La réadmission controversée de la Syrie dans la Ligue arabe fera du prochain sommet de cet organisme à Riyad un important centre d’intérêt. Pour des millions de Syriens, sans parler de nombreux dirigeants arabes, c'est une pilule incroyablement amère à avaler.
Soutenant cette décision, le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, a fait remarquer que «la politique de statu quo n'avait fait que provoquer davantage de maux, de douleurs et de souffrances pour le peuple syrien, ainsi que des menaces grandissantes pour la région.» Sur un ton plus belliciste, Safadi a mentionné la perspective d'une intervention militaire jordanienne à l'intérieur de la Syrie si une fin n’était pas mise au trafic de stupéfiants.
Douze ans de carnage syrien ne peuvent être ni pardonnés ni oubliés. Cependant, toutes les autres voies ayant été épuisées, il faut y mettre un terme. Attendre encore dix ou vingt autres années pour franchir cette étape inévitable ne ferait que prolonger les souffrances humaines. L'accord prévoit un groupe de contact ministériel de plusieurs États arabes pour travailler avec Damas sur des solutions pratiques, «étape par étape», à des problèmes tels que ceux des réfugiés, des stupéfiants ainsi que de l'accès à l'aide humanitaire.
La plaie syrienne, toujours purulente, a des effets préjudiciables à l'échelle de la région, notamment sur les millions de réfugiés qui se trouvent toujours au Liban, en Jordanie et en Turquie, exacerbant les tensions économiques et sociales. Les pays arabes pourraient jouer un rôle actif pour garantir la sécurité des citoyens retournant en Syrie, et dissuader Damas de prendre des mesures punitives à leur encontre.
Le clan Assad a inondé la région de tonnes de stupéfiants, tout en étant réputé pour les passages de clandestins, de même que pour la contrebande d'armes et de marchandises. Des États comme la Jordanie et le Liban ont été doublement touchés: inondés de drogues bon marché et mortelles, et empêtrés dans le passage en transit de ces produits. Assad s'est timidement engagé à «essayer» de s'attaquer au dossier des stupéfiants. Cela est insuffisant. Si Damas souhaite bénéficier du rétablissement des relations commerciales avec les pays arabes, elle ne doit en aucune façon s’imaginer que sa prospérité future est basée sur le modèle d’un narco-État.
Les demandes arabes pour que Damas se dissocie de l'Iran n'ont apparemment pas porté leurs fruits, Assad refusant ostensiblement d'abandonner son plus fidèle allié. En tout état de cause, une rupture complète des liens avec Téhéran ne serait sans doute pas une demande réaliste, étant donné les mesures prises par les pays arabes pour rétablir eux-mêmes leurs relations diplomatiques avec l’Iran.
Cependant, comme pour l'Irak, les pays arabes devraient insister sur un nouvel équilibrage de leurs relations, en sorte que le Liban, la Syrie, le Yémen et l'Irak ne ressemblent plus à des États satellites iraniens, de même que cesse le stockage des missiles, et en reconnaissant le fait que ces pays ne peuvent pas être les otages de la politique étrangère iranienne de la corde raide.
Le rapprochement devrait être fondé sur une reconnaissance claire du fait que le régime de Damas n'a pas la réputation d'agir de façon honnête et qu'il pourrait ultérieurement chercher à se défaire de ses engagements.
Baria Alamuddin
La démobilisation des milices alignées sur Téhéran dans ces pays devrait également être une priorité. La débâcle soudanaise illustre le fait que lorsque des forces paramilitaires surpuissantes sont autorisées à se développer continuellement en force, il n'y a pas d'échappatoire à une guerre totale. On craint que l'Iran ne cherche à coordonner plus étroitement les actions de forces militantes telles que le Hezbollah, le Jihad islamique et le Hamas, afin d'exercer un plus grand contrôle sur les conflits régionaux et les tensions transfrontalières. Par ailleurs, Israël effectue des frappes aériennes régulières contre des cibles associées à l'Iran en Syrie.
Le rapprochement devrait être fondé sur une reconnaissance claire du fait que le régime de Damas n'a pas la réputation d'agir de façon honnête et qu'il pourrait ultérieurement chercher à se défaire de ses engagements. Assad n'exerce en outre qu'un contrôle symbolique sur une partie limitée du territoire syrien, d'autres zones étant tenues par des groupes rebelles tels que Hayat Tahrir Al-Sham, Turkiye et les forces kurdes soutenues par les États-Unis. La Russie, quant à elle, contrôle d'importants sites militaires, alors que Daech et d'autres groupes djihadistes ont toujours une présence. Les pays arabes doivent veiller à ce que le réengagement ne devienne pas un stratagème permettant à un régime redynamisé de reprendre l'offensive militaire.
La semaine dernière, Ebrahim Raïssi est devenu le premier président iranien à se rendre en Syrie depuis 2011. Bien que l'un des hauts responsables de l’équipe dirigeante de Raïssi se soit vanté du fait que cette visite représentait «la victoire stratégique de la République islamique d'Iran dans la région», cette visite comportait un soupçon de désespoir, compte tenu des implications de la réadmission de Damas dans le giron arabe pour mettre fin au monopole de l’Iran sur la Syrie.
L'Iran a versé au moins 30 milliards de dollars en Syrie depuis 2011, certaines estimations étant encore plus élevées. Avec ses propres finances en mauvaise posture, Téhéran cherchera à forcer le régime syrien en faillite à rentabiliser ces investissements. Par ailleurs, les États du Golfe ont fait par d’une profonde réticence à investir dans la reconstruction syrienne d'une manière qui pourrait permettre à ces fonds de revenir à Téhéran. Faisant apparemment fi de ce paradoxe, Raïssi a souligné le rôle central potentiel de Téhéran dans la reconstruction - bien que l'Iran soit en premier lieu l'un des principaux agents de la destruction de la Syrie. Voyons s’il va joindre le geste à la parole.
Les pays occidentaux sont opposés à toute ouverture envers Damas, et le Secrétaire d'État américain Antony Blinken a mis en garde les États arabes sur le fait que «ceux qui s'engagent avec le régime d'Assad devraient évaluer attentivement la manière dont ces efforts répondent aux besoins du peuple syrien.» Il a raison dans le sens où le pire des scénarios serait de laisser Assad s'en tirer sans s'attaquer fondamentalement aux innombrables problèmes de sécurité de la Syrie. La charge de la preuve incombera aux États arabes pour démontrer leur détermination et leur capacité à faire en sorte que le régime tienne ses promesses.
À l'avenir, de véritables efforts doivent également être déployés pour s’assurer que justice sera rendue concernant les crimes horribles contre l'humanité commis par de nombreuses parties en Syrie. Occulter ce fait ne fera que préparer le terrain pour la prochaine série d'atrocités ailleurs, et notamment au Soudan, où la situation pourrait potentiellement devenir tout aussi sanglante, complexe et insoluble. Le rôle arabe dans les négociations actuelles de Djeddah se doit d’être d’une grande fermeté pour empêcher les parties belligérantes soudanaises de suivre la voie de la Syrie.
Culturellement et politiquement, la Syrie est l'un des organes vitaux du monde arabe. La perte et le démembrement de cet organe au cours des douze dernières années ont été catastrophiques pour la bonne marche de la géostratégie arabe.
Par conséquent, la réinsertion de Damas dans le corps arabe est une opération extrêmement complexe, délicate et problématique. Des millions de Syriens compteront sur les grands pays arabes pour s'assurer du fait que ce nouvel accord est une première étape leur permettant de reconstruire leur vie.
• Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com