Le 17 mai 2003, il y a tout juste vingt-ans, voici ce que disait l’ancien Premier ministre Laurent Fabius: «Quand la Marianne de nos mairies prendra le beau visage d’une jeune Française issue de l’immigration, ce jour-là la France aura franchi un pas en faisant vivre pleinement les valeurs de la République...»! C’était au congrès du Parti socialiste français.
Éviter les casserolades… souverainistes
Vous imaginez cette déclaration, prononcée aujourd’hui? Cela provoquerait plus de colères que le 49.3 et sa Réforme des retraites. Les théoriciens du Grand Remplacement hurleraient «Aux armes, citoyens!» Si la Première ministre a dû reporter le débat tant attendu sur l’Immigration, c’est que le sujet, on ne peut plus risqué, est prometteur de casserolades… souverainistes!
«Grand remplacement». Un vieux refrain… Qui n’a pas entendu parler de la menace qui pèse sur le pays des Francs? Et il ne s’agit plus d’invasion mais d’envahissement, nuance! Avec la première, l’occupation n’est pas indéfinie, alors qu’avec l’envahissement elle est effective et durable, voire définitive! C’est là que l’esprit gaulois se cabre.
Et si j’emploie indifféremment les mots «Francs» et «Gaulois», c’est pour souligner et rappeler au lecteur le paradoxe historique: la France se nomme par le nom des Francs (des Germains) qui l’avaient envahie tout en revendiquant comme ancêtres les Gaulois (des Celtes). Mais bien avant les Francs, le pays (un ensemble de comtés et de duchés) fut colonisé par les Romains, qui, eux, marqueront durablement la société gauloise: la population indigène, assimilée, sera désignée sous le nom de «Gallo-Romains». Un peuple métis, en somme.
Oui, un vieux refrain que le Grand Remplacement. Et ceux-là mêmes qui le redoutent oublient curieusement que leur histoire nationale n’est faite que de remplacements. Cela n’est pas propre à la France. Dans l’Histoire, combien de peuples infligèrent des «remplacements» par la force, jusqu’à l’assimilation ou à la disparition des peuples envahis! On pourrait parler du Grand Remplacement intervenu dès le début du VIIIe siècle au Maghreb, et, subséquemment, en Andalousie.
Mais il y a un plus Grand Remplacement de l’Histoire moderne, sur lequel tout fut fait pour qu’il «passe crème», comme disent les jeunes: celui d’Outre-Atlantique, subi par ceux que l’on surnomme les «Amérindiens». Et ce Remplacement-là, on n’en parle plus… Normal: ce fut une «découverte». La découverte du «Nouveau monde». Et si découverte il y eut, c’est que le territoire était vierge, disponible, ouvert à l’œuvre de «charité chrétienne», comme on disait. Cela relève, nous assure-t-on côté laïc, de «l’Œuvre civilisatrice».
Il arrive que des remplaçants deviennent à leur tour des remplacés, ou inversement. J’en connais un qui a «remplacé» (sic) une célébrité au pied levé, reprenant ses thèmes favoris, y compris l’immigration, et qui oublie que lui-même, venant de la Belle Province (le Québec), est le produit de ce Grand Remplacement outre-Atlantique. Sauf que les remplaçants du XVIe siècle aux «Amériques» venaient non pas de quelque pays sous-développé mais du pays du roi François 1er, mécène de Léonard de Vinci: alors, quelle aubaine pour les sauvages indigènes que de bénéficier de cette florissante civilisation!...
Au bon souvenir de la Colonisation de peuplement
L’une des phobies des théoriciens du Grand Remplacement, phobie dont ils tirent un argument imparable à leurs yeux, est le taux de fécondité. Un argument cher à Brigitte Bardot, qui nous assure que ce taux jouant en défaveur de la France, le pays comptera, à l’horizon 2050, deux fois plus de «citoyens de papiers» que de «citoyens de souche». C’est dire que l’idéologie, portée par la peur de la différence, a la vie dure: l’immigration mènerait tôt ou tard au Grand Remplacement, alors qu’ailleurs et en d’autres temps, elle aura mené à l’épanouissement de la société. Mais, au fait, la «colonisation de peuplement» de triste mémoire, n’était-ce pas déjà un Grand Remplacement avant l’heure, et programmé, de surcroît?
Pour les besoins d’un ouvrage, recensant faits et méfaits de la colonisation, j’avais consulté un auteur au-dessus de tout soupçon: Jacques Dumas, procureur de la République à Rethel (Ardennes). Homme de foi (protestant), fondateur à Nîmes de L’Association de la Paix par le Droit, chargé de cours à l’Académie de droit international de La Haye et à l’Université de Yale, il est l’auteur de 33 ouvrages parmi les lesquels: Les Sanctions de l’Arbitrage international et surtout d’un édifiant Essai de la doctrine pacifiste, paru en 1904, qui traite de la mauvaise colonisation et de la bonne colonisation. L’auteur commence par se poser trois questions. «Y a-t-il eu: 1. Extermination ; 2. Spoliation ; 3. Démoralisation?» Aux trois questions, la réponse est «oui», et la démonstration, terrifiante.
Mais là où Jacques Dumas prend de court son lecteur d’aujourd’hui, c’est lorsqu’il déplore «les 1 308 mains de nègres coupées et fumées (…) et la lente agonie des camps de concentration». Vous avez bien lu: «camps de concentration». Ainsi, la formule ne date pas, comme on nous l’a toujours fait croire, des années 1940, mais, en l’occurrence, des années 1900! Et, n’en déplaise aux historiens à la mémoire courte, ici, il est question de la France. De la France en pleine colonisation de peuplement. Une tentative de Grand Remplacement. Qui échoua, au prix de millions de morts et de déplacés.
Pour parodier le général de Gaulle, dans son envolée électorale (1): «Bien entendu, on peut sauter sur tous les plateaux de télé, et crier “Grand Remplacement! Grand Remplacement!”… Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien. Il faut prendre les choses comme elles sont».