis la fin des combats. Sawsan, mère de trois enfants et secrétaire dans un cabinet médical à Damas, souligne : «Nous sommes profondément reconnaissants que la guerre civile soit révolue et que les bruits incessants des bombes et des tirs dans les banlieues de Damas aient pris fin. Nous avions l'espoir qu'avec la fin des conflits et des combats, nous pourrions revenir à la situation d'avant. Cependant, la situation financière continue de se dégrader, et il est alarmant de constater que de nombreux d'entre nous éprouvent actuellement des difficultés à joindre les deux bouts par rapport à il y a quelques années pendant la guerre.»
Le choc économique engendré par la guerre peut souvent perdurer, et son véritable impact n'est dévoilé qu'après la fin des hostilités. De surcroît, le séisme de février, qui a engendré des dommages évalués à 5,1 milliards de dollars en Syrie, a encore exacerbé la situation après plus d'une décennie de guerre civile. Avant cette catastrophe, plus des deux tiers de la population syrienne avaient besoin d'aide humanitaire, d'après l'UNICEF, en raison de la «détérioration de la crise économique, de la persistance des hostilités localisées, des déplacements massifs et de la destruction des infrastructures publiques.»
Pour remédier à cette situation, le gouvernement syrien doit en priorité renforcer le pouvoir d'achat de la population. Cela implique de s'attaquer à trois problèmes fondamentaux : l'inflation, la dévaluation de la monnaie et le chômage.
Le souci réside dans le fait que la monnaie syrienne continue de se déprécier à un rythme soutenu, rendant ainsi toute augmentation de salaire insignifiante
Dr Majid Rafizadeh
L'inflation atteint désormais un niveau record en Syrie. Alors que le taux d'inflation moyen en Syrie entre 1957 et 2020 était d'environ 11 %, il a atteint 139 % l'année dernière, dépassant des pays tels que la République démocratique du Congo, l'Angola et la Libye. La Syrie se classe ainsi quatrième au niveau mondial en termes de taux d'inflation les plus élevés, derrière seulement le Venezuela, le Soudan et le Liban, selon World Population Review. Pour mettre cela en perspective, le taux d'inflation en Syrie est environ 40 fois supérieur à la moyenne des pays du Golfe arabe. Des pays comme le Koweït, Bahreïn, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar et Oman affichent des taux d'inflation parmi les plus bas au monde. Il convient de noter qu'un taux d'inflation sain et standard se situe autour de 2 % à 3 % par an.
Avant le déclenchement de la guerre civile, le taux de chômage s'élevait à près de 9 %. Certaines régions de la Syrie ont récemment enregistré des taux de chômage atteignant un niveau alarmant de 85 %. Les prix ont augmenté de plus de 800 % au cours des deux dernières années seulement, plongeant près de 90 % de la population syrienne en dessous du seuil de pauvreté. Bien que le gouvernement ait récemment doublé les paiements de retraite en supprimant les subventions aux carburants, le problème réside dans la rapide dépréciation de la monnaie syrienne, rendant toutes augmentations salariales insignifiantes. En début d'année, le taux de change était de 7 000 livres syriennes pour un dollar américain, mais il a récemment atteint un niveau historiquement bas d'environ 14 000 livres pour un dollar, soit une perte de plus de 80 % de sa valeur en moins d'un an.
La meilleure politique que le gouvernement syrien pourrait adopter pour faire face aux problèmes cruciaux tels que le chômage, l'inflation et le désastre économique est de prendre des mesures concrètes. Actuellement, la tentative de réintégrer le système financier mondial et de sortir le pays de l'isolement constitue un pas dans la bonne direction. Toutefois, il est impératif que la Syrie investisse également de manière significative dans la reconstruction des infrastructures, étant donné que cela peut jouer un rôle clé dans la création d'emplois, l'amélioration de l'économie et l’attraction d’investissements étrangers.
En résumé, alors que le gouvernement syrien cherche à redorer son blason sur la scène régionale et internationale, il doit impérativement prendre en compte les préoccupations économiques de sa population pour réussir ce processus de réhabilitation.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue américano-iranien diplômé de Harvard. X : @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com