CANNES: De la "fierté" mais aussi beaucoup de "culpabilité": premier réalisateur soudanais à avoir un film en sélection à Cannes, Mohamed Kordofani ne peut cacher ses "sentiments contradictoires", alors que son pays est déchiré par une lutte sanglante entre deux généraux.
Lunettes de soleil, costume beige parfaitement taillé et sourire impeccable, le réalisateur de "Goodbye Julia", drame historique sur la relation entre les Soudanais du nord et du sud, donne le sentiment d'être dans son élément.
Mais après quelques minutes de discussion, le cinéaste ne cache plus son malaise: "Pendant que je suis sur le tapis rouge, des gens tentent de fuir les bombes", dit-il à l'AFP.
Samedi soir, à l'issue de la projection du film, l'émotion dans la salle était palpable. "J'étais à la fois honoré, fier, heureux... Mais je me sens aussi coupable d'être là. Ce sont beaucoup de sentiments contradictoires", confie-t-il, assurant avoir "le cœur brisé" par la situation de son pays.
Depuis le 15 avril, la guerre entre l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), du général Mohamed Hamdane Daglo, a fait un millier de morts dans ce pays d'Afrique de l'Est, l'un des plus pauvres du monde, et plus d'un million de déplacés et de réfugiés.
Rester ou partir ?
Son pays, Mohamed Kordofani ne sait d'ailleurs pas s'il pourra le retrouver dans un futur proche. "Pour l'instant, je ne sais pas où je vis", répond-il avec un sourire crispé, lorsque l'AFP lui demande s'il compte retourner vivre au Soudan ou choisir la voie de l'exil.
Cet ingénieur aéronautique de formation avait tout quitté pour fonder son propre studio de production. Depuis quelques mois, il vit et travaille au Liban. "Je suis sûr que les choses vont s'améliorer", lance-t-il avec espoir.
"J'ai vu des gens descendre dans la rue pour protester. Ces gens ne se contenteront pas d'être gouvernés par un dictateur ou une milice islamiste. La guerre peut se poursuivre mais, à terme, je sais qu'elle s'arrêtera".
La réalité politique de son pays, c'est justement l'un des sujets de son premier long-métrage "Goodbye Julia". Ce dernier revient sur le référendum de 2011 ayant mené à l’indépendance du Soudan du Sud.
"J'avais envie de comprendre pourquoi ce vote avait été remporté à près de 99% des voix. Pour moi, il y avait quelque chose de l'ordre de l'inattendu", explique-t-il.
Voilà pour la toile de fond. Le reste de l'histoire se concentre sur un drame domestique: une femme qui étouffe dans son mariage et dans sa vie. Mais aussi une femme qui a provoqué, avec son mari, l'irréparable, la mort d'un homme originaire du sud.
Racisme enraciné des Soudanais du nord contre ceux du sud, poids des traditions et de la religion, place des femmes dans la société... Le cinéaste ausculte, sans tabou, son pays natal. Un projet qui a été "très compliqué" à mener, raconte-t-il.
"La question des financements n'a pas été facile à régler mais c'est surtout la logistique qui a été lourde à gérer. Comment tourner quand il y a des manifestations et des émeutes dans la rue?", interroge-t-il. "La réalité du pays nous a très vite rattrapés même si nous avons finalement réussi à nous adapter".