Les affrontements à la frontière entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie le 12 juillet ont entraîné la mort d'un lieutenant azéri et de quatre soldats. Deux jours plus tard, de nouvelles escarmouches ont causé la mort d’un major-général et sept soldats, ainsi qu'un nombre indéterminé de militaires arméniens.
Les relations militaires ont toujours été tendues entre ces deux pays du Caucase après le démembrement de l'Union soviétique. La pomme de discorde est la province du Haut-Karabakh, qui est une enclave azérie. Elle a été désignée oblast autonome (région administrative) de l'Azerbaïdjan par Joseph Staline en 1923. À la veille de la chute de l'Union soviétique en 1989, les Arméniens vivant au Karabakh ont commencé à demander le transfert de la province de l'Azerbaïdjan à Arménie. Des affrontements militaires en bonne et due forme ont eu lieu entre la fin des années 1980 et mai 1994.
Au terme de ces affrontements, l’Arménie occupait non seulement le Haut-Karabakh, mais aussi d’autres provinces azerbaïdjanaises correspondant à un cinquième de l’ensemble du territoire du pays. Un cessez-le-feu a été négocié par un groupe de pays appelé le Groupe de Minsk - la Russie, les États-Unis et la France - mais il a été fréquemment rompu.
À d’autres occasions, les violations du cessez-le-feu se sont déroulées en grande partie le long de la ligne de contact du Haut-Karabakh. Mais les affrontements les plus récents ont eu lieu dans la province de Tovuz - une zone loin de la frontière litigieuse, à l'intersection de plusieurs routes stratégiquement importantes. Elle se trouve sur le tracé de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, du chemin de fer Bakou-Tbilissi-Kars, de l'autoroute Turquie-Géorgie-Azerbaïdjan et du gazoduc transanatolien (TANAP). Une telle intersection stratégiquement importante est naturellement une grande cible militaire.
Lorsque la Turquie et l'Azerbaïdjan ont décidé de construire un chemin de fer pour relier la province turque la plus orientale de Kars à la capitale azérie Bakou, il y avait déjà un chemin de fer existant et opérationnel qui traversait l'Arménie. Cependant, pour des raisons politiques, ces deux pays ont décidé de construire un nouveau chemin de fer qui contournerait l'Arménie et passerait par la Géorgie au nord.
Un autre projet d'infrastructure majeur qui contourne l'Arménie est l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Il implique un partenariat entre les compagnies pétrolières de neuf pays : la Turquie, l’Azerbaïdjan, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Norvège, la France, le Japon, l’Italie et l’Inde. Il a une durée de vie prévue de 40 ans et transporte 1 million de barils de pétrole azéri par jour vers le port méditerranéen de Ceyhan en Turquie. Un itinéraire plus court et plus économique aurait été de passer par l'Arménie, mais ni la Turquie ni l'Azerbaïdjan ne voulaient impliquer Erevan dans le projet. Ils ont donc décidé de poser un oléoduc plus long qui traverse la Géorgie. Le président azéri Ilham Aliyev a déclaré lors des négociations pour la création de la société pipelinière : «Si nous réussissons avec ce projet, les Arméniens finiront dans un isolement complet, ce qui créerait un problème supplémentaire pour leur avenir, leur avenir déjà sombre ».
Le troisième projet d'infrastructure important qui exclut l'Arménie est le TANAP, mais ici le pays dont les intérêts économiques sont menacés est la Russie plutôt que l'Arménie. Cet oléoduc transporte le gaz des abondantes réserves azéries de Shah Deniz vers l'Europe en le reliant à la Grèce et à l’oléoduc transadriatique qui traverse l'Albanie et la mer Adriatique pour atteindre l'Italie.
Le TANAP répond à une part importante de la demande de la Turquie et exporte l’excédent vers les pays européens. Cet oléoduc est en concurrence avec deux autres qui fournissent du gaz russe à la Turquie et de là à l'Europe.
À la lumière de cette conjoncture, la Russie pourrait-elle être derrière l'attaque arménienne ? Aucune hypothèse ne peut être purement et simplement écartée car le TANAP constitue une alternative aux oléoducs russes vers la Turquie et l'Europe. Cependant, cela semble moins probable dans les circonstances actuelles car - malgré leurs intérêts contradictoires sur un certain nombre de questions - la Turquie et la Russie coopèrent véritablement en Syrie et dans de nombreux domaines économiques.
De plus, lorsque Nikol Pashinyan est devenu Premier ministre arménien en 2018, il a opté pour une politique étrangère pro-américaine et a créé des problèmes inutiles pour les hommes d'affaires russes opérant dans le pays. La Russie a riposté en utilisant les cercles anti-Pashinyan dans le pays et en coopérant plus étroitement avec le président Armen Sarkissian.
Les récentes escarmouches ont provoqué une instabilité pour les habitants de Tovuz et pourraient les forcer à évacuer, permettant à l'Arménie de prendre le contrôle, menaçant ainsi les intérêts économiques turcs et azéris dans ce corridor stratégique.
Les Arméniens ont probablement estimé que la Turquie ne serait pas en mesure de mettre en place les ressources militaires nécessaires pour ouvrir un nouveau front dans cette région. Par conséquent, ils ont peut-être été tentés de forcer l'Azerbaïdjan à trouver une solution au problème du Haut-Karabakh alors que l'armée turque est plongée jusqu’au cou dans les crises en Syrie, en Libye et en Irak.
Yasar Yakis, ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AK au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com