À moins d’une semaine des élections cruciales du 14 mai en Turquie (présidentielle et législatives), les spéculations vont bon train sur la capacité du président, Recep Tayyip Erdogan, et ses partenaires de la coalition à survivre. Les instituts de sondage donnent des statistiques opposées sur les résultats possibles.
La course au pouvoir oppose le président sortant à Kemal Kilicdaroglu, le chef d’une coalition de partis d’opposition. La compétition s’annonce serrée, bien que M. Kilicdaroglu semble avoir légèrement pris le dessus. Cependant, d’autres facteurs viennent compliquer la situation. Il y a deux autres candidats à la présidence, Muharrem Ince et Sinan Ogan. Aucun d'entre eux n'est susceptible d'obtenir plus de 5 ou 6% des voix. Ils ont présenté leurs candidatures afin de négocier des concessions avant le second tour de l’élection avec MM. Erdogan ou Kilicdaroglu si le premier tour s’avère non concluant.
Il y a aussi une différence entre l’attitude de M. Ince et celle de M. Ogan. Le premier a annoncé publiquement qu’il était contre M. Erdogan, mais cela ne signifie pas qu’il soutiendra Kemal Kilicdaroglu.
Sinan Ogan devrait obtenir la moitié de ses voix auprès des partisans de Recep Tayyip Erdogan et l’autre moitié de l’opposition. À mesure que le jour des élections approche, les électeurs peuvent évaluer leurs choix plus méticuleusement. Par conséquent, le soutien de M. Ince peut chuter à 3 ou 4% et celui de M. Ogan à 1,5 ou 2%.
Le soutien à M. Kilicdaroglu n’a jamais dépassé 53%. C’est un seuil critique. Lorsque la course est trop serrée, M. Erdogan peut mobiliser toutes les ressources de l’État pour inverser la tendance et la tourner à son avantage au second tour. Pour compliquer encore l’équation, il faut garder à l’esprit que les électeurs voteront dans deux urnes différentes, l’une pour élire un président de la république et l’autre pour élire les députés. Pour la présidence, 50% des voix plus une suffiraient. Le Parlement, quant à lui, sera composé de membres de divers partis politiques. Cela rend la situation plus compliquée en ce qui concerne la répartition des partis au Parlement. Les coalitions peuvent être formées par des partis dissidents ou des groupes de membres individuels de divers partis, que l’on pourrait convaincre de changer de camp.
«À mesure que le jour des élections approche, les électeurs peuvent évaluer leurs choix plus méticuleusement.»
- Yasar Yakis
Une telle répartition des nouveaux parlementaires pourrait contribuer à promouvoir la culture de la conciliation entre les partis politiques. On pourrait s’y attendre à plus long terme. À court terme, une diversification dans les rangs des partis de l’opposition peut nuire à leur cohésion, car M. Erdogan désire ardemment scinder les partis d’opposition et convaincre certaines factions de rejoindre ses rangs.
L’une des spécificités des élections à venir est que presque tous les partis d’opposition ont trouvé un terrain d’entente, qui consiste à se débarrasser de la coalition gouvernementale actuelle.
Un autre constat important est que le président Erdogan a réussi à consolider l’unité au sein de son parti. Nous ne savons pas si la coalition à six qui forme l’opposition – en plus du soutien apporté par le Parti démocratique prokurde des peuples, connu sous le nom de HDP – sera en mesure de faire preuve de la solidarité requise si jamais elle arrive au pouvoir. Finira-t-elle par se battre pour récolter sa part des récompenses politiques?
Le Bon parti de Meral Aksener a brièvement vacillé au début du mois de mars, ce qui laissera des séquelles dans l’esprit du public. Quant aux partis dissidents comme le Parti du futur de l’ancien Premier ministre, Ahmet Davutoglu, ou le Parti de la démocratie et du progrès de l’ancien vice-Premier ministre, Ali Babacan, leur soutien pourrait ne pas dépasser 2% et 3,7%, respectivement. Ces deux partis ont concentré leurs efforts sur Istanbul. Ils n’ont que peu de chances dans les circonscriptions métropolitaines telles qu’Istanbul, Ankara ou Izmir. Ils pourraient également concentrer leurs efforts sur les petites circonscriptions provinciales, au sein desquelles ils peuvent choisir un candidat exceptionnel et mobiliser tous leurs efforts pour le faire élire.
La coalition d’opposition à six partis ne semble pas avoir proposé de stratégie commune qui garantirait la défaite du parti AKP au pouvoir.
L’AKP a décidé tardivement de s’unir au Parti de la cause libre, connu sous le nom de «Huda-Par», qui a des liens avec le Hezbollah iranien et qui a commis des assassinats dans le sud-est de la Turquie. Le même AKP a combattu contre le Huda-Par il y a plusieurs années. Sa coopération avec ce parti aujourd’hui a dû jeter une ombre sur la coopération entre l’AKP et le Parti d’action nationaliste d’extrême droite, qui a décidé de ne pas se présenter sur la même liste que ce parti affilié au Hezbollah. Il s’agit de son principal désaccord avec le parti AKP au pouvoir.
Le HDP prokurde demeure le faiseur de rois. Reste à savoir si son soutien suffira à sauver l’opposition de la défaite.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com