Soixante-quinze ans se sont écoulés depuis le nettoyage ethnique de la Palestine. Cet événement, connu sous le nom de «Nakba», ou catastrophe, restera à jamais gravé dans la mémoire collective palestinienne.
Près des deux tiers de la population totale de la Palestine à l’époque – entre 1947 et 1949 – sont devenus des réfugiés, dispersés dans de nombreux pays et régions. Par ailleurs, le sens même de la nation palestinienne était, comme la Palestine elle-même, menacé.
Soixante-quinze ans plus tard, la situation n’en est que plus désastreuse. Outre les millions de Palestiniens vivant dans la diaspora, et les deux millions de Palestiniens qui sont restés dans la Palestine historique – désormais annexée à l’État d’Israël –, les Palestiniens des territoires occupés sont également politiquement décentralisés.
La division des Palestiniens dans les territoires occupés ne s’est pas exactement faite par choix. Peu de temps après les accords d’Oslo, qui ont été signés entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine en 1993, la Cisjordanie a été segmentée en trois régions principales, chacune administrée différemment, mais toutes sous occupation militaire israélienne.
Le statut de Jérusalem-Est a de plus été entièrement déterminé selon les caprices israéliens, contrairement, bien sûr, au droit international. L’Organisation des Nations unies (ONU) reconnaît toujours Jérusalem-Est comme une ville palestinienne occupée, comme le reste des territoires palestiniens, parmi lesquels la ville assiégée de Gaza.
«Partout, les Palestiniens, y compris dans toutes les régions ségréguées de la Palestine elle-même, se considèrent toujours comme un seul et même peuple.»- Ramzy Baroud
Pourtant, malgré tout cela, le sens de l’unité palestinienne reste intact. Partout, les Palestiniens, y compris dans toutes les régions ségréguées de la Palestine elle-même, se considèrent toujours comme un seul et même peuple. C’est l’un des exploits les plus importants de la résistance culturelle palestinienne au fil des ans.
Les sondages continuent de mettre en lumière le sentiment collectif des Palestiniens, leur confiance les uns envers les autres et leur manque de confiance envers Israël et ses bienfaiteurs. Il y a aussi des désaccords, qui ne sont pas nécessairement motivés par des priorités régionales, mais probablement par la classe sociale ou l’orientation politique.
Un nouveau sondage mené par YouGov et Arab News porte sur un échantillon de neuf cent cinquante-trois Palestiniens qui vivent dans les territoires occupés. Certaines des conclusions de cette enquête sont conformes aux résultats de sondages similaires, bien que d’autres s’écartent quelque peu des principes acceptés. Cela pourrait être dû, en partie, à certaines limites relatives aux différentes enquêtes ou à la nature des questions posées.
Comme prévu, la majorité des Palestiniens rejettent toute solution de rechange politique si Israël refuse de rendre Jérusalem-Est à son propriétaire légitime. En 1980, le gouvernement israélien a illégalement annexé Jérusalem à Israël – une décision qui depuis a été rejetée à plusieurs reprises par l’ONU.
Au début des années 2000, Israël a lancé son prétendu plan directeur Jérusalem 2000 pour garantir aux juifs israéliens une supériorité démographique totale sur les Arabes palestiniens de la ville. Cela impliquait l’expansion des frontières de Jérusalem, l’exclusion des quartiers palestiniens des nouvelles frontières de la municipalité et un processus lent mais constant de nettoyage ethnique des Palestiniens. Rien de tout cela ne semble avoir changé la nature fondamentale de la relation entre les Palestiniens – désormais minoritaires dans leur ville historique – et Jérusalem, comme le montre ce sondage et d’autres.
La cohérence se traduit également par le fait que la majorité des Palestiniens (82%) pensent que Washington a le plus d’influence sur Israël tandis qu’une majorité continue de ne pas faire confiance aux États-Unis en tant que médiateur équitable. Une très grande majorité (80%) pense plutôt que la Chine, et non les États-Unis, constitue un médiateur potentiel et un négociateur de paix équitable.
L’opinion des Palestiniens sur la Chine a rarement fait l’objet d’enquêtes antérieures, mais l’évolution de la géopolitique mondiale et le rôle de premier plan de la Chine dans la négociation d’un accord en avril entre l’Arabie saoudite et l’Iran ont contribué à renforcer la crédibilité de Pékin aux yeux de la plupart des Palestiniens et, probablement, des personnes de toute la région.
Cela crée une dichotomie. Le fait que la majorité des Palestiniens ne fassent confiance à «aucun gouvernement israélien» pour parvenir à un accord de paix et n’aient également aucune confiance dans l’Autorité palestinienne, alors que la majorité croit en la médiation chinoise, soulève bien des incertitudes.
«Une très grande majorité pense plutôt que la Chine, et non les États-Unis, constitue un médiateur potentiel et un négociateur de paix équitable.»- Ramzy Baroud
En outre, 64% des Palestiniens rejettent catégoriquement les prétendus accords d’Abraham. Une majorité (52%) estime par ailleurs que la normalisation a permis à Israël de faire preuve de plus d’agressivité. La dernière guerre israélienne contre Gaza, qui a commencé mardi dernier, témoigne de ce constat.
La conclusion du sondage sur la vision palestinienne de la solution à deux États est particulièrement intéressante et quelque peu en contradiction avec les récents sondages d’opinion sur la question. Le sondage YouGov indique que 51% des Palestiniens ont toujours foi en la solution à deux États. Mais est-ce réellement le cas ?
Un sondage datant d’octobre 2021 et mené par le Centre des médias et de la communication de Jérusalem à Jérusalem-Est a révélé que le soutien des Palestiniens à une solution à deux États avait considérablement chuté, passant de 39% à 29%. Pendant ce temps, le soutien à une solution à un seul État avait grimpé à 26%, contre 21% quelques mois plus tôt.
Pourquoi cette tendance serait-elle inversée maintenant, compte tenu de l’investissement croissant d’Israël dans la construction de colonies illégales, du manque de pression américaine sur Israël et de l’absence quasi totale de toute discussion, encore moins de négociations, pour une solution à deux États?
Malgré les quelques incohérences, qui nécessitent des sondages plus larges et plus ciblés, les Palestiniens restent unis dans leurs propres priorités en tant que peuple – leur manque de confiance en Israël, en ses bienfaiteurs, en la normalisation et, sans surprise, en leurs propres dirigeants également.
Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de vingt ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com.
Twitter: @RamzyBaroud
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com